Alcina - Haendel

Alcina - Haendel ©Sébastien Mathé - OnP
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Un plateau de haut niveau réenchante la production de Carsen

Alcina est créé dans le nouveau théâtre de Covent Garden (inauguré en 1732), juste après l'échec d'Ariodante (janvier 1735). Avec Alcina, Haendel essaie encore de résister à Porpora et à l’Opera of the Nobility, entreprise concurrente qui l’a dépouillé peu avant de la plupart de ses chanteurs stars et a engagé Farinelli. Alcina reprend une histoire connue de tous à l'époque (extraite de l'Orlando furioso de l'Arioste) et recourt à toutes les ressources et effets spéciaux de « l'opéra magique ». L’ouvrage connaîtra un beau succès avec dix-huit représentations au cours de la saison avant de sombrer rapidement dans l’oubli jusqu’à la renaissance haendélienne du milieu du XXe siècle et à l’engouement de Joan Sutherland pour ce beau rôle de reine magicienne.

Vingt-deux ans après sa création, la production de Robert Carsen fonctionne encore, soulignant à l’envi la charge érotique de l’œuvre et sa dimension névrotique. On regrette un peu quand même la transformation de Morgane (qui dans le livret est également une magicienne, sœur d’Alcina) en soubrette délurée, innovation qui ajoute une touche inutile de dérision. Le dénouement ignore délibérément le caractère magique de la fin de l’histoire originale (l’urne magique qui est brisée par Ruggiero et Bradamante) et lui substitue le meurtre d’Alcina par Ruggiero (à moins que ce ne soit un suicide). Le final est ainsi marqué par ce qui semble un regret de Ruggiero, ambiguïté parfaitement en ligne avec l’œuvre. La réalisation de Christophe Gayral est très aboutie, avec une direction d’acteurs très précise et très réussie.

Le Balthasar Neumann Ensemble est à l’évidence une très belle formation, dont la palette de couleurs est particulièrement riche et dont les différents pupitres sont très équilibrés, permettant de superbes nuances et inflexions. Thomas Hengelbrock procède à une analyse acharnée de la partition dont les beautés sont décodées et rendues évidentes. J’ai regretté toutefois un choix de tempo un peu trop lent qui a gêné les chanteurs à plusieurs reprises et, contrepartie inévitable de l’obsession de la fosse, une attention insuffisante aux équilibres fosse-plateau. Excès de précaution pour assurer cette première ? Gageons que ceci sera corrigé au cours des prochaines représentations.

Les Chœurs de l’Opéra, toujours très homogènes sont irréprochables dans leurs deux brèves interventions.

Nicolas Courjal est un Melisso tout en autorité et en tendresse quasi-paternelle pour Bradamante et Ruggiero. Son beau timbre de basse se déploie avec générosité sur cette partition qui semble écrite pour lui et ses superbes graves et son Pensa a chi geme d’amor est impeccable et très touchant.

Pour ses débuts à l’Opéra de Paris, Rupert Charlesworth produit un Oronte de grande classe. Le timbre est léger, placé haut et parfois un peu nasal mais son legato est imperturbable et les vocalises bien placées sur le souffle sont légères et précises.

Roxana Constantinescu, qui faisait aussi ses débuts à l’Opéra de Paris, est très impliquée dans Bradamante qu’elle investit complètement au plan théâtral. Au plan vocal, le rôle, écrit sur mesure pour la contralto Maria Catarina Negri, est assez redoutable, alternant aigus et graves, élégies et virtuosité. La voix et la technique de Roxana Constantinescu sont parfaitement adaptées à ces difficultés comme le montrent par exemple son superbe All alma fedel ou encore E gelosia. En revanche, le tempo lent adopté par le chef a quelque peu malmené sa respiration dans le redoutable Vorrei vendicarmi.

Sabine Devieilhe est parfaite en Morgana. Si le volume reste un peu limité, la technique est incomparable. Tornami a vagheggiar est une vraie leçon de chant, dispensée avec un enthousiasme communicatif. Tout au long de la représentation, le souffle est parfaitement maîtrisé, l’ornementation est élégante, les nuances plus qu’abondantes et les suraigus dispensés avec générosité. Le Credete al mio dolore est bouleversant. D’une façon générale, la capacité de Sabine Devieilhe à faire passer rage, sensualité ou tendresse est remarquable.


© Sébastien Mathé - OnP

A Gaëlle Arquez revient la charge d’incarner le rôle de Ruggiero, écrit pour Carestini. Elle est aidée pour cela par un sens aigu de la musique et une réelle présence en scène. La voix est souple, le timbre chaud, ambré et l’émission naturelle. Son Mi lusinga il dolce affetto est une élégie bouleversante, quasi parfaite, aux phrasés délicats. Il en est de même pour son Mio bel tesoro ou encore pour le Sta nell'ircana dont elle domine les vocalises. En revanche, le medium a semblé s’étouffer un peu dans Verdi Pratti.

Troisième interprète faisant ses débuts ce soir à l’Opéra, Jeanine de Bique affronte le rôle-titre. L’engagement de la chanteuse est total et sa maîtrise technique est indubitable. Malgré une projection modeste, parfois trop, elle parvient à moduler un superbe Si son quella et à bouleverser dans Ah mio cor, grâce notamment à de superbes variations dans l’aigu. On aurait aimé un Ombre pallide caractérisant davantage la fureur de la reine magicienne plus rageur mais la technique déployée par Jeanine de Bique y était impressionnante.

Le caractère très homogène de la distribution dont les voix se marient aisément, la qualité technique et théâtrale des interprètes, l’excellente direction d’acteurs et les couleurs chaudes et variées du Balthasar Neumann Ensemble ont assuré le succès de cette représentation, très applaudie au rideau.



Publié le 26 nov. 2021 par Jean-Luc Izard