Bach et la joie - Le Concert de l’Hostel Dieu

Bach et la joie - Le Concert de l’Hostel Dieu ©J. Combier
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Une joie inspirée

Pour sa rentrée musicale, l’ensemble baroque lyonnais Le Concert de l’Hostel Dieu et son directeur artistique Franck Emmanuel Comte offrent un week-end de découverte autour de Jean-Sébastien Bach (1685-1750), sur le plateau de la Croix-Rousse, à Lyon. Outre des visites guidées et des conférences, le public lyonnais peut assister à deux concerts dans la très belle église baroque Saint-Bruno-les-Chartreux.

Le premier veut partager une certaine expérience du bonheur, quasi-omniprésente dans l’œuvre du très chrétien Cantor de Leipzig. Comme le bonheur n’est pas unique, se ressent et s’exprime sous de multiples formes, le programme de ce soir est construit autour de trois parties exprimant chacun une joie inspirée : Jubilation, Extase et Eternité. Pour interpréter les œuvres, la plupart des extraits de cantates, l’orchestre et le chœur du Concert de l’Hostel Dieu, sous la direction du letton Maris Kupčs, accompagnent en soliste la soprano canadienne Heather Newhouse.

La première partie invite donc le public dans une découverte de chœurs et airs qui manifestent une joie vive et expansive. Dès le Nun komm, der Heiden Heiland (Maintenant viens, Sauveur des gentils – Cantate BWV 61), les instrumentistes font preuve d’une bonne articulation, ce qui est moins le cas des choristes, dont le son tourne facilement dans le volume de l’église. La compréhension du texte n’est donc pas évidente, malgré l’accompagnement instrumental attentif et équilibré. Cette qualité, on sent de suite qu’elle est impulsée par le premier violon, le cubain Reynier Guerrero. Ses intentions nuancées, grâce à la fluidité de son archet, se remarquent particulièrement dans son duo avec la soprano dans l’air suivant, Wenn die Frühlingslüfte streichen (Quand la brise du printemps passe – Cantate BWV 202). On apprécie aussi la douce voix – mais bien projetée – de Heather Newhouse et surtout son attention au texte, par sa diction impeccable. Sa présence est charmante, quoique peut-être un peu trop retenue, exprimant davantage un plaisir sincère qu’une véritable jubilation. Dans le Exultavit spiritus meus (Et mon esprit a exulté – Magnificat BWV 243), la soliste canadienne se montre à l’aise dans toute sa tessiture, bien qu’on ait l’habitude d’entendre ce bel air avec plus de brillance et un souffle plus libéré. Peut-être le tempo choisit est-il un peu trop lent. Le chœur intervient de nouveau pour Schwingt freudig euch empor (Elevez-vous avec allégresse – Cantate BWV 36), qui clôt cette première partie. A côté d’un ensemble instrumental de qualité, le chœur – particulièrement les voix aiguës, surtout les ténors –, semblent manquer d’assurance, d’où une diction imparfaite et une impression de manque d’homogénéité des voix. Les voix graves, particulièrement les altos, sonnent par contre très bien.

La deuxième partie de concert se veut plus introvertie et personnelle avec pour mot d’ordre « extase ». Accompagnée du jeu impeccable et de la musicalité touchante de Reynier Guerrero, la tendre Heather Newhouse réussit à conduire toutes les phrases de son air Auch mit Gedämpften schwachen Stimmen (Même avec une voix douce et voilée – Cantate BWV 36), bien que l’on sente que son souffle reste limité. Toutefois, ses intentions et son interprétation correspondent bien mieux à cet état de bonheur. Dans le choral du veilleur Wachet auf, ruft uns die Stimme (Réveillez-vous, la voix nous appelle – Cantate BWV 140), les deux violons aux archets très bien coordonnés jouent des ondulations décidées – voire trop. Le chœur est admirable de justesse dans le chœur suivant, quasi a capella, accompagnés du seul et discret orgue portatif que joue le chef Maris Kupčs. Toujours, il est dommage qu’il manque de précision pour apprécier les couleurs proposées. Une petite pause instrumentale est offerte avec l’Adagio du Concerto pour cordes, violon et hautbois BWV 1060. Les intentions de la hautboïste Elisabeth Passot sont assurément belles et agréables, mais n’égalent pas celles de son voisin violoniste, qui sont colorées, convaincantes et pleine de respirations apaisantes. Il est certain qu’ici l’auditeur est emmené dans une sorte de méditation sereine et heureuse ; c’est l’extase. Maris Kupčs prend ensuite en main le chœur en lui impulsant d’une direction ferme ses intentions, tout en jouant de sa main droite. Les choristes font alors ici preuve d’un effort tout particulier de la diction et leurs intentions sont palpables grâce à de jolis contrastes.

Enfin, le bonheur continue dans l’éternité qui suit le passage apaisé de la mort, début d’un nouveau voyage de l’âme, éternel. Le chœur entonne le beau Gute nacht (Bonne nuit – Jesu meine Freude, BWV 227), avant que la soprano et le premier violon capte tout à fait l’attention des spectateurs par les doux et subtils contrastes du Bereite dir Jesu (Prépare, Jésus – Cantate BWV 147). Nouvelle pause instrumentale avec le sublime air de la Suite n°3 BWV1068. Les basses avancent et ne traînent pas, tout en laissant les violons et l’alto chanter, dans un sentiment de bonheur et non de tristesse. Le programme se termine par un Weicht, ihr Trauergesister (Reculez, vous esprits de tristesse – Cantate BWV 227) sonore, instrumentistes et choristes engagés, avec toutefois une douce et belle phrase finale « Jesu meine Freude » (Jésus, ma joie).

Ravi de cette soirée de qualité, le public réclame un bis ; ce sera le célèbre Jesu, bleibet meine Freud (Jésus que ma joie demeure) qui, malgré les gestes du chef, restera un peu sage, loin d’être jubilatoire mais plutôt proche d’un bonheur apaisé.



Publié le 23 oct. 2017 par Emmanuel Deroeux