Chefs d'oeuvre sacrés - Bach - Zelenka

Chefs d'oeuvre sacrés - Bach - Zelenka ©Collegium 1704
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De Naples à Dresde et Leipzig, un répertoire sacré haut en couleurs

Au XVIIIème siècle le goût italien , et tout particulièrement napolitain, vient nourrir et renouveler le goût allemand encore largement fondé sur la composition contrapuntique. Cette influence se retrouve jusque dans la musique sacrée. Avec la Contre-Réforme l'Eglise catholique encourage la création d'ouvrages propres à impressionner l'esprit des fidèles par leur beauté et leur magnificence, reflet des décors baroques des bâtiments religieux reconstruits à l'époque, et de l'évolution de l'esthétique baroque. Les Luthériens comprennent aussi l'intérêt de la musique pour attirer des fidèles plus nombreux ; seuls les austères Calvinistes demeurent à l’écart du mouvement. Après les déchirements stériles de la Guerre de Trente Ans qui ont dévasté l'Allemagne et affaiblis nombre d'Etats européens, l'affrontement armé entre catholiques et protestants se déplace sur le terrain artistique et musical. Cette rivalité va donner naissance à de nombreux chefs-d’œuvre, afin d'attirer et d'émerveiller les fidèles lors des grandes cérémonies religieuses. La virtuosité musicale, tant instrumentale que vocale, y est présentée comme un reflet de la toute-puissance divine et donc de la croyance religieuse, au même titre ou à côté de la foi intime de chacun. Parallèlement la frontière entre une musique religieuse austère, et tournée vers l'introspection, et un répertoire profane coloré et plus exubérant s'estompe.

Le concert donné à la Chapelle royale par l'ensemble Collegium Vocal 1704 retrace un panorama sommaire mais varié de ces compositions, à travers des pièces virtuoses dont certaines sont rarement données. C'est le cas en particulier de la cantate (profane) Fra cetre, e fra trombe du florentin Francesco Conti (1681 – 1732). Elle y côtoie des cantates de Bach, le Dixit Dominus du napolitain Leonardo Leo et les Litaniae Lauretanae Consolatrix afflictorum de Zelenka, hommage obligé de la formation tchèque au prolifique compositeur de Bohême qu'elle a largement contribué à nous faire redécouvrir.

Le Dixit Dominus ouvre le concert dans une atmosphère d'allégresse flamboyante, impulsée par le maestro Václav Luks, d'emblée très à l'aise pour coordonner avec une parfaite maîtrise un effectif (orchestre et chœur) particulièrement étoffé. Au début la vigueur sonore des instruments a tendance à couvrir légèrement le chœur, mais les niveaux s'ajustent rapidement vers un équilibre plus satisfaisant. Les solistes viennent se relayer pour le Virgam virtutis ; on y retient tout particulièrement la voix chaleureuse aux reflets solaires du jeune ténor Benedikt Kristjánsson, qui régalera nos oreilles dans l'ensemble de ses interventions au cours du concert. Nous apprécierons encore l'équilibre des solistes dans le Dominus a dextris tuis, leurs enchaînements bien tuilés, et aussi le très beau duo des femmes au son du traverso, dans le Gloria Patri, avant qu'elles ne soient rejointes par le ténor. L’œuvre s'achève dans un Sicut erat aux masses équilibrées, enlevé de main de maître.

La cantate Fra cetre, e fra trombe débute par une brillante sinfonia, régulièrement rehaussée du son brillant des trompettes et des percussions. Les autres parties demeurent toutefois parfaitement distinctes, avec notamment des hautbois bien présents. Veronica Cangemi peine un peu à imposer sa projection face à l'orchestre au début de l'aria Fra cetre, sa voix s'affermissant à la reprise, y compris dans les passages soulignés avec panache par les trompettes. Dans les récitatifs qui suivent elle démontre un art consommé de l'expressivité, tant vocale que scénique, avec une gestuelle baroque très étudiée qui appuie efficacement son timbre agréablement velouté. L'aria Due grand'alme est également chanté avec une grande maîtrise, même si on y attendait davantage de brio. Elle se trouve toutefois un peu à la peine dans l'air final virtuose Da polo a polo, face à un orchestre foisonnant qui lui dicte un rythme un peu trop rapide, au détriment de la diction.

A la reprise la courte cantate Nun ist das Heil (fragment d'une cantate plus longue, conservée en partie) scintille de tous ses feux, avec un chœur aux parties bien audibles qui s'insèrent dans un ensemble toujours très maîtrisé, où les trompettes brillent à nouveau de leurs feux. Dans les Litaniae Lauretanae Hana Blažiková apporte après le chœur introductif (Kyrie) la touche de virtuosité que l'on aurait aimé entendre dans le Fra cetre : voix cristalline aux aigus aériens, qui impose sans peine sa projection, longs aigus filés d'une parfaite souplesse... Le final du Pater de Coelis (Miserere nobis) est tout simplement époustouflant ! Le Sancta Maria puis l'Agnus Dei donnent lieu à de savoureux échanges entre Blažiková, le ténor Kristjánsson et la basse Tomáš Šelc, au timbre rond et à la projection généreuse. Le morceau s'achève sur une brillante reprise de l'Agnus Dei par le chœur.

La cantate O ewiges Feuer débute sur des attaques un peu rugueuses de l'orchestre, vite adoucies par le chant du chœur. On y notera encore la vigoureuse apostrophe du ténor (Herr, ziehe gnädig ein). L'alto Kamila Mazalová, manifestement intimidée au début du Wohl euch, réalise une prestation honorable, malgré un manque évident de familiarité avec la langue de Goethe et une projection que l'on aurait aimée plus ferme. Mais l'oreille de l'auditeur est bercée par le séduisant duo des traversos (Lucie Dušková et Martina Bernášková) à ses côtés, avant que le chœur n'entonne le Friede ûber Israël, porté là encore avec énergie et précision par Václav Luks.

La salle applaudit longuement, et appelle un bis : ce sera la reprise du Friede über Israël. Il est à noter que ce concert a été enregistré : il sera donné prochainement sur France Musique (et donc probablement disponible ensuite en réécoute sur le site de Radio France). Ajoutons aussi que la formation Collegium 1704, qui avait déjà donné lors de la saison précédente l'éblouissante Missa Salisburgensis de Biber et l'admirable Arsilda de Vivaldi (voir notre chronique : Arsilda, regina di Ponte) devrait poursuivre sa collaboration avec CVS (Château de Versailles Spectacles) lors des prochaines saisons : nous attendons ses futures productions avec une gourmandise non dissimulée !



Publié le 01 févr. 2018 par Bruno Maury