Adriano in Siria (Pergolèse). 1734

Adriano in Siria (Pergolèse). 1734 ©Parnassus Productions
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Un moment de grâce et d'élégance

C'est à un compositeur de 24 ans que l'on doit cette œuvre, créée à Naples le 25 octobre 1734. Dans un an et demi, Pergolese disparaîtra non sans avoir composé auparavant son Stabat Mater qui va le garantir de l'oubli jusqu'à nos jours. Commandé pour les festivités d'anniversaire d'Elisabeth Farnèse, mère du roi de Naples, l'opéra comptait dans la distribution de sa création le celébrissime Caffarelli. Bien entendu, l'écriture en garde trace avec des airs de très grande virtuosité. Cette représentation versaillaise, qui est donnée en version de concert - curieusement non surtitrée....- , restera comme un très beau moment de grâce et d'élégance, justement apprécié par le public.
Premier artisan de ce succès, l'orchestre Capella Cracoviensis, placé sous la direction de Jan Tomasz Adamus, est quasiment parfait de bout en bout. Miracle d'équilibre, il joue parfaitement de la chaude et belle acoustique de l'Opéra Royal et s'impose comme un personnage à part entière de l'opéra seria. La très grande variété des couleurs et des accents qui s'adapte superbement à la musique de Pergolèse, le jeu subtil des variations d'intensité et un legato délicat contribuent très largement à cette impression d'élégance.
Le livret est des plus convenus et l'action ne brille pas par son intensité dramatique. L'empereur Hadrien vient de vaincre les Parthes et, alors qu'il doit épouser Sabina, tombe amoureux d'Emirena, la fille du roi parthe Osroa. Celle-ci est amoureuse d'un prince parthe (Farnaspe) qui l'aime également. Osroa organise plusieurs tentatives d'assassinat d'Hadrien, dont Farnaspe est accusé. Manipulés par le traitre Aquilio, les personnages finiront par découvrir la vérité et, ému par la grandeur d'âme de Sabina, prête à céder sa place à Emirena, Hadrien, en parfait despote des Lumières, finira par rendre Emirena à Farnaspe et par épouser Sabina. Pour être concis : Aquilio aime Sabina qui aime Adriano qui aime Emirena qui aime Farnaspe qui aime Emirena ! Sur ce matériau un peu fruste, Pergolèse brode une musique qui est capable d'étreindre toute la palette des sentiments et joue d'une répartition très équitable des arias entre les rôles.
La seule (petite) déception de la soirée viendra de l'Aquilio de Sofia Fomina. La soprano russe s'appuie sur un bel aigu qui ne suffit pas à faire oublier un médium faible et peu timbré, ni une technique baroque insuffisante. A cela s'ajoutent des moyens dramatiques très limités qui ne lui permettent pas de caractériser le rôle de méchant traitre qu'est Aquilio. L'Adriano de Artem Krutko est plus intéressant mais le matériau vocal qui semble très impressionnant dans le premier air («Spreza il furor»), avec une puissance remarquable et des aigus rayonnants donne des signes de fatigue des le deuxième, dans lequel des stridences apparaissent dans des aigus chantés trop forte, et plus encore au troisième, aria dans laquelle les nuances s'effacent trop au profit d'une prestation vocale obsédée par ses aigus. En Sabina, la jeune soprano russe Dilyara Idrisova est simplement remarquable. Peut être un peu écrasée par l'enjeu dans son premier air, dont l'attaque est un peu étrange et dont les ornementations donnent l'impression d'être un petit peu trop audacieuses, le reste de sa prestation est irréprochable. Incarnant avec noblesse la praticienne promise au vainqueur des Parthes, elle est douée d'une voix au très beau timbre, avec une belle homogénéité sur tout le registre, des aigus aisés, ronds et rayonnants, une projection assurée et une belle technique qui s'épanouira pleinement dans son magistral et très virtuose air de l'acte II ( «Splenda per voi»). Une très belle découverte !
L'Osroa de Juan Sancho est magistral. Aux qualités habituelles de timbre, de technique et de virtuosité du ténor, que j'ai déjà eu l'occasion de souligner à plusieurs reprises, on retrouve ici un engagement et une vaillance remarquables. Les arias héroïques sont surmontées avec aisance, et l'interprétation du roi parthe vaincu est dense et fine. En Emirena, Romina Basso délivre un vrai cours de chant baroque. Élégance du phrasé, ornementations délicates et d'un goût sûr, longueur de souffle et émission parfaitement maîtrisée, avec une intelligence sans égale de la taille de la salle et de la portance du son. L'ensemble de son interprétation est sublime et atteindra des sommets dans le duo du dernier acte avec Fagioli («L'estremo pegno»).
Franco Fagioli, précisément, grand triomphateur de la soirée et qui reste insurpassable dans ce répertoire. La voix possède toujours ces incroyables qualités dont je rendais compte à l'occasion de son concert au Théâtre des Champs-Elysées et qui sont ici portées par la représentation, les partenaires et la musique de Pergolèse. Écrit pour le grand Caffarelli, le rôle de Farnaspe est émaillé d'airs à la fois aériens et meurtriers.

La remarquable technique de Fagioli lui permet de se jouer des difficultés du rôle et de distiller de riches et audacieuses ornementations. L'engagement est total, sans concession aucune à des facilités, alors même qu'il est confronté à une écriture qui sollicite une vertigineuse virtuosité sur la totalité de sa tessiture. Il se jette littéralement dans les airs, faisant souvent penser à un athlète dans l'épreuve, dont il adopte certaines postures : cet engagement n'est pas pour rien dans son triomphe. Mais l'aisance de l'aigu, l'infinie modulation du phrasé qui lui permet de dialoguer avec bonheur avec le hautbois à l'acte I («Lieto cosi tal volta») ou encore l'incroyable plasticité de sa voix qui lui permet d'enchaîner de redoutables sauts d'octave à l'acte II («Torbido in volto») font de son interprétation du rôle un moment inoubliable.

Publié le 07 déc. 2015 par Jean-Luc IZARD