Cantate Singulière autour de Bach - Ensemble Baroque de Toulouse

Cantate Singulière autour de Bach - Ensemble Baroque de Toulouse ©Festival de Froville - Ensemble Baroque de Toulouse - JS.SD
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Chaque année, et ce depuis vingt et un ans, l’église romane de Froville (village de 120 âmes dans le bayonnais en Meurthe et Moselle) est témoin de « miracles musicaux ». L’édifice accueille le Festival international de musique sacrée et baroque de Froville.
Sous l’impulsion d’une nouvelle équipe, il se dote d’une programmation riche et variée tant par les œuvres interprétées que par le nom des ensembles s’y produisant cette saison. Il est placé sous le regard bienveillant de la Marraine d’honneur, lorraine d’origine, Nathalie Stutzmann, contralto et chef d’orchestre que nous aurons plaisir d’entendre le 10 juin, en ce même lieu, à la tête de son ensemble Orfeo 55.
La direction artistique a été confiée à la soprano Laure Baert qui a finalisé la programmation 2018 en trois mois alors que certains artistes ont un agenda complet sur trois ans. Ce défi démontre l’énergie et la force de conviction dont dispose la directrice artistique. Laure Baert a mis sa renommée au service du festival : nous la remercions sincèrement. Selon les propres termes de l’administrateur de l’Ensemble Baroque de Toulouse, Charlie Mivielle, « le Festival de Froville est une indispensable perle dans le paysage baroque. ». C’est pourquoi nous, public de Lorraine et d’autres contrées, devons soutenir de par notre présence, notre fidélité ce joyau musical…

En ouverture de la XXIème édition, le festival accueille l’Ensemble Baroque de Toulouse fondé par son directeur actuel, Michel Brun. Conjointement, les musiciens concentrent leur énergie sur la musique ancienne, depuis Monteverdi jusqu’à Haydn, avec une prédilection pour celle du Cantor de Leipzig. L’esprit novateur les pousse sans cesse à créer des projets hors des sentiers traditionnels du baroque : Watermusic en nocturne sur une péniche, un Orphée imaginaire dans une grotte,... Michel Brun voue une « passion » à Jean-Sébastien Bach (1685-1750) en créant l’intégrale des Cantates en 2007 puis le festival Passe ton Bach d’abord à Toulouse l’année suivante.
Nous cernons mieux les contours du concert « particulier », intitulé Cantate Singulière, auquel nous assistons ce soir. Le Baroque rencontre le Jazz par de subtiles incursions du Duo Cirla-Trolonge.
Leur rencontre est née du plus pur des hasards. Assistant à une répétition de l’Ensemble Baroque de Toulouse, Isabelle Cirla et Joël Trolonge ont eu envie de mêler leur duo à la formation baroque. Le choral Herzlich tut mich verlangenJe désire ardemment (BWV 727) constitue les fonds baptismaux de leur « union ». La mélodie a été composée en 1601 par Hans Leo Haßler (1564-1612). A l’origine, il s’agissait d’une romance populaire fredonnée dans la rue et qui parlait d’amour. Cette mélodie a inspiré le Cantor qui l’a reprise quinze fois dans son œuvre notamment huit fois dans l’oratorio Passion selon Saint MatthieuMatthäus-Passion (BWV 244).
Leur rencontre et leur travail de recherche sonore et harmonique engendre la Cantate Singulière. Chacune des pièces composées ou arrangées s’inscrit dans le plus pur respect du contrepoint même si quelques originalités mélodiques se feront entendre lors du concert. Face à une structure « polyglotte », véritable syncrétisme musical (Baroque, Jazz, Folk), les artistes démontrent leur capacités d’adaptation, d’interprétation et d’improvisation.

Notre commentaire pourrait amplement se nourrir d’arguments purement techniques. Mais est-ce bien là l’essence même du concert ? Nous ne le croyons pas ! Les artistes de l’Ensemble Baroque de Toulouse et du duo Cirla-Trolonge nous guident vers une notion supérieure, celle de la passion et de la complicité. La passion pour la Musique ! La complicité de créer et jouer ensemble sans rivalité ! Vivre ensemble, quelles que soient les différences (ici, musiciens classiques et de Jazz), n’est pas une acmé hors d’atteinte…

Le terrain fertile sera ensemencé tantôt de graines baroques, tantôt de grains « jazzy ». Dans cette végétation musicale luxuriante, il sera bien difficile de garder un ordre d’enchaînement dans la présente chronique... Nous nous en excusons auprès des artistes et de nos lecteurs.

