La Musique à la cour de Louis XV - Francois Colin de Blamont (1690-1760) : Une carrière au service du roi

La Musique à la cour de Louis XV - Francois Colin de Blamont (1690-1760) : Une carrière au service du roi ©Dallas Museum of Arts/ Concert chez Pierre Crozat, dans le salon ovale du château de Montmorency - huile sur toile de Nicolas Lancret
Afficher les détails
Un compositeur emblématique et méconnu

François Colin est né le 22 novembre 1690 à Versailles. Il était le fils de Nicolas Colin, entré en 1686 comme haute-taille à la Chapelle Royale, et ami du compositeur Michel-Richard de Lalande et du peintre Hyacinthe Rigaud. François ajoutera en 1723 à son patronyme celui de Blamont, emprunté à un de ses oncles qui s'était illustré dans les armées de Louis XIV et avait reçu l'ordre de Saint-Louis. Dès 1709 il entre à la Chapelle comme haute-contre laïc, à partir de 1717 il est mentionné dans les registres de la Chapelle et de la Chambre comme taille. Il devient également élève de Lalande, qui lui enseigne le clavecin. Entre 1715 et 1722 la réduction de l'activité musicale à la Cour (qui s'était installée à Paris) le rapproche de la cour de Sceaux. Celle-ci rassemble autour du duc du Maine (fils naturel de Louis XIV et de la Montespan) et de son épouse des artistes et intellectuels, dont l'abbé Simon-Joseph Pellegrin, Bernard Le Bovier de Fontenelle et Charles-Jean-François Hénault. Tous lui fournirent par la suite des livrets d'opéras. Durant cette période d'austérité relative à la Cour, de nombreux salons aristocratiques ou bourgeois multiplient les concerts privés. Ainsi Colin de Blamont se rapproche également de la comtesse de Fontaine, chez laquelle il créa ses deux opéras Les fêtes grecques et romaines, et Les Caractères de l'Amour, ainsi que la cantate La toilette de Vénus.

Dès 1719 il accède au poste convoité de Surintendant de la Musique du Roi, en survivance du fils de Jean-Baptiste Lully, qui ne pouvait remplir sa charge en raison de sa notoire incompétence. Sa notoriété croissante et l'appui de Lalande ont favorisé sa nomination, malgré sa jeunesse. Il occupera ce poste jusqu'à la présentation de son survivancier Francoeur, en 1744.

A la différence de son aïeul Louis XIV, le jeune Louis XV n'a que peu de goût pour la musique. Le duc d'Aumont, premier gentilhomme de la Chambre, fera quelques tentatives pour que le jeune monarque se produise en personne dans des ballets, mais celles-ci seront bien vite abandonnées. Après son arrivée en 1723, la jeune reine Marie Leszczynska reprendra rapidement le flambeau de la vie musicale à la Cour en instituant les Concerts de la Reine. Reprenant la tradition des soirées d'appartement mise en place par Louis XIV, elle fait donner dans le Salon de la Paix, qu'elle a annexé aux anciens appartements de Marie-Thérèse, fragments d'opéras, cantates et cantatilles. Ses nombreuses grossesses en suspendront à peine le cours. Ces concerts sont relayés dans le Mercure de France, popularisant auprès du public des autres grandes villes françaises et européennes les œuvres les plus appréciées par la Cour de France...

A partir de 1747 la Dauphine Marie-Josèphe de Saxe deviendra une spectatrice assidue de ces Concerts : lorsque ses grossesses l’empêchent de se déplacer, sa belle-mère transporte le concert dans les appartements de la Dauphine. Cette dernière ouvrira les Concerts vers les artistes étrangers, en y invitant notamment Hasse et la Bordoni, les castrats Caffarelli et Farinelli. A partir de la même année la marquise de Pompadour, favorite royale, donnera églement concerts et représentations d'opéra à Versailles, dans le théâtre des Petits Appartements. Toutefois en raison de son coût, cette entreprise cessera dès 1750.

Les grands Concerts, donnés par deux fois par semaine, étaient l’occasion de représenter des parties d'ouvrages lyriques. On recense au cours de la période plus de quatre-vingt opéras différents, dont la moitié environ correspondent à des œuvres des surintendants. Un quart est de Lully, le reste des autres compositeurs. Compositeur phare de cette époque, Rameau y occupe une place assez réduite, sans doute parce que la reine appréciait peu ses ouvrages. Il fut toutefois le seul à venir diriger en personne ses œuvres aux Concerts : cette tâche était habituellement confiée au surintendant.

