Cantates de jeunesse de Haendel

Cantates de jeunesse de Haendel ©Festival de Froville - Deborah Cachet & l'Achéron - François Joubert Caillet
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La XXème édition du Festival de musique sacrée et baroque de Froville (Meurthe & Moselle) s’est ouverte ce soir sous les voûtes fraîches de l’église romane, scène nationale incontournable du « Baroque » si vous nous permettez l’expression.

L’ensemble L’Achéron, placé sous l’archet de François Joubert-Caillet à la viole de gambe est accompagné de Deborah Cachet.
La jeune soprano belge est fort bien connue du public lorrain, puisqu’elle a remporté le premier prix du jury au Concours International de Chant Baroque de Froville en 2015. Elle s’est d’ailleurs produite l’année suivante en ces mêmes lieux dans un programme intitulé « Les sept figures d’Eve » sous la baguette du chef Franck-Emmanuel Comte et de son ensemble Le Concert de l’Hostel Dieu.
Quant à François Joubert-Caillet, il est sans doute l’un des meilleurs violistes à ce jour. Son jeu est d’une exceptionnelle qualité et véhicule en nous toute une palette d’émotions indescriptibles… A chacune de ses prestations à la tête de l’Achéron, il entraîne l’auditoire dans un magnifique voyage musical, dépaysement garanti !
D’ailleurs, comment ne pas l’être ? L’idée de « confronter » une voix céleste, celle de la soprano, à l’Achéron peut apparaître comme désorientant. L’ensemble trouve son nom dans la mythologie grecque : le légendaire fleuve des Enfers traversé par Orphée pour sauver Eurydice.

Le programme présenté nous invite à découvrir ou redécouvrir six cantates de « jeunesse » de Georg Friedrich Haendel (1685-1759), dont deux seront purement instrumentales.
Forme majeure à l’époque baroque, la cantate (du latin cantare, « chanter ») est une composition vocale et/ou instrumentale profane (cantata da camera, « cantate dite de chambre ») ou religieuse (cantata da chiesa, « cantate d’église »).
Les cantates interprétées ce soir se réfèrent aux personnages mythologiques d’Abdolomyne, Agrippine, Armide et Demophon.
Elles comportent différentes sections aux styles vocaux variés comme le récitatif, l’aria, l’accompagnato et la scena mais sont toutefois dépourvues d’aspect théâtral ou dramatique.

Haendel n’est âgé que d’une vingtaine d’années lorsqu’il se rend en Italie. Il séjournera notamment à Florence, Naples, Venise et surtout à Rome. Il saura s’entourer de puissants mécènes: les cardinaux Pietro Ottoboni (1667-1740), Benedetto Pamphilij (1653-1730) et Bartolomeo Ruspoli (1697-1741) mais également d’influentes familles dont les Medicis.
Composées lors de la période italienne du Caro Sassone, les cantates révèlent de fines couleurs bigarrées. A mi-chemin entre la musique de chambre et l’opéra, elles serviront d’expérimentations pour les futures compositions de Haendel.

Après l’exposé succinct des œuvres par François Joubert-Caillet, la première cantate interprétée s’intitule Notte placida e chetaNuit calme et paisible, HWV 142. Le récitatif d’ouverture donne le ton de cette paisible soirée. Deborah Cachet lance ses premières vocalises. Quel plaisir d’entendre de nouveau cette voix élégante et pure.
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Deborah Cachet © Festival de Froville - JSSD

Les spectateurs des premiers rangs peuvent à peine distinguer la construction du son du fait de sa parfaite maîtrise vocale. La respiration est profonde mais tout en finesse. L’aria Zeffiretti, deh ! VeniteZéphyrs, venez donc ! l’emporte vers les aigus légers comme une plume soulevée par les alizés. Le second aria de la cantate Per un instante, se in sogno, AmoreSi un instant en rêve, Amour s’appuie sur les lignes instrumentales harmonieuses. Elle nous berce de sa délicate accentuation telle une mère veillant sur son enfant qui s’endort. La diction est toujours aussi aisée.
Elle sautille de notes graves en notes élevées sur Luci belle, Vaghe stelleBeaux yeux, Charmantes étoiles, démontrant la ductilité vocale. La viole de gambe colore agréablement les sauts.

Afin de reposer la voix après le rythme soutenu de la première cantate, l’Achéron exécute les mouvements andante et allegro d’une pièce instrumentale : la Sonata a tre HWV 391. La trio sonata est écrite en sol mineur. Le premier violon tenu par Marie Rouquié égraine les notes ré, si bémol, la, sol, sol, si bémol, la, reprises par le second confié à Lathika Vithanage. Ce jeu de noire piquée, de noires, de croches et doubles-croches affirme douceur et vitalité. Les archets glissent aisément. Le talent et la virtuosité de l’ensemble se posent solidement dans l’allegro.

