Amadigi - Haendel

Amadigi - Haendel ©
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Les Paladins et la magicienne

Amadigi di Gaula, créé en 1715, fait partie des œuvres de jeunesse du Caro Sassone : le compositeur allemand n’a alors que trente ans. Il séjourne depuis cinq ans à Londres, où il s’est déjà taillé une belle réputation, grâce notamment au succès de son Rinaldo (1711). Comme pour son Teseo créé en 1713, il s’inspire d’un livret de la tragédie lyrique française. Mais il affirme désormais son propre style. Teseo suivait de près le livret de Quinault pour Lully, tant au plan théâtral (en respectant le découpage en cinq actes) qu’au plan musical (en insérant les arias da capo dans une trame déclamatoire à la française, qui tournait le dos à l’alternance marquée des airs et des récitatifs caractéristique de l’opera seria). Amadigi  est un véritable opera seria, en trois actes. Son seul lien visible avec l’inspiration française réside dans son intrigue. Celle-ci s’inspire d’ailleurs plus directement d’un livret d’Antoine Houdar de la Motte pour André Cardinal Destouches (Amadis de Grèce, créé en 1699) que du texte antérieur de Quinault pour Lully.

L’auteur du livret d’Amadigi n’est d’ailleurs pas connu avec certitude. Il est fréquemment attribué à Niccolò Francesco Haym. L’intrigue remaniée n’y gagne pas vraiment en clarté, son ressort dramatique manquant de lisibilité. Il ne faut pas oublier qu’elle était surtout le prétexte à renouveler les extraordinaires « machines », qui avaient tant fait pour le triomphe de Rinaldo auprès du public londonien. Après le dragon crachant le feu de Rinaldo, l’attraction principale de la mise en scène est cette fois constituée d’une véritable fontaine faisant jaillir l’eau ! Côté chanteurs Haendel aligne le castrat Nicolini (de retour à Londres après trois ans d’absence) dans le rôle-titre, et la soprano Anastasia Robinson (dont c’est le début d’une longue collaboration avec le compositeur) dans le rôle d’Oriana. Sans rééditer toutefois le triomphe de Rinaldo, Amadigi connut un certain succès, avec dix-sept représentations jusqu’en 1717, date à partir de laquelle il fut donné également à Hambourg, dans une version remaniée par Reinhard Keiser (et intitulée Almira), jusqu’en 1720.

L’une des particularités de l’œuvre est sa distribution réduite, puisqu’elle ne fait appel qu’à cinq chanteurs. Celle-ci, conjuguée à une durée assez courte, se prête bien à des représentations « de poche ». A notre connaissance cependant aucune production scénique récente n’avait été donné en France ces dernières années. D’où une impatience légitime à faire connaissance avec la production des Paladins, ensemble reconnu de la galaxie baroque, dans la mise en scène de Bernard Lévy.

La mise en scène réduit le décor à sa plus simple expression : un banc sur lequel Amadigi est étendu au début du premier acte, l’indispensable fontaine (ici factice !) au second acte. Trois grands panneaux (un au fond et un de chaque côté) ferment la scène, ils sont animés en permanence par des projections vidéo suggèrent les atmosphères par des couleurs, en dégradé ou en motifs géométriques, ou servent plus directement l’action : le mur de flammes, ou l’antre de la magicienne Melissa. La présence régulière des deux figurants souligne les temps forts de l’intrigue, dans laquelle ils s’impliquent par leurs mouvements et leurs actions. Dans ce décor sobre, les déplacements des chanteurs, précisément réglés, collent de près à l’action. Les costumes, relativement intemporels, mettent eux aussi davantage l’accent sur l’action que sur la période historique. Ce dépouillement assumé est donc assez réussi ; mieux même, il met en avant une action dont le fil originel ne brille pas par sa clarté.

