Ariodante - G-F. Haendel

Ariodante - G-F. Haendel ©
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Les remplacements sont parfois de (très) bonnes surprises

Ariodante est un des (nombreux) mystères de l'histoire de la musique. Créé le 8 janvier 1735 dans le récent Royal Theatre de Covent Garden, l'opéra ne sera joué que onze fois. Une petite reprise l'année suivante, une production en 1928 à Stuttgart et enfin la résurrection à compter des toutes dernières années du XXème siècle. Depuis, l'œuvre est régulièrement à l'affiche et est considérée comme l'un des opéras les plus aboutis de Haendel.

C'est une version de concert de l'ouvrage que proposait le Théâtre des Champs Elysées. A la tête de l'English Concert, Harry Bicket tient également le clavecin. Le travail musical est d'une grande précision, les équilibres sont scrupuleux et Harry Bicket sait accompagner ses chanteurs avec générosité et suavité. Mais l'ensemble sonne finalement plus appliqué et honnête que réellement inspiré, même si certaines scènes sont d'une grande beauté.

Pour affronter cette partition particulièrement exigeante de Haendel, il faut une distribution hors pair, capable de relever le gant des interprètes de la création (Carestini, Strada del Pó, Negri,...).

Bradley Smith réussit à se faire remarquer dans le petit rôle de faire valoir du Roi d'Ecosse, qu'il saisit avec une belle énergie et un joli timbre de ténor. Sonia Prina incarne un Polinesso noir à souhait. La contralto, spécialiste de ce répertoire, est très à l'aise et joue son personnage comme au théâtre. La diction est, comme toujours avec elle, particulièrement travaillée. La voix est remarquablement noire et impose le personnage dès son premier Ginevra, totalement sinistre. La projection soutient de très beaux graves, bien timbrés et la technique est impressionnante. On regrettera seulement une intention de raillerie dans les vocalises de Se l'inganno qui rendent un son particulièrement inesthétique. Manifestement consciente de ce loupé, elle ne l'a d'ailleurs pas reproduit dans le da capo.

Le Roi d'Ecosse de Matthew Brook était à mes yeux le plus faible personnage de cette belle distribution. La diction est approximative, le chanteur manque des graves nécessaires au rôle qui est celui d'une vraie basse et l'interprète surjoue, qu'il s'agisse des sautillements du premier acte ou des excès de désespoir du second.

Mary Bevan possède une belle voix de soprano au timbre coloré et à la belle agilité. Ces qualités lui autorisent une Dalinda expressive et bien caractérisée même si le medium manque parfois un peu d'éclat. Mêmes qualités de timbre et d'agilité chez David Portillo, beau ténor qui met en jeu un Lurcanio juvénile et débordant d'énergie. La vaillance est évidente, la longueur de souffle permet de belles vocalises et quelques très beaux piani signent une belle composition.

La Ginevra de Christiane Karg constitue également une belle réussite. Timbre superbe, doux et caressant, aigus très joliment projetés, et une virtuosité sans faille servent une interprétation réussie dont on peut toutefois regretter qu'elle souligne trop la dimension victimaire et néglige un peu les éclats de la princesse outragée, injustement accusée.

Appelée pour remplacer Joyce di Donato, Alice Coote fait merveille. Elle saisit le rôle à bras le corps et fait de chacun des airs une leçon de chant. D'une élégance raffinée, dépourvu d'effets superflus, le chant fait oublier la technique remarquable qui le soutient et est tout entier dirigé vers l'expression, renouant avec le bel canto le plus pur. L'émission est puissante mais capable de nuances bouleversantes. Sommets de la partition et parfaitement servis par l'English Concert, Scherza, infida frémit de désespoir et de rage contenue et Doppo notte illustre les capacités pyrotechniques d'Alice Coote. Chacun de ses airs est salué par un public conquis qui, au final, lui fera un triomphe.



Publié le 23 mai 2017 par Jean-Luc Izard