Baroque vers le futur - Escapades

Baroque vers le futur - Escapades ©Raymond Dimbongi
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Quand le baroque s’invite chez vous

Un concert de musique baroque dans une cour parisienne, annoncé par quelques discrètes affichettes dans des devantures de commerçants du 10ème arrondissement : de quoi aiguiser notre soif de concerts, après la fin précipitée des saisons de concerts et les nombreuses annulations de festivals d’été suite à la pandémie. D’autant que son programme piquait notre curiosité : y voisinaient aux côtés de compositeurs célèbres comme Bach ou Haendel, d’autres plus confidentiels comme Corrette ou Rebel, ainsi que des pièces espagnoles du XVIIème et des airs populaires du XVIème siècle rarement entendus.

Après le respect des gestes d’hygiène de rigueur (masques, gel), le public - essentiellement des habitants des immeubles adjacents - s’installe très librement au sein de la petite cour rectangulaire, tantôt sur des chaises, tantôt allongé sur des couvertures placées à même le sol, tantôt debout. Il écoute avec intérêt la présentation de Blandine Commerçon : Baroque vers le Futur constitue une invite au voyage parmi les répertoires anciens. Remontant la chronologie temporelle, il débute par la période la plus récente, le XVIIIème siècle, et se poursuit par le répertoire espagnol des XVI et XVIIèmes, pour s’achever sur la musique de la Renaissance.

La musicienne présente également la première pièce, une variation de Michel Corrette sur le célèbre Air des Sauvages de Rameau (Les Indes galantes). Elle la resitue dans la pratique baroque : la reprise d’un air par un autre compositeur constitue une sorte d’hommage à son inventeur, et témoigne du succès du morceau originel auprès du public. Cette ouverture présente aussi l’avantage de mettre en confiance le public en lui offrant un thème musical qu’il connaît (et qu’il accueillera du reste chaleureusement). Elle mobilise également la formation au complet, et tout particulièrement la flûtiste Jeanne Truong, qui manie avec aisance la stridente flûte sopranino dans la dernière reprise.

La Biscayenne de Marin Marais brille des attaques inspirées des deux basses de viole, accompagnées par le clavecin. Une flûte légère et moelleuse anime les Menuets de Haendel ; elle se fait plus incisive, presque sautillante, dans Les Tambourins de François Rebel, aux côtés du dessus et de la basse de viole, cette dernière égrenant des notes formées a mano par Jean-Marie Chevalier, dans un morceau qui remporte un beau succès auprès du public. Le violiste en profite pour donner quelques explications sur cet instrument, composante essentielle de la musique française aux XVII et XVIIIème siècles, avant de tomber dans un relatif oubli au siècle suivant. L’Allemande qui suit, attribuée à Antoine Forqueray, offre un bel exemple de leur chant expressif.

N’y avait-il pas quelque audace, de la part de l’ensemble Escapades, à inscrire à son programme la célèbre Badinerie de Bach, illustrée par d’excellents enregistrements réalisés par des formations plus prestigieuses ? Dans la petite cour cernée de murs, la magie de Bach opère, et le public séduit ne ménage pas ses applaudissements pour ce brillant final de la première partie du concert.

La seconde, nous l’avons dit, est tournée vers le répertoire espagnol des XVI et XVIIèmes siècles. Elle nous offre également un autre visage de l’ensemble Escapades, avec Jeanne et Blandine au chant, tandis que Jean-Marie Chevalier taquine sa viole a mano, à la manière d’un luth ou d’un théorbe, pour Yo soy la locura (Je suis la Folie) d’Henry de Bailly. Les variations sur Guárdame las vacas servent de prélude instrumental au morceau originel de Luis de Narváez, chanté par tous les membres du groupe au son d’une flûte virevoltante, pour le plus grand plaisir du public, qui le gratifie de chaleureux applaudissements.

Sophie Rigaut nous glisse ensuite quelques mots sur le clavecin, apparu au XVème siècle, et dont l’âge d’or se situe aux XVII et XVIIIIèmes siècles, avant de nous gratifier d’un court morceau solo. La sonorité de l’instrument est malheureusement un peu faible, et il faut tendre l’oreille pour pleinement l’apprécier. Retour ensuite au chant, avec No ay en la tierra, lancé par deux voix féminines, que rejoignent ensuite les instruments. La Furstemberg, dont le rythme plein de noblesse mobilise l’ensemble des instruments, sera également très applaudi.

La dernière partie du concert débute par une pièce instrumentale du XVème siècle, extraite du Fundamentum organisandi. Elle est suivie d’un joyeux air italien à peine postérieur, E me levai d’una belle mattina, chanté par Blandine Commerçon, qui ravit le public. Il en sera de même pour la pièce espagnole qui lui succède, le Tenor de passo e mezzo, emmené par le chant des violes. Un air traditionnel français s’intercale ensuite : La fille au Roy Louis narre l’histoire d’une princesse amoureuse d’un pauvre chevalier, que son père emprisonne pour l’empêcher de l’épouser. Après de nombreuses aventures (en partie écourtées pour les besoins du concert) l’amour triomphera bien entendu ! Blandine Commerçon incarne le narrateur et la princesse, tandis que Jeanne Truong tient le rôle du roi (tout en jouant de la flûte entre deux répliques, bravo pour ce petit exploit !). A quatre siècles de distance, cet air aux échanges animés semble susciter la même ferveur du public.

Avant de jouer le dernier morceau du programme, Jeanne Truong nous présente les différentes exemplaires de flûtes à bec qui l’accompagnent, mentionnant aussi l’existence de flûtes basses de grande taille (comme nous avions pu en entendre lors du concert de l’ensemble Palisander au Festival d’Ambronay l’an passé – se reporter à notre compte-rendu).

Le Fandango du Padre Soler nous ramène à la fin du XVIIIème siècle, bouclant ainsi ces pérégrinations temporelles. Les musiciens sont enthousiastes, n’hésitant pas à souligner le rythme par des claquements de mains, et à ponctuer le final d’un joyeux Olé ! L’enthousiasme s’est sans peine communiqué au public, qui se répand en applaudissements et réclame un bis. Pour celui-ci l’ensemble choisit de nous faire entrevoir un nouveau répertoire avec Le soleil se couche à l’Ouest (traduction), chanson traditionnelle norvégienne aux doux accents.

Une quête est organisée auprès des spectateurs, et un buffet sommairement dressé contre un mur, les invite à poursuivre ce moment musical dans une franche convivialité. Dans cette atmosphère informelle, les spectateurs examinent de près les instruments, échangent avec les musiciens : certains connaissaient déjà la musique baroque, d’autres l’ont découverte lors du concert. Visiblement le programme a suscité l’intérêt et la curiosité, contribuant ainsi à faire connaître la musique baroque.

Soulignons au passage la démarche originale de l’association J’irai créer chez vous – Les Concerts suspendus, qui propose, comme son intitulé le suggère, des concerts (pas seulement baroques…) et autres spectacles vivants dans des lieux privés. Afin de créer du lien social et artistique, les habitants sont intégrés à leur préparation et à leur bon déroulement. Vous pouvez ainsi, si vous le voulez, partager un concert ou un spectacle avec vos voisins d’immeuble ou de rue, en la contactant à l’adresse suivante : jiraicreerchezvous@gmail.com.



Publié le 20 août 2020 par Bruno Maury