La Musique à Venise - O. Lexa

Opéra, art et politique dans la cité des Doges

L'ouvrage d’Olivier Lexa, La musique à Venise, constituera certainement une référence puisqu’il réussit le pari de s’adresser au grand public pour parler d’un sujet vaste, complexe et subtil. Ce très beau livre richement illustré est un voyage au cœur de la cité des Doges dans lequel amateurs comme néophytes découvriront comment l’opéra public a fait sa grande entrée, pour bouleverser à jamais notre rapport aux arts bien entendu mais aussi au pouvoir. Au fil des pages l’auteur, dans un style parfois technique mais toujours raffiné et séduisant, nous entraîne avec force dans cet univers quasi onirique ou se côtoient le profane et le sacré, le spirituel et le temporel.

Si l’ouvrage est d’une grande érudition, ce qui ravira les amateurs, les différentes illustrations (plus de 130 !) apportent un souffle, un appui au texte et permettent d’entrer chaque fois un peu plus dans le voyage proposé. Le lecteur ressent profondément le désir de l’auteur de partager son amour pour la belle Venise. Avec finesse, il parvient à toucher le lecteur par le cœur et l’intellect.

Tout au long de l'ouvrage, le lecteur apprend avec force détails historiques comment le politique et le religieux ont influencé l’avènement de l’opéra public, comment les rapports sociaux ont évolué, et surtout la manière dont le peuple vénitien s’est saisi de cette ouverture pour se transformer, et sonner l’éveil du Baroque qui aujourd’hui encore séduit les âmes sensibles à la beauté et au merveilleux.

Réservé initialement aux nobles des cours de l'Italie du Nord, l’opéra devient accessible à Venise moyennant le simple achat d’un billet de spectacle. Ce qui était caché, réservé à une élite devient à portée de main du plus grand nombre, et laisse son empreinte pour devenir populaire. Dans ce contexte, les compositeurs partent à l’aventure, à la conquête de ce nouveau public ; et pour conquérir il faut séduire.

Tous les personnages-clés de cette révolution ont droit à leur chapitre, leurs développements ; mais les amateurs apprécieront également la mise en lumière des personnages moins connus du grand public. De Monteverdi à Vivaldi, en passant par Cavalli, Gasparini, Lotti, Legrenzi ou encore Benedetto Marcello, l’histoire de l’opéra public s’égrène au fil des pages. Une part est réservée aux librettistes Faustini et Apostolo Zeno pour leurs réflexions, leur créativité et leur originalité qui marquèrent profondément l’histoire de l’opéra.

Plus qu’un simple voyage musical, Olivier Lexa nous invite, dans l’esprit vénitien, à dépasser les frontières académiques et conventionnelles pour embrasser un paysage artistique complet. La musique et la danse sont peintes, la poésie est mise en scène et l’architecture est magnifiée au travers d’illustrations provenant d’archives parfois inédites.

L’avènement de la période baroque caractérisée par Les Noces de Cana a particulièrement retenu mon attention. Peinte par Véronèse, cette toile représente notamment cinq grand peintres vénitiens accompagnés chacun d’un instrument de musique. Titien, Le Tintoret, Véronèse, Bassano et l’Arétin semblent y rendre hommage à la musique en une cène musicale.

Dans un autre registre, les caricatures nombreuses d’Antonio Maria Zanetti nous étonnent par leur avant-gardisme. Elles nous présentent des chanteurs tels que les castrats Farinelli et Gizziello, ou la cantatrice Vittoria Tesi Tramontini. Zanetti dessine également des danseurs : la caricature de Campion, danseur et chorégraphe, m'a particulièrement amusée, avec sa coiffe gigantesque qui lui donne un caractère comique ineffable. Elle renvoie également au chapitre précédent de l'ouvrage, qui évoque Benedetto Marcello et son pamphlet Il Teatro alla moda. Une pointe humoristique s'ajoute ainsi à l’émerveillement créé par les belles illustrations reproduites.

Les théâtres et les décors d’opéras sont présents à travers plusieurs toiles, notamment le théâtre de San Benedetto et San Samuel ou encore La Fenice.

S'y ajoutent quelques gravures provenant de la collection privée de l’auteur, ainsi que les magnifiques photos prises par Laure Jacquemin, qui illustrent des œuvres picturales, des églises ou des ospedaletti. S’il fallait n’en citer qu’une, mon choix se porterait sur la photographie de la Basilique San Marco présentée en pleine page. Comme pour appuyer l'ensemble de l'ouvrage, cette superbe photo incarne par excellence Venise, et le reflet de la basilique dans les eaux nous rappelle tout simplement l’esprit aérien et la frontière du réel que symbolise la cité lacustre.

L’aspect didactique est soigné, avec une liste chronologique des principaux compositeurs baroques vénitiens ainsi que l’index des personnages cités qui permettent d’utiliser cet ouvrage comme un outil de référence.

Le livre refermé, le voyage terminé, on a la sensation d’avoir vécu une extraordinaire aventure avec plaisir et émerveillement. La légèreté, la liberté et la gaîté sont les impressions qui en persistent. Il est alors bien difficile de remettre l'œuvre sur son rayonnage... On a plutôt envie d'en partager le plaisir avec des proches ! Aussi, nul doute qu'à l'approche des fêtes de fin d’année ce cadeau ravira amateurs d’opéra, de peinture ou d’histoire, amoureux de Venise et aficionados des arts baroques.



Publié le 11 nov. 2016 par Sarah Ounifi