Concertos brandebourgeois - Bach

Concertos brandebourgeois - Bach ©Wolf Silveri
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Ce n'est pas l'instrument qui fait la musique, mais la tête !

Dans les années 1970, une nouvelle génération de musiciens spécialisés en musique baroque a commencé a mesurer qu’il n’était pas possible (voire pas forcément désirable !) de reconstituer les interprétations des musiciens des XVIIe et XVIIIe siècles, comme le voulait la démarche poursuivie au début du mouvement de redécouverte de la musique baroque, initié dans les années 1950 à partir d’instruments anciens utilisés pour recréer un son perdu. Dès lors on a généralement accepté qu’il n’y a pas d’enregistrements des musiciens de cette époque, et que par conséquent on sera toujours dans la supposition ; même si l’étude des traités et des sources historiques indiquent assez précisément ce qui convient et ce qui ne convient pas à cette musique, mais toujours avec le point de vue subjectif de l’interprète.

La phase première de ce mouvement de redécouverte, qui visait l’authenticité des instruments et des interprétations, a ainsi évolué vers l’interprétation historiquement informée. Son but est la compréhension du message du compositeur à travers sa musique, et sa restitution par les musiciens actuels sans écarter leur regard personnel sur l’œuvre. A un moment où les interprétations de plusieurs ensembles commençaient à trop se ressembler, Reinhard Goebel a fait irruption en 1973 sur la scène musicale baroque, en incarnant cet idéal avec une personnalité musicale jamais entendue auparavant. Son ensemble Musica Antiqua Köln, qu’il dirigeait depuis son violon, est devenu très vite le plus important ensemble baroque en Allemagne et un des plus importants en Europe. Il enregistra un vaste répertoire allemand de musique de chambre et orchestral, toujours éclairé par la recherche de l’esthétique de chaque compositeur à partir d’une étude profonde des sources, et joué avec un degré d’exigence technique particulièrement élevé.

Après avoir enregistré la quasi-totalité de la musique instrumentale de Bach (y compris les célèbres Concertos Brandebourgeois), Reinhard Goebel dissoudra son ensemble au début du XXI siècle et s’orientera vers la direction d’orchestre, toujours avec des instrumentistes de haut niveau mais disposant d’une formation traditionnelle et prêts à aborder les répertoires de l’époque baroque avec une optique historiquement informée.

En tant que violoniste, Reinhard Goebel consolida toute une école de violon baroque, l’école de Cologne : celle-ci privilégie un son généreux, des tempi vigoureux et un soin presque chirurgical de la justesse et de la précision rythmique ; des caractéristiques assez proches en définitive de la grande tradition symphonique allemande, telle qu’incarnée, par exemple, dans les Berliner Philharmoniker de Karajan.

Le 18 mai dernier, Reinhard Goebel et les Berliner Barock Solisten (formation née des Berliner Philharmoniker, mais dédiée exclusivement à l’interprétation de la musique du XVIIIe siècle) ont montré que « ce n’est pas l’instrument qui fait la musique, mais la tête ! » (Reinhard Goebel), avec leurs Concertos Brandebourgeois joués devant une salle comble, avide de redécouvrir ce trésor du XVIIIème siècle, sommet de la musique baroque et de la musique tout court.

Une vingtaine de solistes de flûte, hautbois, basson, cors, trompette, violons, altos, violoncelles, violes de gambe et clavecin ont offert un banquet sonore avec ces Brandebourgeois pétillants, dans lesquels Reinhard Goebel mobilise avec maestria, énergie, précision et clarté une perfection technique hors normes au service de la musique de Bach. Dans ce concert donné à l’Opéra Royal de Versailles, sa lecture de cette partition n’a pas beaucoup varié par rapport à son mythique enregistrement avec Musica Antiqua Köln (1987), et la musique de Bach n’a pas davantage vieilli depuis les années 1720 : elle continue à se montrer surprenante, nouvelle et vivante trois cents ans après avoir être écrite !

Martin Funda, premier violon, a montré dans ses solos une maîtrise totale de son archet et du vibrato - ce qui est le plus difficile à contrôler après avoir suivi une formation du violon moderne, notamment dans le Concerto n°4 aux redoutables difficultés techniques. Julia Gartemann, deuxième alto dans le Concerto n°6 pour deux altos, deux violes de gambe et basse continue, a produit un son puissant et particulièrement expressif. Les trois violoncellistes ont offert une transparence admirable dans le Concerto n°3, archétype de la géométrie baroque avec ses neuf solistes de cordes (trois violons, trois altos et trois violoncelles). Dans le Concerto n°5 , Léon Berben, collaborateur de longue date Goebel chez Musica Antiqua Köln, a joué ce qui a été probablement le premier concerto comportant un solo de clavecin, dans une œuvre qu’il possède à la perfection. Dans le final du Concerto n°2, trompette, hautbois, et violons ont chacun brillamment rivalisé avec les autres parties.

Avec les instruments d’époque, Reinhard Goebel a poussé jusqu’aux limites de l’interprétation historique grâce à un style unique qui marque une discographie de référence. Avec des ensembles modernes, il montre que la musique dépasse les instruments, les tendances et les modes. En franchissant les frontières qu’il avait autrefois défendues, Reinhard Goebel s’est installé pour la postérité comme un des musiciens les plus importants de notre époque, au parti pris toujours radical : il a bouleversé la scène musicale du XXème siècle, et transforme celle du XXIème siècle.



Publié le 06 juin 2019 par Darío Moreno