Ode à sainte Cécile, Haendel - Te Deum, Charpentier

Ode à sainte Cécile, Haendel - Te Deum, Charpentier ©Génération Baroque / Le Parlement de Musique © AMIA 2021
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Un programme festif et jubilatoire

L'Ode à Sainte Cécile (Ode for St Cecila's Day HWV 76) en ré majeur est une cantate-oratorio composée en 1739 par Georg Friedrich Haendel (1685-1759) sur le poème homonyme de John Dryden (1631-1700). 1739 est une année charnière dans la vie artistique du compositeur saxon. Ce dernier était sur le point d'abandonner l'opéra pour se consacrer à d'autres genres musicaux dont l'oratorio anglais. En 1738 Serse, un de ses plus beaux opéras quitte l'affiche après cinq représentations, Deidamia (1741), dernier opéra italien n'aura pas plus de succès. En fait ce n'était pas la qualité de ces opéras qui était en cause mais le public anglais ne s'y intéressait plus. Par contre le genre de l'oratorio, composé sur des paroles anglaises et traitant de sujets moraux ou religieux, avait de plus en plus la faveur du public comme le montra le succès éclatant de Saül tout juste représenté en janvier 1739. L’Ode à Sainte Cécile sera représentée le 22 novembre de la même année, jour de la fête de Sainte Cécile au Théâtre in Lincoln's Inn Fields de Londres. Cette œuvre obtiendra un grand succès qui ne se démentira pas les années suivantes. Mozart la dirigera en 1790 à Vienne pour le baron Van Swieten.

Dans cette apologie vibrante de la musique, Haendel va évoquer les instruments qui permettent à la musique d'exister, d'abord la voix humaine, celle d'Orphée ou de Jubal, son équivalent biblique, avec leur lyre mais également le violoncelle qui suscite ou apaise les passions, la trompette guerrière dont le son retentissant nous appelle aux armes ou nous convoque au Jugement dernier, le tambour tonitruant qui nous crie : Foncez sur l'ennemi, la flûte plaintive qui exprime la désolation des amours perdues, le chant funèbre murmuré par le tendre luth, les abimes de souffrance et l'ardeur de la passion que le violon clair et aigu proclame, la sonorité sacrée de l'orgue. Dans la conclusion, le Saxon va retrouver les accents épiques de ses plus grandes œuvres. La voix de soprano entonne un choral grandiose repris par le chœur et l'orchestre au complet. Une double fugue met un terme à l'œuvre dans une vision eschatologique : Les morts ressusciteront, les vivants mourront et la musique s'éteindra dans les cieux.

Le Te Deum H.146 en ré majeur de Marc-Antoine Charpentier (1643-1704) aurait été composé entre 1688 et 1698 à l'occasion d'une victoire obtenue par les armées du roi Louis XIV à la bataille de Steinkerke en 1692. A noter que dans son traité (Règles de composition, 1690), Charpentier définit la tonalité de ré majeur comme joyeuse et très guerrière. Ce Te Deum est un grand motet versaillais dans la ligne de ceux composés par Henry du Mont (1610-1684) (voir mon compte-rendu dans ces colonnes), Pierre Robert (1622-1699) et par Jean-Baptiste Lully (1632-1687) (voir la récente chronique de mon confrère). Ces grands motets dont la composition se poursuit jusqu'à la fin de l'Ancien Régime, sont une spécificité française, ils sont écrits pour un grand chœur, un petit chœur et l'orchestre. Les passages dévolus au petit chœur peuvent comporter de un à quatre solistes. Ces passages débouchent parfois dans le grand chœur sans transition et les solistes se fondent dans ce dernier. Les solistes restent donc tout le temps à leur place dans le chœur. Le motet de Charpentier est richement instrumenté : aux dessus, hautes-contre, tailles et basses de violons s'adjoignent deux hautbois qui en général doublent les violons, deux flûtes à bec qui ont un rôle bien plus indépendant, deux trompettes et le continuo. Tandis que les passages avec trompettes et timbales servent à glorifier Dieu le Père : Saint, Saint est le Seigneur, le Dieu des armées, les passages plus intimistes et plus doux sont dévolus à son fils Jésus-Christ. La section Te per orbem terrarum pour haute-contre, taille et basse est un des sommets du motet, elle commence par une Doxologie qui célèbre la sainteté du Père, du Fils et de l'Esprit Saint et se poursuit par une supplication : Jésus-Christ, roy de gloire, Vous êtes le fils éternel du Père, résolu à délivrer les hommes de l'esclavage. La section Te ergo quaesumus (Seigneur, nous vous supplions d'avoir pitié de vos serviteurs), solo de la voix de dessus simplement accompagnée par deux flûtes à bec et l'orgue, est un morceau enchanteur. Une fugue vibrante : In te, Domine, speravi (J'espère en toi, Seigneur) met un point final à cette œuvre.

Comme ce Te Deum présente certains aspects d'une suite de danses de cour, il a été restitué avec une chorégraphie originale, inspirée de l'histoire mais aussi d'un rêve contemporain, conçue par Pierre François Dollé et projetée ici par vidéo. Les figures du couple du danseur et de la danseuse (Gudrun Skamletz) et leurs évolutions se sont multipliées kaléidoscopiquement puis se sont condensées pour former une multitude de cristaux résonant avec les couleurs de la musique.