Côté chanteurs les épidémies de l’hiver ont malheureusement sévi : le contre-ténor Rodrigo Ferreira (Amadigi) a dû renoncer à chanter ses airs, et Aurelia Legay (Melissa) est annoncée souffrante, comme le précise un communiqué lu avant le spectacle. Nous n’entendrons donc pas Rodrigo Ferreira dans son registre. Mais il assume courageusement et avec expressivité son rôle scénique, ainsi que les récitatifs, d’une voix franche et plutôt agréable de baryton. la mezzo Sophie Pondjiclis, qui a repris le rôle au pied levé, prend le relais pour les airs. Elle chante depuis un pupitre, sur le côté de la scène, tandis que Ferreira imite les mouvements de la bouche et du visage pour donner l’illusion du chant. Ce duo de la scène et de la voix est en définitive assez convaincant, d’autant que Sophie Pondjiclis pend également son rôle à bras-le-corps, allant jusqu’à se confronter sur scène à Melissa dans un époustouflant final du duo Crudel, tu non farai (acte II). Son expressivité vocale est incontestable : des attaques énergiques dans la scène du mur de flammes (Vado, corro al mio tesoro), une émotion palpable dans le legato ourlé de couleurs sombres de l’invocation O rendetemi il mio ben. Son air de la fontaine d’Amour (Sussurate, onde vezzose), aux ornements éthérés, est empli d’un éclat lumineux et charmeur. Notons encore le duo du troisième acte avec Oriane (Cangia alfine il tuo rigore), particulièrement réussi.

Malgré sa condition vocale présentée comme diminuée, Aurelia Legay incarne avec brio le rôle de Melissa. Les éclats fusent en cascade dès le premier air (Ah ! Spietato !), et elle fera également preuve d’un bel abattage dans le morceau de bravoure Vanne lungi dal mio petto au troisième acte. Elle nous livre un époustouflant final du second acte (Desterò dall’empio Dite), rivalisant avec trompette et hautbois dans une pyrotechnie de mélismes, longuement applaudie. Relevons aussi la force de sa présence scénique, en particulier lors de sa fin tragique au troisième acte.

Autre soprano de la distribution, Amel Brahim-Djelloul campe une Oriana tour à tour aimante, désespérée ou déterminée. Sa sicilienne Gioie, venite in sen est rehaussée d’ornements aériens qui scintillent parmi les somptueuses sonorités de l’orchestre. Le timbre s’embrume d’un voile de tristesse pour le désespéré S’estinto è l’idol mio, au second acte, quand elle croit son amant mort. Ce bouleversant lamento lui vaudra de généreux applaudissements. Soupçonnée ensuite d’infidélité, elle lance à Amadigi ses attaques acérées (Ti pentirai, crudel). Mentionnons encore le vaillant Ch’io lascio mai d’amare face à sa rivale Melissa, et l’émouvant Dolce vita del mio petto au début du troisième acte.

Séraphine Cotrez (Dardano) nous laisse sur un sentiment partagé. Son timbre d’alto est riche d’une large palette. Malheureusement les couleurs n’en sont pas très stables, ce qui aboutit à de fâcheux détimbrages. Les premiers airs manquent quelque peu de panache, en particulier dans les ornements, un peu plats, et le volume sonore est parfois trop faible (en particulier dans l’air Agitato il cor mi sento, chanté du fond de la scène et à peine audible). Pourtant le Pena tiranna (largement inspiré, sur un rythme plus resserré et à notre sens plus poignant, du célèbre Lascia, ch’io piango de Rinaldo) est admirablement exécuté, d’une projection généreuse qui relaie de beaux graves veloutés. Gageons qu’une meilleure maîtrise de la technique saura élever cette jolie voix à ses meilleurs niveaux.

L’orchestre Les Paladins constitue sans surprise un autre point fort de cette production. Toujours très attentif aux différentes atmosphères de l’intrigue, il tisse sans relâche la trame instrumentale sur laquelle viennent s’enchâsser les séduisants arias da capo de la partition. La courte sinfonia du second acte et la scène de la fontaine se développent dans une atmosphère enchantée et lumineuse, le panache est bien présent dans les airs de bravoure (Ti pentirai, crudel, Pena tiranna). Rappelons aussi la brillante intervention de la trompette de Guy Ferber dans l’air final du second acte. Sous la baguette inspirée de Jérôme Correas, la ligne musicale animée d’un vigoureux relief porte d’un bout à l’autre l’ouvrage. Du côté des instruments on retiendra tout particulièrement les sonorités onctueuses des cordes, et la présence sonore des hautbois de Vincent Blanchard et Guillaume Cuiller.

Cette belle production, copieusement applaudie par le public du théâtre de Sénart, entame une tournée qui la mènera prochainement au théâtre de l’Athénée (du 25 au 30 janvier), à celui de Maisons-Alfort (le 2 février), au théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines (les 6 et 7 février), à l’Opéra de Massy (les 16 et 17 février) et pour finir au théâtre impérial de Compiègne (le 8 mars) : n’hésitez pas !



Publié le 22 janv. 2019 par Bruno Maury