Cohaere Ensemble, 1er Prix du Concours International de Musique Ancienne du Val de Loire

Cohaere Ensemble, 1er Prix du Concours International de Musique Ancienne du Val de Loire ©
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Au CIMA, le style départage les candidats

Créé en 2015 conjointement par le Stradivaria-Ensemble baroque de Nantes et l’association Anacréon, sur une idée proposée à l’origine par Henri-Frank Beaupérin (organiste titulaire du grand orgue de la cathédrale d’Angers), le Concours International de Musique Ancienne du Val de Loire est une compétition qui se déroule tous les deux ans. Elle est destinée aux ensembles instrumentaux (excluant de fait toute pratique vocale) interprétant le répertoire des XVIIe et XVIIIe siècles sur instruments d’époque (ou sur copies car les instruments d’époque atteignent désormais des prix qui rendent leur acquisition totalement impossible par de jeunes musiciens...). Elle a pour double but de promouvoir la musique ancienne de cette époque, et surtout d’aider de jeunes ensembles spécialisés dans ce répertoire à se faire un nom et débuter une carrière professionnelle. Ce concours est soutenu financièrement depuis sa première édition en 2015 par le Conseil Régional des Pays de la Loire, la Ville de Nantes et la Ville d’Angers.

2021 voit se dérouler une quatrième édition très particulière du fait du contexte sanitaire : en effet, demi-finale et finale se déroulent à huis clos. Par conséquent, il n’y a pas eu de « Prix du public » décerné cette année. Le thème de cette quatrième édition était le suivant : « la sonate en trio à la fin du Grand Siècle ». La demi-finale regroupant tous les ensembles en lice a eu lieu le 4 juin dans le cadre prestigieux de l’Abbaye de Fontevraud, la finale s’est tenue quant à elle dans la Chapelle Notre-Dame-de-l'Immaculée-Conception à Nantes.

Un jury présidé par William Christie

Comme pour les trois éditions précédentes, le jury était présidé par William Christie, claveciniste, fondateur et directeur musical des Arts Florissants mais aussi musicologue et enseignant. Il était assisté de Daniel Cuiller, violoniste et directeur artistique de Stradivaria (ensemble baroque de Nantes) , de Corinne Schneider, musicologue, auteur, conférencière, enseignante et productrice à France Musique, Catherine Cessac, musicologue, directrice de recherche au CNRS, Nicolas Bucher, organiste et directeur du Centre de Musique Baroque de Versailles et Françoise Marmin, professeur au CRR d’Angers et au CNSMD de Paris.

Des huit ensembles en lice dans ce concours, quatre ont été retenus par le jury pour la finale :  Cohaere Ensemble (Pologne) , Ensemble W (France), La Tabatière (Allemagne) et Musica Amici (Suisse). Et c’est donc l’ensemble polonais Cohaere, un ensemble entièrement féminin, qui a remporté cette quatrième édition. Le second prix n’a pas été attribué lors de cette édition, car le jury avait placé la barre très haut en s’attachant tout particulièrement au respect du style propre à cette musique...

Enfin, le lendemain de la finale, avait lieu le traditionnel concert de clôture dans la chapelle des Ursules à Angers, un lieu bien connu dans la région par les amateurs de musique baroque, renfermant un magnifique retable du XVIIe siècle. L’ensemble Cohaere, lauréat de cette quatrième édition, était naturellement chargé d’assurer ce concert. Le verbe latin choisi par les musiciennes pour désigner leur ensemble a pour signification, selon le dictionnaire Gaffiot, « être attaché ensemble, avoir de la cohésion ». Quatre jeunes musiciennes composent cet ensemble fondé en 2019 : Marta Korbel au violon, Monika Hartmann au violoncelle, Natalia Olczak au clavecin et Marta Gawlas à la flûte traversière baroque qui a rejoint l’ensemble plusieurs mois après sa création. C’est à l'Académie de musique Karol Szymanowski de Katowice ou elles étudiaient ensemble qu’elles se sont rencontrées, et c’est une passion commune pour la musique française qui les a réunies. Une passion alliée à une exigence de perfection et d’authenticité dans l’interprétation, sans oublier bien sûr le respect du style qui demeure un point essentiel. Et c’est d’ailleurs cette justesse d’interprétation liée à une grande connaissance évidente de la musique française du XVIIe qui a fait la différence dans ce concours dans lequel tous les ensembles ont un niveau professionnel.

Pierre Gaultier, le choix de l’originalité

Trois œuvres étaient proposées au programme de ce concert : une Suite en si bémol majeur des Pièces en trio de Marin Marais, une Suite en sol mineur des Symphonies en trio de Pierre Gaultier et La Piémontaise, extraite des Nations de François Couperin. S’il ne semble pas nécessaire de présenter Marin Marais et François Couperin, le choix d’une œuvre de Pierre Gaultier, dit Gautier de Marseille, est pour le moins intéressant car il compte parmi les nombreux compositeurs baroques restant à redécouvrir, et à sortir d’un oubli immérité. Né à La Ciotat en 1642, Pierre Gaultier fut l’élève du claveciniste Jacques Champion de Chambonnières.