Francesca Sorteni est bien connue des amateurs strasbourgeois, elle s'est illustrée de nombreuses fois à l'Opéra National du Rhin notamment dans Mririda d'Ahmed Essyad où le rôle-titre lui fut attribué ainsi que dans Francesca da Rimini de Zandonai où elle prit magnifiquement le rôle de Biancofiore. Ce samedi soir, elle chanta le premier et le dernier air de l'Ode à Sainte Cécile. Le premier air était précédé d'un solo de violoncelle très virtuose (Pablo Tejedor Gutierrez). La voix de Francesca Sorteni à la superbe projection s'imposa d'emblée. Tous ceux qui se trouvaient alentour retinrent leur souffle...pour adorer ces accents célestes. Ces mots du poète Dryden destinés à Jubal, s'appliquaient parfaitement à la soprano. Quand elle entonna dans la dernière section le choral sans accompagnement, elle électrisa le public par la puissance de sa voix, la beauté de son timbre, l'étendue de sa tessiture et la pureté de ses aigus.

Valeria La Grotta que le public strasbourgeois avait découverte et applaudie dans le principal rôle féminin (Clarice) de Gli astrologi immaginari, un opéra bouffe de Giovanni Paisiello, chantait le deuxième air de l'Ode à Sainte Cécile, The soft complaining flute, un air en si mineur un peu mélancolique que la cantatrice italienne interpréta avec une belle voix au timbre très séduisant, un beau légato, de jolies vocalises sur le mot warbling (tendre) et beaucoup de sensibilité. Elle était accompagnée par le traverso au son enchanteur d’Eleonora Biscevic. L'air était également agrémenté de beaux solos du théorbiste Jonathan Funck qui nous régalait de ses arpèges. Le troisième air pour soprano était confié à Blandine Coulon, une artiste belge très prometteuse. Cet air était agrémenté d'une partie d'orgue (Dimitri Betti), originalité que Haendel avait déjà tentée trente ans auparavant dans Il trionfo del tempo e del disinganno. La soprano belge a chanté avec une très jolie voix, des notes qui selon le texte s'envolaient pour rejoindre le chœur des anges. Ajoutons que le timbre fruité de sa voix s'harmonisait parfaitement avec le son de l'orgue.

Les trois airs pour ténor étaient chantés par Carlos Arturo Goméz Palacio que le public alsacien avait beaucoup apprécié dans Diana de Reinhard Keiser et par Juan Elias Ongay accompagnés respectivement par la trompette éclatante de Pedro Henrique de Souza Rosa, les timbales valeureuses de Clément Charlon et le violon agile et inspiré de Stephanie Pfister. Le premier nommé a chanté d'une voix au timbre chaleureux et a étonné par l'étendue de sa tessiture dans un air au registre assez tendu. L'air chanté par le second évoluait plutôt dans le medium de sa tessiture et était agrémenté par de brillantes vocalises que le ténor exécuta à la perfection.

La plupart des artistes ayant participé à l'Ode à Sainte Cécile ont exécuté le Te Deum. Dans cette dernière œuvre se sont distingués également le haute-contre Brice Claviez-Homberg, la basse Marco Saccardin et deux dessus dont Séverine Wiot, merveilleuse soliste dans le beau et si tendrement expressif Te ergo quaesimus. En outre Barbara Hünninger a fait chanter sa superbe basse de viole avec grand talent, tandis que les flûtes à bec d’Eleonora Biscevic et Marie Lerbret nous ravissaient par leur tendre et bucolique ramage…

Pour terminer j'aimerais insister sur la performance du chœur et de l'orchestre. Avec un effectif de douze chanteurs, ce chœur m'a impressionné, il est constitué de musiciens qui, le temps d'un Te Deum, oublient qu'ils sont des solistes accomplis, voire des chanteurs d'opéra pour se mettre au service de l'œuvre dans un élan collectif. Les sopranos, au nombre de quatre m'ont enthousiasmé par leur puissance, leur précision et la pureté de leurs voix. Les mêmes compliments s'appliquent aussi aux ténors et aux basses. Les noms des choristes et des instrumentistes tous valeureux qui n'ont pas été cités dans ce texte, sont nommés dans la partie détails. L'orchestre aussi a fait montre d'énormes qualités dans les soli et les tutti et les cordes m'ont enchanté par la précision de leurs attaques, notamment dans les entrées de fugue. Il faut féliciter Stéphanie Pfister pour le travail remarquable qu'elle effectue avec cette phalange, ainsi que les trompettistes Pedro Henrique de Souza Rosa et Sanae Kimata. Depuis que j'entends ces fabuleuses trompettes baroques, je ne peux plus écouter autre chose tant je suis séduit par ce son serré, tendu et fin.

Merci à Martin Gester d'avoir produit, monté et dirigé ce fantastique concert que les artistes ont eu visiblement tant de plaisir à interpréter bien que les conditions sanitaires ne permissent pas de remplir la vaste nef du Temple Neuf. Merci à l'AMIA pour ce programme festif et jubilatoire qui seyait bien à ces retrouvailles entre les artistes et le public après un an d'interruption.



Publié le 02 juil. 2021 par Pierre BENVENISTE