Morir cuerdo y vivir loco

Morir cuerdo y vivir loco ©Valérie Godefroy
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Les riches heures de Cervantès

Après les airs napolitains chantés la veille par Max Emanuel Cencic en ouverture du Festival, quoi de plus naturel que de se plonger un moment dans cette Espagne du Siècle d'Or, dont Naples était une possession ? En cette année anniversaire des quatre cents ans de la mort du grand Cervantès, le jeune ensemble Boz Galana a choisi de nous restituer des airs cités dans les œuvres de cet auteur. Car comme nous l'expliqua Louis Capeille lors d'une petite pause à mi-concert, les œuvres de Cervantès comprennent de nombreuses citations d'oeuvres musicales, souvent des romances. La plupart datent du XVIème siècle, période à laquelle Don Quichotte est censé se dérouler. Boz Galana est donc parti à la recherche de ces œuvres, dont il a parfois retrouvé les partitions. Quand celles-ci n'étaient pas disponibles, les paroles ont été adaptées sur la musique d'un autre texte. Certaines de ces musiques correspondent à des chansons populaires, ou sont inspirées de thèmes populaires. Parfois la mélodie est improvisée, en forme d'ostinato, à partir d'un thème. Les textes sont eux tirés d'extraits de Cervantès ou de ses contemporains. La prononciation utilisée est celle de la langue espagnole à l'époque. Parmi les instruments on peut noter la présence de la vihuela, sorte de luth fort en usage en Espagne à cette période.

D'une voix bien posée à la diction expressive, le baryton Sebastian Leon amorce une lecture qui nous place aussitôt dans l'atmosphère de Cervantès : Es un lugar de la Mancha.... La jeune mezzo Aura Gutiérrez enchaîne avec de beaux aigus célestes, tandis que le chant des instruments se déploie. On remarquera du reste tout particulièrement durant le concert la richesse des effets sonores de cet ensemble réduit, dont les cinq instruments produisent sans peine l'impression d'une formation beaucoup plus étoffée. Ainsi la harpe à double cadre permet de jouer à la fois chant et accompagnement, comme le montre avec maestria Louis Capeille dans la Gallarda milanesa qui suit, rythmée par la guitare impérieuse de Ricardo Leitao-Pedro, ou encore dans le Canto del Caballero. Dans le Donde estas, senora mia, baryton et mezzo se donnent la réplique de manière très expressive, soutenus par la harpe et le dessus de viole. La guitare se joint à eux pour le Madre, la mi madre, avec de beaux graves charnus de Sebastian Leon et une pointe d'acidité dans la voix d'Aura Gutiérrez. Les deux chanteurs enchaînent sur une chanson populaire, Al vilano se la dan, dont le rythme insistant souligne la verve comique.

Le son doux de la vihuela apporte délicatement la note triste du Mientras que al triste, sur lequel la voix de la mezzo s'élève progressivement en une longue plainte, à laquelle répondent les graves veloutés du baryton, dans une sorte de lamento à double voix. Aura Gutiérrez nous offre ensuite un beau solo dans la romance Oh, tu que estas en tu lecho, dissipant rapidement des débuts mal assurés par des aigus aisés, aux jolis reflets cuivrés, qui lui attireront des applaudissements mérités. A son tour Sebastian Leon s'illustre dans le Marinero soy de amor, passant sans difficulté de la déclamation au chant, des graves aux aigus, avec un timbre toujours solide et une projection énergique. Harpe et vihuela se répondent ensuite, rejointes par les violes et couronnées par le dessus de viole virtuose de Soma Salat-Zakarias, qui se livre là à une belle démonstration de son savoir-faire.

Le programme s'achève sur la joyeuse et brillante chaconne Entren pues, todas la ninfas (Qu'entrent maintenant toutes les nymphes), menée à un rythme endiablé par Sebastian Leon, qui en ponctue le rythme à grands coups de castagnettes ! L'atmosphère festive subjugue rapidement l'ensemble du public, sous les rayons déclinants d'une rare journée ensoleillée... Tonnerre d'applaudissements !

Suivent les rappels. Pour le premier Louis Capeille nous remémore que cette année marque également le quatre centième anniversaire de la mort d'un autre grand auteur de la littérature, William Shakespeare, et nous propose un texte mis en musique tiré de As you like it (Comme il vous plaira), dans lequel le dessus de viole montre encore une fois son jeu incisif et aérien. Le second rappel reprend l'inévitable chaconne finale, avec encore une fois le désopilant numéro de castagnettes de Sebastian Leon.

Ce programme chaleureusement accueilli montre assurément combien la musique espagnole des XVI et XVIIèmes siècles gagne à être connue dans notre beau pays. Souhaitons qu'un enregistrement permette à ceux de nos internautes qui n'auront pu y assister de partager ces agréables moments, et à l'Ensemble Boz Galana de présenter ce beau spectacle dans d'autres salles de l'Hexagone.

Publié le 30 mai 2016 par Bruno MAURY