Ariodante - Haendel

Ariodante - Haendel ©
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Une lecture musicale inspirée d’un chef d’œuvre de Haendel

Ariodante est la première création de Haendel pour le nouveau théâtre de Covent Garden qu’il a rejoint après avoir abandonné le King’s Theatre. L’œuvre ne connut à sa création qu’un succès d’estime, ne parvenant qu’à onze représentations, avant de disparaître (quasi totalement si l’on exclut la reprise de 1736 et celle de 1928) jusqu’à sa résurrection par Minkowski en 2001. Depuis, Ariodante est considéré comme l’un des chefs d’œuvre de Haendel et régulièrement repris sur les différentes scènes du monde lyrique.

L’œuvre est servie en premier lieu par un très bon livret (auteur inconnu), à la progression dramatique soutenue qui le distingue de la production baroque habituelle. L’argument est classique et annonciateur des grands émois lyriques du romantisme : un couple de jeunes amoureux aux prises avec les sombres manigances d’un rival qui abuse de la naïveté de l’amie du couple, manigances qui conduisent l’amoureuse à la folie et son amant aux portes du suicide, des duels, la mort du méchant et le triomphe de l’amour.

La partition regorge de véritables pépites, notamment les éclats virtuoses des amoureux comblés au I, les airs particulièrement noirs et soignés du rôle de Polinesso, le superbe Si morro de Ginevra au III et bien sûr le sublime lamento Scherza infida qui compte parmi les plus beaux airs de toute l’histoire de l’opéra. Des pages orchestrales superbes émaillent les trois actes, destinées à l’origine à la danseuse Marie Sallé.

Le concert de ce soir s’inscrit dans une tournée européenne comportant une série de dates rapprochées et dont le Théâtre des Champs Elysées constitue la troisième étape.

Bien entendu, la présence de Franco Fagioli à l’affiche remplit la salle. Mais c’est surtout la direction de Petrou qui a assuré le succès de cette soirée. A la tête d’Il Pomo d'Oro, il livre une lecture très vive, mais aussi très précise et très équilibrée, très respectueuse des équilibres, notamment avec les chanteurs. Comme très souvent, Il Pomo d’Oro est excellent : les couleurs des cordes sont admirables et les interventions des vents (dont l’effectif aurait pu être un peu plus important) sont autant de moments d’une grande beauté.

Le rôle d’Ariodante, écrit pour Carestini, demande des moyens exceptionnels et permet à Franco Fagioli de faire montre de sa virtuosité et de son talent. La facilité des vocalises, la difficulté des ornementations, la longueur du souffle, la musicalité, la largeur de l’ambitus (qui a semble-t-il encore gagné dans l’aigu) sont proprement époustouflantes. Tout juste soulignera-t-on une projection qui s’affaiblit un peu dans le medium (surtout au III) et des trilles un peu mécaniques et pas très beaux. Signes de fatigue ? Il n’en demeure pas moins que la prestation est stupéfiante avec un Scherza Infida comme suspendu et, peut-être encore plus impressionnant, un Dopo notte de toute beauté.

Lointaine successeure de Anna Maria Strada del Pò, Melissa Petit fait mieux que résister à l’écrasante prestation de Fagioli. La technique est excellente et lui permet d’assumer aussi bien la virtuosité du I que les grands lamenti du II et du III. Si les couleurs se modulent aux intentions de la soprano, le timbre est toutefois encore un peu vert et l’interprétation parfois un peu trop forcée.

Si Luciana Mancini a de réelles qualités vocales et possède bien les graves du rôle, elle n’est pas un Polinesso. Le timbre manque de noirceur et l’incarnation du personnage manque de conviction pour qu’on en ressente toute la noirceur et la fourberie. Enfin, l’émission est parfois un peu curieuse, les notes de passage étant assez mal assurées.

La naïveté de Dalinda est parfaitement rendue par Sarah Gilford qui est dotée d’un très beau timbre et d’aigus superbes. Elle semble toutefois souvent un peu mal à l’aise dans la virtuosité exigée par le chant baroque et je me suis demandé à plusieurs reprises si elle était bien distribuée ici ?

Nicolas Phan est un parfait Lurcanio. La voix est très bien projetée et déploie des couleurs chaudes sur toute la tessiture requise par le rôle. L’aigu est particulièrement intéressant, la ligne de chant très élégante et l’émotion très présente dans un chant conduit avec conviction.

Alex Rosen enfin est une très belle surprise. Son roi d’Ecosse est très percutant et il réussit à faire oublier son jeune âge pour servir ce personnage de monarque. La voix est exceptionnellement prometteuse, passant des graves timbrés et profonds à des aigus particulièrement solides et rayonnants. Son interprétation du personnage est très assurée et j’ai pris grand plaisir aux accents royaux du Voli colla sua tromba ou au désespoir dissimulé de Al sen ti stringo.

Ce fut donc une très belle soirée mais à laquelle il a manqué ce je ne sais quoi qui fait les grandes soirées et les représentations inoubliables. Peut-être la domination écrasante du plateau par Fagioli en est-elle une des causes ?



Publié le 11 nov. 2022 par Jean-Luc Izard