Le concert naît d’une semence « jazzy » plantée par la clarinette basse (Isabelle Cirla), les deux violons (Véronique Delmas-Pellerin et Christophe Geiller dont nous devons les arrangements et compositions) et la contrebasse (Joël Trolonge). La clarinette basse peut susciter des questionnements étant un instrument inhabituel dans la musique baroque. C’est une clarinette sonnant exactement à l’octave inférieure de la clarinette en si bémol dont l’origine remonte à la deuxième moitié du XVIIIème siècle. Elle possède les mêmes caractéristiques de registre que la clarinette en si bémol : le chalumeau (grave au registre timbré, chaud), le second registre (médium, un peu sourd), le clairon (aigu, registre très chantant) et le dernier registre (suraigu, assez criard et angoissé).
Dans Naissance et Chaos, Isabelle Cirla s’exprime pleinement dans le registre grave et médium. Elle développe un langage fluide où les notes langoureuses viennent frôler notre épiderme suscitant la chair de poule… Le contrebassiste Joël Trolonge amplifie ce réflexe pilo-moteur par son jeu d’une grande richesse. Ecoutons la couleur et la profondeur qui se déploient sous son archet. La maîtrise de l’instrument est parfaite ! N’oublions pas les deux violonistes qui, par leurs jeux minutieux, participent à cette « jouissance » sonore.

L’orgue positif tenu par Christine Genet résonne dans la nef et trouve écho dans les voix des quatre solistes entonnant Herzlich tut mich verlangenJe désire ardemment, fuguette écrite par le compositeur contemporain suisse Gaël Liardon. Suit le choral de la Cantate BWV 153, Schau, lieber Gott, wie meine FeindRegarde, Dieu bien-aimé, combien mes ennemis. Dans le premier chœur de la cantate, la voix angélique de Clémence Garcia s’empare avec grâce des notes aiguës. La mezzo-soprano Cristelle Gouffé impose un médium velouté où viennent se poser la voix brillante du ténor Guillaume François soutenue par la basse Matthieu Toulouse. Une pièce Le Petit Elfe du Jardin se fraie un chemin entre les pizzicati du second violon et de la contrebasse. Deux hautbois (Yoanne Gillard et Xavier Miquel) séduisent par leur timbre feutré. Elégance musicale !
Un moment d’extase avec GlassBach, composition de Christophe Geiller. Le discours entre les deux violons, la contrebasse et la clarinette basse nous enveloppe d’une douce langueur. Nous sommes suspendus à leurs notes. Jamais notes de musique n’ont revêtu une telle poésie. Nous frémissons…
Nous sommes surpris de voir Christophe Geiller abandonner son violon et chanter Mein G’müt ist mir verwirretMon âme est embrouillée, mélodie composée par H. L. Haßler. Sa voix sonne avec légèreté grâce à une parfaite diction dans la langue de Bach. Elle porte aisément jusqu’au fond de l’église. La mezzo soprano Caroline Champy-Tursun le rejoint et déploie son organe vocal dans l’aigu. Puis seule, elle entre en joute avec la contrebasse en pizzicati sur l’arrangement de Joël Trolonge, Bach Ground […] paradise, dont nous atteignons, entraînés par sa voix, les portes. Nous sommes attentifs à la fabrication du son, à la préparation du moule vocal. Véronique Delmas-Pellerin et Christophe Geiller reprennent le thème accompagnés par la clarinette basse et la contrebasse. La mélodie est envoûtante, nous retenant prisonniers des improvisations. Pour clore la première partie du spectacle, les instruments en tutti et les quatre solistes vocaux nous livrent le choral de la Cantate BWV 135, Ach Herr, mich armen SünderÔ Seigneur, moi, pauvre pêcheur. Nous sommes comme en apesanteur ! Nous sommes transportés vers le jardin où plantes aromatiques et médicinales embaument l’air…

A peine les artistes en place sur scène, nous entendons un arrangement sur Herzlich tut mich verlangen de Johann Philipp Kirnberger (1721-1783), compositeur allemand et théoricien de la musique. Le registre timbré et chaud de la clarinette nous replonge dans cette légèreté, cette grâce musicale. Léonore Darnaud et Xavier Miquel, à la flûte à bec donnent la sérénade à l’orgue. Caroline Champy-Tursun pose harmonieusement Komm, du süße TodesstundeViens, douce heure de la mort, air de la Cantate BWV 161. Suivent deux compositions de Christophe Geiller : Transe en Jahefa et Sur le seuil. La première pièce illumine les sons profonds voire plaintifs dus aux notes tirées des violons. En avant dernière pièce, le choral Der Leib zwar in der ErdenLe corps, en effet, en terre (extrait de la Cantate BWV 161) est interprété en tutti (vocal et instrumental) de manière vibrante. Il sème la dernière graine Il y aura de toujours de très beaux jours pour ceux qui ont de la beauté dans le cœur, ultime arrangement signé Christophe Geiller. Le substrat folk, dans lequel va croître cette dernière graine, est nourri par la mandoline de Jean-François Gouffault (ayant tenu précédemment l’alto avec panache) et l’accordéon aux mains de l’organiste. Saluons également, au violoncelle, la discrète Alice Mathé qui a su garder une énergie dynamique tout au long du concert.
Pour faire éclore l’ultime semence, une pluie d’applaudissements inonde l’église.

Bien au-delà des aspects techniques, les artistes (chanteurs ou instrumentistes, voire pluri-instrumentistes) ont fait de cet atypisme une richesse. La féconde interprétation s’est nourrie des différentes ambiances musicales où les couleurs ont pris des teintes d’une luxuriance infinie. L’émotion était bien au rendez-vous de ce concert d’ouverture. Le Baroque a bel et bien rencontré le Jazz…



Publié le 01 juin 2018 par Jean-Stéphane SOURD DURAND