La production musicale du surintendant est fortement influencée par sa charge. Outre les cantates et cantatilles particulièrement adaptées aux Concerts, il compose de nombreuses musiques de circonstance pour illustrer des événements de la Cour : naissance des enfants royaux (le Ballet du Parnasse et le Caprice d'Erato, pour la naissance du Dauphin en 1729), mariages (Le retour des dieux sur la terre, pour le mariage du roi en 1725), guérison du roi (l'Idylle pour la convalescence du roi, en 1744), victoires militaires de ce règne émaillé de guerres (Jupiter vainqueur des Titans, pour la victoire de Fontenoy en 1745)... Nombre de ces partitions ne nous sont pas parvenues.

Ces ouvrages diffèrent des ouvrages lyriques habituels en ce qu'ils ne possèdent pas de véritable trame dramatique ; ils reposent sur la juxtaposition de scènes contrastées, qui s'achèvent dans un finale grandiose. Aussi reçoivent-ils des appellations variées : idylle, concert, fête... Ils marquent l’avènement d'un nouveau genre, le ballet héroïque. En 1723, Colin de Blamont avait composé Les fêtes grecques et romaines, qui restera son chef d’œuvre. Celui-ci constitue le modèle de cette brillante synthèse entre la tragédie lyrique de Lully, et l'opéra-ballet de Campra et Destouches, qui fera florès tout au long du règne du Bien-Aimé.

Le livret des Fêtes grecques et romaines a été écrit par Fuzelier. Signe de son succès, l’œuvre fut remaniée à plusieurs reprises par le compositeur, notamment en 1753, en pleine Querelle des Bouffons. Elle fut même reprise par Dauvergne et Berton en 1770, à l'occasion du mariage du Dauphin avec Marie-Antoinette, bien après la mort du compositeur et alors que les goûts musicaux avaient fortement évolués. Elle fut également donnée à peu près chaque année aux Concerts de la reine.

Les Caractères de l'Amour, autre ballet héroïque créé en 1738 sur un livret arrangé par le compositeur, connut un succès moins durable, mais néanmoins fort honorable. Seul son Endymion, sur un livret de Fontenelle, connut l'échec à l'Académie en 1731. Au total les œuvres de Blamont furent jouées plus de deux cents fois à l’Académie de Musique. Toutefois, à la différence d'un Destouches ou d'un Campra, Blamont n'exerça jamais de fonctions officielles ni à l'Académie ni dans aucune autre institution de la capitale.

S'y ajoutent de nombreux cantates, rassemblées dans des recueils publiés par le compositeur : trois nous sont parvenus sur les cinq édités. Le chant y est d'une grande accessibilité, témoignant de sa destination à un public d'amateurs avertis. De manière plus inattendue, Blamont a composé de la musique religieuse, et tout particulièrement un Te Deum. L'histoire en est épique, car elle témoigne de la rivalité féroce qui pouvait régner à la Cour entre titulaires des différentes charges. Pour le sacre du roi en 1722, un premier affrontement avait opposé le duc de Mortemart, premier gentilhomme en exercice, au cardinal de Breteuil maître de Chapelle, sur le point de savoir qui devait prendre en charge la partie musicale de la cérémonie. Mortemart l'ayant emporté, Lalande qui était à la fois surintendant de la Musique de la Chambre et sous-maître de la Chapelle, proposa à Blamont de diriger son propre Te Deum. En 1725 pour le mariage du roi Blamont persuada Mortemart de réclamer la direction du Te Deum, contre le sous-maître de Chapelle Bernier. Il obtint satisfaction, mais dut diriger,,, le Te Deum de Bernier ! Aussitôt il compose son propre Te Deum, qui sera joué en avril 1726 au Concert Spirituel. En 1734 il tente de faire jouer son Te Deum pour la prise de Philippsbourg, mais il devra s'effacer devant Campra. De 1740 à 1748 les nombreuses victoires de la Guerre de Succession d'Autriche offrent des occasions renouvelées de jouer des Te Deum, qui sont devenus une étape incontournable pour marquer les grands événements de la Cour. Face à Blamont le sous-maître Blanchard défend ses prérogatives. Toute la Cour s'en mêle, la reine soutient Blanchard, tandis que Blamont peut se prévaloir de l'appui du roi. Finalement à partir de la prise de Mons (juillet 1746) Blamont parvient à imposer son Te Deum, qu'il dirigera jusqu'en 1758. La querelle persista ensuite, et ne s'éteignit qu'avec la double nomination de Giroust en 1775 à la tête de la Chambre et de la Chapelle...