Evrard Titon du Tillet, dans le Parnasse François relate ainsi la biographie  d’un musicien de premier ordre: «Gaultier étoit contemporain de Lully, et un des premiers Musiciens François qui ait brillé dans son Art, surtout pour la Musique instrumentale ou les airs de symphonie. Les Connoisseurs estiment fort son Recueil de duo et de trio pour le Violon et pour la Flûte, imprimé chez Christophe Ballard (NDLR : en 1707 ; il s’agit des seules œuvres restantes, tout le reste de son œuvre a disparu) ; et ils ne font pas moins de cas de quelques-uns de ses Concerts de Voix et d’Instruments, qui n’ont point été encore imprimés. Il fut pendant plusieurs années directeur d’un Opéra qui avoit beaucoup de vogue dans la province, et qui contribuoit aux plaisirs de la Ville de Marseille, de celle de Montpellier et de celle de Lyon, où il séjournoit alternativement.Ce Musicien périt malheureusement avec tous les Acteurs et les Actrices qui composoient son Opéra : ce fut au mois de Septembre 1697 qu’après avoir fait exécuter à Montpellier un Opéra et quelques divertissements de sa façon, s’étant embarqué avec tout son équipage au Port de Sète en Languedoc pour regagner Marseille, le vaisseau fut submergé, et périt à la vue du Port de Sète, sans qu’on ait jamais pu retrouver aucun débris de ce vaisseau, ni de tout ce qui étoit dedans. On peut juger de la consternation que cet accident funeste répandit dans les provinces où Gaultier alloit ordinairement avec son Opéra, et que tous les pays qui eurent connoissance de ce malheur n’en furent pas moins touchés ».

La décision par les quatre musiciennes de porter leur choix sur cette suite a été très rapide. Une partition moderne trouvée sur Internet, un essai de quelques mesures, et les musiciennes ont été immédiatement séduites par la qualité d’écriture de cette suite. Et c’est aussi un choix de l’originalité car elle n’a été enregistrée qu’une seule fois par Hugo Reyne chez Auvidis en 1998. Les quatre musiciennes ont d’ailleurs écouté à plusieurs reprises cette interprétation, mais ont donné à travers leur propre lecture de cette suite un éclairage différent, à la fois plus subtil et plus énergique. Leur jeu plein de fraîcheur de cette suite fut une véritable révélation d’un compositeur méconnu, en particulier la Loure et le Rigaudon qui donne envie d’en entendre plus et fait valoir la nécessité réenregistrer ces œuvres.

Une belle cohésion

Des six Suites que Marin Marais a écrites en 1692 pour la Chambre du roi, l’ensemble Cohaere a choisi celle en si bémol majeur, en proposant une lecture à la fois élégante et intimiste, alternant instants pleins de poésie et de douceur et pièces toutes en vivacité. La Piémontaise extraite des Nations de François Couperin tenait lieu de conclusion au programme. Cette musique d’un grand raffinement, fortement influencée par la musique italienne, n’est pas sans évoquer la grandeur d’une époque de l’histoire de France. Dans cette suite, ce jeune ensemble a montré son talent en faisant preuve d’une belle maîtrise de la nuance et du contraste, et d’un phrasé impeccable. A travers ce concert, l’ensemble lauréat de cette quatrième édition du CIMA a indéniablement séduit le public par son plaisir de jouer très communicatif. Les trois suites ont été interprétées de façon jubilatoire par un ensemble mettant en lumière une belle cohésion renvoyant au nom choisi pour le désigner, et une complicité évidente entre les musiciennes qui vivent intensément leur musique.

Comment la musique française a t’elle donc pu susciter un tel intérêt de la part de ces quatre jeunes musiciennes venues de Pologne ? L’une d’elle répond  à la question: « Je pense que parce que c'est sans doute la musique la plus difficile, et c'est ce qui la rend intéressante. La musique française a quelque chose d’un peu mystérieux pour nous. Vous pouvez la jouer de nombreuses manières différente et découvrir toujours quelque chose de nouveau. C’est une musique d’une grande variété qui est aussi très expressive et riche en émotions. La principale difficulté se situe dans son interprétation, il faut retrouver le style pour bien la restituer. Cette musique tient une place importante pour nous » Un projet d’enregistrement est en actuellement en réflexion, et un nouvel enregistrement par cet ensemble des Symphonies de Pierre Gaultier serait assurément le bienvenu !

Si l’ensemble Cohaere a remporté cette quatrième édition du CIMA, c’est de toute évidence grâce à un indéniable talent et une excellente compréhension de ce qui fait la spécificité du style français. Ce beau concert de clôture en fut une excellent démonstration de son talent et l’on ne peut que lui souhaiter un bel avenir! Après un passage à France Musique le samedi 12 juin pour un petit concert en direct, l’ensemble Coheare sera de retour sur les bords de Loire le samedi 28 août à Savennières dans le cadre du festival Paysages en Musique.

NDLR : on pourra visionner l’intégralité du final du CIMA en cliquant sur ce lien (l’Ensemble Cohaere commence à jouer à la 31ème minute)



Publié le 15 juin 2021 par Eric Lambert