Mein Herze schwimmt im Blut - Bach, Graupner

Mein Herze schwimmt im Blut - Bach, Graupner ©Jean-Baptiste Millot
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Amour et rivalité de Leipzig avec le Café Zimmerman

En mars 2018, le Baroque amoureux résonne dans Marseille. Ce soir, le Festival Mars en Baroque invite l’ensemble Café Zimmerman au Temple Grignan pour un programme autour de trois grands compositeurs allemands du XVIIIe siècle.

Cette année, le cœur de la culture provençale succombe à l’Amour. Thème indéniablement riche et délicieux, il inspire au Festival Mars en Baroque un programme éclectique et passionnel. Ce soir, au Temple Grignan, c’est l’Amour religieux qui est offert au public marseillais : repentance et pardon, quand le pêcheur trouve la rédemption en l’Amour de Dieu. L’ensemble Café Zimmermann, fondé en 1999, a choisi son nom en hommage à l’établissement de Leipzig où nombre de talentueux musiciens de l’Europe entière ont pu se rencontrer, partager leur passion et leurs talents. Si les huit musiciens qui constituent l’effectif de ce soir sont de sérieux passionnés, ils ne manquent néanmoins pas d’humour et constituent le programme de ce soir à partir d’une anecdote fort amusante au regard d’un mélomane d’aujourd’hui : au début des années 1720, l’église luthérienne Saint-Thomas de Leipzig recherche un nouveau cantor. Parmi les cinq candidats, leur premier choix, le très talentueux Georg Philipp Telemann (1681-1767), est déjà fort occupé à Hambourg ; leur second choix, Christoph Graupner (1683-1760) ne peut quitter son poste à Darmstadt. Malchanceux, les administrateurs doivent donc « se contenter du médiocre » et opter pour leur dernier choix, le certes talentueux mais trop intellectuel et déjà démodé Jean-Sébastien Bach (1685-1750). Nous entendrons alors ces trois compositeurs lors du concert de ce soir.

Le programme est construit autour de deux cantates mettant en musique un même texte de Georg Christian Lehms, Mein Herze schwimmt im blut (Mon cœur baigne dans le sang), inspiré de la parabole du pharisien et du publicain. Graupner est le premier à écrire sa cantate en 1712 à Darmstadt, suivi de Bach en 1714 à Weimar. On ignore s’ils avaient connaissance de l’œuvre de l’autre, mais la mise en perspective est indéniablement intéressante, nous plaçant en quelque sorte à la place des administrateurs de Saint-Thomas dans cette inévitable comparaison.

Pour débuter le concert, le Café Zimmermann offre le Quartet en sol majeur TWV 43:G5 de Telemann. Chaque musicien paraît certes bien concentré mais il se passe bien quelque chose entre eux : on y sent l’attention de chaque ligne mélodique et le soin d’un son qui se veut homogène tout en laissant libre l’expressivité de chaque instrument. C’est alors que, soutenues par des basses bien rondes et présentes de Petr Skalka et Davide Nava, les harmonies malicieuses et les élans contrapuntiques se mélangent dans une intelligence qui permet à l’oreille de distinguer toutefois chaque partie sans effort. Cette première œuvre est l’occasion de remarquer les timbres et les intentions des deux violons particulièrement différents : le violon 2 de Mauro Lopes Ferreira sonne engagé, l’archet souvent bien appuyé sur la corde, alors que le violon 1 de Pablo Valetti est beaucoup plus léger, voire nonchalant, dans une musicalité patente, indubitablement grande mais intérieure. Niveau équilibre, on est souvent habitué à l’inverse et aurait pu souhaiter un peu plus d’engagement du premier violon pour apprécier davantage sa virtuosité et sa connaissance du répertoire.

Après cette belle mise en bouche, la jeune et ravissante soprano Norma Nahoun s’avance sur le devant de la petite scène pour la Cantate de Graupner. Dès le récitatif introductif, sa voix cristalline envahit aisément tout l’espace du temple. La chanteuse se montre toutefois moins à l’aise lors de l’aria suivant : peu soutenue par le doux accompagnement de l’ensemble, sa vigilance quant à la justesse et à la conduite de ses phrases, tout en gardant une couleur homogène, semble être encore trop grande pour se libérer de la technique. Elle se rassure toutefois lors du récitatif suivant, en usant de la puissance de sa voix, sans doute un rien exagérée pour un récitatif, ainsi qu’avec un effectif si réduit et une acoustique si flatteuse. Après le choral Ich, dein betrübtes Kind (Moi, ton enfant affligé), la soprano se vêt d’un sourire et son visage se fait plus communicateur, surtout dans le bel air final Wie freudig ist main Herz (Comme mon cœur est joyeux).

En guise de pause instrumentale, Pablo Valetti, Petr Skalka et Céline Frisch se retrouvent en trio pour la Sonate pour violon et basse continue BWV 1021 de Bach. Ils y démontrent des intentions communes, par des respirations et des regards discrets mais en osmose. Avec beaucoup de finesse et d’intelligence, chacun fait preuve de couleurs et de phrasés réfléchis et concertés.

La scène accueille ensuite une autre soliste, instrumentale cette fois, en la jeune hautboïste Katharina Andres. On apprécie son soin du soutien et à l’attention de tout instant de la justesse de son instrument, souvent difficile. Cette vigilance est sans doute parfois un obstacle à la si belle expressivité que l’on aurait attendu à l’écoute de cette œuvre. L’instrumentiste paraît même comme manquer de souffle dans le lent deuxième mouvement, où elle semble être mal à l’aise dans le tempo choisi.

Pour la Cantate composée par Bach, le public retrouve Norma Nahoun qui semble plus à l’aise, certainement connaissant plus l’œuvre et le style du célèbre cantor de Leipzig que l’oublié Graupner. Si l’interprétation semble ici plus libérée et investie, il est certain que cette version de la parabole paraît certes moins accessible, par le traitement des lignes mélodiques et surtout du texte même avec ces mélodies, mais bien plus aboutie, pour ces mêmes raisons. Comme précédemment, il est néanmoins dommage que Katharina Andres semble gênée par la justesse de son instrument, qu’elle ajuste comme elle peut et très bien.

Pour remercier les chaleureux applaudissements du public, l’ensemble offre en bis un air triste mais très joli, en le laissant deviner le titre et son compositeur, choisi parmi les trois candidats au poste de Leipzig. C’est ainsi, après cette dernière écoute en aveugle, que les spectateurs repartent libres d’apprécier les talents de ces grands artistes et la décision des administrateurs de Saint-Thomas, douloureuse peut-être hier mais bienheureuse pour nous aujourd’hui.



Publié le 26 mars 2018 par Emmanuel Deroeux