A partir de 1744 la santé chancelante de Blamont le pousse à anticiper sa succession. Il propose comme survivanciers de ses charges Francoeur comme surintendant et Bury comme maître de musique de la Chambre. Le roi accepte, et le comblera d’honneurs dans ses dernières années : anobli en 1751, il est également fait chevalier de l'ordre de Saint-Michel. En 1756 le roi ajoute une pension annuelle de 2000 livres aux revenus de ses charges. Il mourut le 14 février 1750 d'une hydropisie de poitrine, laissant une importante collection de tableaux et une riche bibliothèque musicale et littéraire.

En un peu plus de trois cents pages d'un récit très documenté, Benoît Dratwicki nous retrace l'existence de François Colin de Blamont. Son souci de la précision, ses analyses fouillées (y compris des nombreuses compositions qui ne nous sont pas parvenues, à partir des livrets ou des extraits identifiés) raviront certainement l'historien exigeant. Ce dernier y trouvera également la liste des sources citées, ainsi qu'un index des noms et des œuvres. L'amateur y découvrira pour sa part un panorama très complet de la musique à la cour de Louis XV jusqu'en 1750. L'auteur y retrace soigneusement les grands événements musicaux, ainsi que les conditions des créations, les principales distributions. Il les replace avec force détails dans le contexte musical de l'époque : concerts du Concert Spirituel, renforcement de l'effectif orchestral de la Musique de la Chambre, chroniques musicales du Mercure de France... L'ouvrage est découpé en quatre chapitres. Après un classique « Jeunesse et formation », le chapitre II décrit « Le service de la Cour : grandeur et servitudes d'un surintendant à la cour de Louis XV ». Le chapitre III replace les principales œuvres de Blamont dans leur contexte musical : «  A Paris : Concert Spirituel, Académie royale de musique et salons », tandis que le dernier chapitre est consacré à l' « Homme de cour, esthète et musicien ». L'auteur identifie avec précision la spécificité de la carrière de Blamont, centrée sur la Cour (même s'il ne dédaignait pas de faire jouer ses œuvres à l'Académie ou au Concert Spirituel) et héritière de la tradition de Lully et du Grand Siècle. Il restitue fidèlement l'atmosphère de ces concerts privés, qui gagnent progressivement les salons aristocratiques et bourgeois au XVIIIème siècle à Paris et contribuent à la notoriété de la France dans l'Europe entière.

Benoît Dratwicki bouscule aussi au passage quelques idées reçues : les représentations scéniques d'opéras à Versailles étaient assez rares , tant sous Louis XIV que sous Louis XV ; on n'en dénombre qu'une petite vingtaine en un siècle ! Cette situation résultait de l'absence de véritable scène digne de ce nom (le théâtre de la Cour des Princes étant de dimensions très exiguës, et dépourvu de « machines »), et du coût des représentations. Elle n'évoluera vraiment qu'avec la construction de l'opéra de Gabriel, puis du théâtre du Petit Trianon pour Marie-Antoinette. Cette pénurie relative de représentations explique fort logiquement le goût des contemporains pour les fragments d'opéras, donnés en formation réduite pour le plaisir des amateurs qui y étaient conviés.

Le souci de la précision n'alourdit jamais le style de l'auteur, qui reste alerte et direct. Et le respect pour son sujet d'étude reste en permanence équilibré par un jugement distancié et clairvoyant, tant sur les caractéristiques de son œuvre musicale par rapport à ses prédécesseurs et contemporains, que sur son positionnement à la Cour (comme en témoigne l'épisode de la querelle des Te Deum). A l'appui du texte on trouvera aussi des illustrations (portraits, costumes, décors...) ainsi que des extraits de partitions, qui égaient avec bonheur la densité naturelle de cet ouvrage didactique.

Cette thèse méritait donc assurément d'être éditée, afin d'éclairer un versant méconnu de la vie musicale de cette époque, dont la postérité n'a à peu près retenu que les brillantes créations de Rameau à l'Académie. Puisse-t-elle aussi déboucher sur des recréations contemporaines : les Fëtes grecques et romaines n'ont à notre connaissance jamais fait l'objet d'un enregistrement, et il est bien dommage que l'on ne puisse juger sur pièces le chef d’œuvre de Colin de Blamont...



Publié le 11 oct. 2016 par Bruno Maury