Alcina - Haendel

Alcina - Haendel © Teatro del Maggio
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Pouvoir et jalousie dans le monde des miroirs

Tiré d’un épisode d'Orlando furioso, Alcina est une grande fresque musicale de Haendel qui réclame un ensemble de solistes soigneusement choisis pour la faire briller comme elle le mérite.

Suscitant de grandes attentes parmi le public, la tête d'affiche Cecilia Bartoli, déjà souffrante lors de la première deux jours auparavant, avait été annoncée remplacée pour cette représentation. Ce qui avait amené de nombreux spectateurs à demander le remboursement de leurs billets. Juste avant le début du spectacle, Alexandre Pereira, surintendant du Maggio Musicale, est venu annoncer son remplacement de dernière minute par la jeune soprano Marie Lys, dont le nom évoque de manière si appropriée la fleur de Florence. Et elle ne nous a pas déçus ! Un peu tâtonnante par rapport à la mise en scène mais sûre dans la voix. Les six airs d'Alcina, chacun exprimant une émotion différente, ont été magiquement chantés. Soulignons tout particulièrement le bien caractérisé Ah mio cor : éclats de cristal, cœur brisé, reflétés dans le miroir et les aigus harmoniques aux violons. Alcina termine l'acte II piégée à son propre piège, entourée de doubles d'elle-même plus âgés ou plus jeunes.

La mise en scène de Damiano Michieletto nous transporte dans un monde de miroirs, peuplé de créatures sur une île perdue, animé par les vagues de la mer en format vidéographie (Rocafilm/ Roland Horvath), nous donnant envie de viser de l'autre côté, avec des demi-rotations de l'immense miroir au centre du décor. Le harem d’hommes à moitié nus d’Alcina, presque toujours en arrière-plan, orne le cadre sombre, qui s'éclaire dès le début et nous pousse à nous demander ce qui est à l'intérieur et ce qui est à l'extérieur du miroir.

La première partie a débuté sobrement, pour se réchauffer progressivement à mesure de l’action. L'orchestre de Gianluca Capuano a livré des variations très intéressantes, avec des stretti dans les da capi vraiment impressionnants, et des passages instrumentaux rafraîchissants, en rythme et en mélodie, ajoutant des vents, de l'orgue et de la harpe à l’orchestration originelle de Haendel.

L’acoustique du chœur en coulisses n'a malheureusement pas réussi à emplir la salle ; celui-ci nous a déçu dans le Questo è il ciel.

Dans le rôle de Ruggiero, le contre-ténor Carlo Vistoli nous a livré des coloratures expressives et matures dans Di te mi rido et E gelosia, un brillant Mi lusinga il dolce affetto, ainsi qu'un puissant Sta nell ircana.

Le ténor Petr Nekoranec (Oronte) a chanté avec conviction Semplicetto ! A donna credi ? et un très tendre Un momento di contento. Le baryton Riccardo Novaro (Melisso) a présenté de manière convaincante et confiante à un arbre saignant l'air Pensa a chi geme.

Nous avons aussi apprécié la technique vocale de Lucía Martín Cartón (Morgana) dans le Ama, sospira. En revanche, Kristina Hammarström nous a semblé manquer de la puissance nécessaire dans le rôle travesti de Bradamante.

Le petit Oberto qui cherche son père, ici courageusement incarné par un enfant (contre les moins crédibles mezzos présentés dans d’autres productions), timide au début, mais qui a repris du souffle dans la cadence Tra speme e timore et s’est illustré à la fin de l’acte III dans le Barbara !


© Teatro del Maggio

Dans le dénouement original proposé par cette mise en scène, Ruggiero, deus ex machina, est libéré tandis qu’Alcina devient elle-même, comme en référence au film Tenet de Nolan. Cette fin symphonique a été si émouvante que certains spectateurs se sont évanouis et qu’on demandait s’il y avait un Medico in sala, alors que les miroirs brisés s'abaissaient sur la scène ornant le ritornello finale.



Publié le 04 nov. 2022 par Pedro Medeiros