Armide - Gluck

Armide - Gluck © Stefan Brion : Véronique Gens, Florie Valiquette, Apolline Raï-Westphal, danseurs
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Quand les talents musicaux font oublier le fiasco d'une mise en scène

Histoire étonnante que celle de la composition d’Armide : Gluck, alors en proie à la concurrence sévère de Piccinni et de Mondonville, ayant fait le choix, plutôt très osé, de reprendre intégralement (ou presque) le livret de Quinault écrit pour l’Armide de Lully un siècle plus tôt. Le succès d’Armide puis celui du Roland de Piccinni quelques semaines plus tard (création le 17 janvier 1778), marqua le départ de « la guerre » des gluckistes et des piccinnistes. Le succès rencontré à sa création permit à Armide d’être jouée de façon régulière jusqu’à nos jours, avec des éclipses mais sans jamais disparaître totalement, et d’être fréquemment servie par des artistes de haut niveau (Meyerbeer, Wagner, Serafin, Toscanini, Muti, Caruso, Caballe…).

La princesse syrienne Armide domine les chevaliers croisés qu’elle détient en captivité. Tous sauf un, Renaud. Elle s’offre en mariage à celui qui triomphera de Renaud, alors que celui-ci vient de délivrer tous les chevaliers captifs d’Armide. Alors qu’Armide, par magie, réussit à capturer Renaud, elle tombe amoureuse de celui-ci et, toujours par magie s’assure de la réciprocité de cet amour. Le charme sera brisé par deux chevaliers et Renaud, libéré, abandonne Armide qui détruit son domaine et jure de se venger.

De cette histoire de magie, de sexe, de domination et d’amour, Lilo Baur se montre très embarrassée, pour ne pas dire complètement dépassée. On cherche en vain la lecture qu’elle a pu faire de cette histoire de passions : nulle magie, fort peu d’érotisme, des passions écrasées par une mise en scène totalement statique et une lecture sans imagination : les plaisirs et les monstres sont étrangement figurés de la même façon. La direction d’acteurs est indigente, laissant les protagonistes errer sur le plateau en écartant les bras et se concentrant sur des mouvements rotatifs des chœurs, soûlants et vaguement animés par les trois danseurs qui font ce qu’ils peuvent d’un plateau encombré et d’une absence de chorégraphie. Les décors ne sont pas laids mais ces assemblages métal-néon et cet arbre parfois mort parfois opulent ont déjà été vus mille fois. Les costumes sont laids, juste sauvés par le recours fréquent à de très belles couleurs. Restent les très belles lumières de Laurent Castaing qui signe de très beaux tableaux et qui sauve cette production du naufrage complet.

Miraculeusement, cette mise en scène ne ruine pas le spectacle.

Véronique Gens est immense en Armide. La diction est parfaite, le phrasé souverain et la maîtrise de la déclamation et du vocabulaire musical de Gluck est totale. Emouvante, terrifiante, redoutable, elle réussit à incarner toutes les facettes de son personnage dont la tessiture lui sied à merveille. Sans recourir à des effets ou des facilités, elle incarne Armide avec un naturel, une spontanéité très modernes mais qui assument totalement la filiation avec la tragédie. Elle conduit savamment son personnage jusqu’à la scène finale qui est proprement bouleversante.

Le Renaud de Ian Bostridge n’est malheureusement pas à la hauteur de cette incandescente Armide et le distribuer dans ce rôle est probablement une erreur. Si la diction est très convenable, l’émission est souvent très étrange, forcée comme si le rôle exigeait du chanteur des efforts surhumains. Le volume varie sous l’effort, et n’est parfois plus maîtrisé, ce qui s’avère particulièrement gênant dans le grand duo d’amour.


© Stefan Brion : Edwin Crossley-Mercer, chœur Les Eléments

Edwin Crossley-Mercer est un Hidraot imposant, royal. Son timbre riche et sombre convient parfaitement au personnage auquel il donne élégance du chant et pureté du style.

Anaïk Morel est une Haine hystérique et d’une méchanceté inquiétante. Emportée par les tempi un rien déraisonnables que lui impose Rousset, elle fait face aux écarts de tessiture et à la virtuosité du rôle avec succès. Les exigences de volume qu’appelle sa scène avec chœur l’obligent toutefois à sacrifier un peu sa diction.

Philippe Estèphe est très à son aise dans ce répertoire et il incarne son chevalier avec beaucoup de naturel et de conviction. Le timbre est beau et le style élégant, adapté aux exigences de la déclamation. Je suis moins convaincu par Enguerrand de Hys dont le timbre se plie assez mal à mon avis à ce répertoire. Les suivantes d’Armide, Florie Valiquette et Apolline Raï-Westphal, sont tout à fait adaptées à ces rôles légers auxquels elles prêtent des voix bien projetées et très agréables, avec, pour ma part, une préférence pour la première, dont le chant me semble plus abouti.

Le chœur Les Eléments délivre une superbe prestation. Tout particulièrement, son intervention dans la scène du sommeil confère à celle-ci une beauté très émouvante.

Christophe Rousset privilégie une lecture très dramatique de l’œuvre, exposant les passions dans un style qui annonce le romantisme. En totale cohérence avec cette lecture, il bouscule beaucoup les tempi mais parvient toujours à veiller à ses chanteurs qui sont plus stimulés que gênés par ce rythme. Il fait chatoyer les couleurs de ses Talents lyriques, en grande forme, et expose la beauté ineffable des vents.

Il faut aller écouter cette production de l’Opéra-comique qui est un évènement musical : la beauté de l’interprétation fait très rapidement oublier le regrettable raté de la mise en scène.



Publié le 14 nov. 2022 par Jean-Luc Izard