La voix céleste se fait entendre de nouveau dans la cantate Armida abbandonata HWV 105. L’air Ah ! crudel, e pur ten’vaiAh, cruel, tu t’en vas donc se pare d’expressivité, d’incarnation. Si la cruauté revêt ce visage, elle n’est que douceur à nos yeux… La voix de la soprano, l’archiluth de Solmund Nystabakk (au joli phrasé enchanteur) et la viole de gambe se marient à la perfection, symbiose musicale. La seconde strophe de l’aria est ponctuée par le continuo joué au clavecin. Nous évoquerons plus tard le claveciniste lors de l’interprétation de la Sonata per il cembalo.
L’aria accompagné O voi, dell’incostante, e procelloso mare orridi mostriO vous, monstres terribles, flots inconstants et tempétueux arbore des moments vifs aux cordes virtuoses dans les gammes ascendantes et descendantes.
Soudain le vent s’élève, souffle avec Venti, fermate, si !Vents, arrêtez-vous, si !. Il se matérialise par les vocalises, les coups d’archets francs et précis.
Le récitatif Ma che parlo, che dico ? Ah ! ch’io vaneggioMais que dis-je ? Ah ! je délire ! nous plonge dans une quiétude de courte durée troublée par la violence de Spezza quel laccio indegnoBrise ce lien indigne.
Le dernier aria In tanti affanni miei assistimi almen tu, Nume d’amore !Dans tous mes tourments aide-moi, toi au moins Dieu d’amour ! engendre des aigus nourris lancés sans efforts apparents de la soprano. Simple illusion…
Quel cadre idyllique dont dispose l’église romane pour magnifier la voix angélique de Deborah Cachet !

Lors de l’entracte, afin de nous remettre de nos émotions, nous nous sommes promenés dans le jardin botanique, aux dimensions intimistes, situé proche du cloître. Les essences de thym, sauge, géraniums perpétuels embaumaient ce coin de verdure à la tombée du crépuscule.
Il était même possible de déguster une bière brassée non loin de là dans le village et vendue au profit de l’association des Amis du patrimoine culturel de Froville. Petite confidence : sa fraîcheur agrémentée d’une petite touche d’amertume était la bienvenue, donc fortement appréciée…
Il est temps de rejoindre nos places et d’écouter la suite prometteuse du concert.

Dunque sarà pur vero, che disseti la terra il sangue moi ?Est-il donc vrai que mon sang baignera la terre ? de la cantate Agrippina condotta a morire résonne avec force et conviction dans la nef. Elle exprime son triste destin, saisissante de vérité. Les staccatos des violons, reliant le récitatif et l’aria, sont merveilleusement rendus en parfaite opposition au jeu « lié » des mesures suivantes (croches, doubles-croches, triolets, etc.). Le staccato ou « piqué, en notes détachées » désigne un type de phrasé dans lequel les notes des motifs et des phrases musicales doivent être exécutées avec des suspensions entre elles sans que l’archet ne quitte les cordes.
L’aria Orrida, oscura l’etra si renda e spesso avvampi col balenarQue le ciel se fasse horrible, obscur et s’enflamme d’éclairs constitue l’un des plus beaux arias de la soirée. Deborah Cachet dévoile sans détour l’agilité vocale rimant avec celle des instrumentistes. Saluons le phrasé de la violoniste Marie Rouquié dans les solos. A la reprise de l’air, elle module et ornemente avec grâce.
Ma pria che d’empia morteMais avant que le sombre poison confirme l’interprétation expressive de la soprano.
Les cordes à l’unisson entonnent les mesures « allegro » introductives de Renda cenere il tiranno un tuo fulmine crudelQue ton éclair impitoyable réduis en cendre le tyran court passage mais de belle facture. Un da capo – retour au début de la partition – nous offrira une nouvelle chance de l’entendre…
L’adagio (mouvement au tempo relativement lent) Come, o Dio ! bramo la morteOh Dieu, je désire la mort trouble de par sa fatale beauté l’auditoire. La suavité vocale est ornée de pierres précieuses déposées par l’ensemble des cordes.
Au terme des 24 minutes que dure la cantate Agrippina condotta a morire, le public subjugué par tant de virtuosité n’ose applaudir…

Aux fondations solides du continuo joué au clavecin, Yoann Moulin n’en demeure pas moins un talentueux soliste. Il dévoile sa qualité de jeu dans le larghetto de la Sonata per il cembalo en sol mineur HWV 580. Les mots ne sont pas les seuls vecteurs du langage poétique. D’un doigté aérien, il effleure les touches et transcende chaque note rendant gloire à cette ode musicale.

Le concert se conclut par la cantate Figlio d’alte speranzeFils de hauts espoirs. Les passages à l’unisson des violons et les ponctuations au clavecin, archiluth et viole de gambe mettent le « point d’orgue final » à cette magnifique soirée.
Le vocal et l’instrumental se marient à la perfection et nous convient à partager leur passion : la Musique !

Sans aucune rivalité, les instruments et la voix se mettent au service de l’un et de l’autre à tour de rôle. La symbiose est parfaite laissant apparaître une complicité dans les regards échangés.

Face à une telle prestation, nous pouvons regretter le manque d’intérêt porté aux artistes par le public lorrain si fidèle au festival de Froville. Serait-ce dû au pont de l’Ascension ?
En l’occurrence, selon l’adage, les absents ont toujours tort. Tort de ne pas s’être déplacés…



Publié le 30 mai 2017 par Jean-Stéphane SOURD DURAND