Combattimenti

Combattimenti ©Arsenal de Metz
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Bon nombre de combats apparaissent comme perdus d’avance. Mais ceux menés avec énergie, vérité et foi, permettent souvent d’en sortir victorieux…

Tel est le cas ce soir à l’Arsenal de Metz, où un combat acharné et rude se déroule sous nos yeux ébahis.

Le compositeur franco-libanais Zad Moultaka ose s’affronter à l’illustre Il Combattimento di Tancredi e Clorinda. L’œuvre emblématique de Claudio Monteverdi (1567-1643) trouve ici un adversaire de taille.
Qui sortira vainqueur de cette joute musicale ?

Cette bataille est conjointement menée avec les ensembles Mezwej et Le Parlement de Musique, Le Festival Musica (festival de musique classique contemporaine à Strasbourg) et l’Arsenal / Cité musicale-Metz.

Zad Moultaka livre une approche contemporaine de l’œuvre originale. Utilisant les mêmes « armes » (langue, texte, distribution), son Combattimento II, créé en 2017, renforce l’aspect théâtral et dramatique du madrigal monteverdien.
Les nombreuses suggestions musicales de Moultaka s’enchevêtrent les unes dans les autres pour constituer une solide armure. Elles sont d’ailleurs relevées avec brio par les instrumentistes (violons, alto, viole, violine, harpe, orgue et clavecin) et les chanteurs (soprane, ténor et baryton).
Il est animé par une quête incessante de comprendre l’Histoire, le Monde. « Le combat spirituel est aussi brutal que la bataille d’hommes », Une saison en enfer, Arthur Rimbaud (1854-1891).
Sa perpétuelle recherche ne connaît que, pour seule limite, celle de notre propre entendement. Il nous entraîne sur le chemin de l’introspection nous laissant libres d’expérimenter ou de déchiffrer les arcanes des civilisations.
Les notes éparses et les pizzicati sonnent comme les coups d’épée assénés, les balles qui fusent. L’effroi se ressent…
Les nombreuses dissonances dynamisent le langage musical moderne. Elles pourraient heurter l’oreille des puristes du Baroque. Elles puisent toute leur richesse dans les influences orientales dues à la double nationalité du compositeur. Les hétérophonies de la musique arabe transforment les fondamentales de l’écriture contemporaine et baroque.
Les rythmes syncopés développent une vocalité spécifique, botte secrète de Zad Moultaka. Les césures apparaissent comme autant de flèches à son arc musical.

Les derniers assauts vocaux et instrumentaux finissent à peine de retentir dans la salle qu’un son venu de l’au-delà sort de gros haut-parleurs accrochés aux cintres.
L’interlude Il Sorgere – créé en 2017 et co-commande Le Parlement de Musique et Musica – nous plonge littéralement dans la pénombre. Dans une parfaite mise en scène, Zad Moultaka quitte la scène et gravit lentement une à une les marches de la salle.
Cette composition électroacoustique relie les deux rounds opposant le compositeur franco libanais et le maître de Crémone.
Durant quinze minutes, le combat fait rage. Des bruits de balles, de bombes font écho aux voix plaintives humaines. Etre confronté à ce genre de sons dans la pénombre est assez déstabilisant…
L’offensive sonore sonne la reddition contemporaine. La lumière jaillit des siècles passés, émerge de l’ère baroque.

Martin Gester et son ensemble Le Parlement de Musique, endossent à leur tour l’armure de combattant. Ils honorent le 450ème anniversaire de Monterverdi avec leur sublime interprétation du Combat de Tancrède et ClorindeIl Combattimento di Tancredi e Clorinda (1624).
L’œuvre monteverdienne s’inscrit dans le huitième et dernier livre de madrigaux, dit Madrigali guerrieri e amorosiMadrigaux guerriers et amoureux, publié en 1638.
Elle reprend un extrait du poème épique La Jérusalem délivrée du poète italien Torquato Tasso, connu sous le nom Le Tasse.
Le narrateur Testo relate le combat entre le preux chevalier Tancrède et un soldat musulman Clorinde. Tancrède porte un coup d’épée mortel à son apparent adversaire. Il s’enorgueillit mais découvre avec effroi la véritable identité de Clorinde qui n’est autre celle de sa bien-aimée. Le chevalier crie sa douleur. D’un ton plaintif et doux, elle lui demande le baptême. Il « prononce les mots sacrés ». Munie de sa nouvelle foi dans le dieu chrétien, elle expire apaisée.
Le rôle du narrateur Testo est confié au ténor portugais Fernando Guimarães. Le ténor développe un timbre brillant et pur. Malgré la longueur de ses répliques, il conservera la fraîcheur vocale. Il porte un soin tout particulier à la prosodie, à la phonation et file l’action avec l’appui de sa seule voix. Il jouit d’une belle présence scénique. Nous apprécions vivement sa prestation.
Ponctuant la narration, Clorinde (Francesca Sorteni) use à merveille de sa voix soyeuse notamment dans le médium. Elle arborera de jolis aigus notamment lors de ses paroles ultimes « Le ciel s’ouvre : je m’en vais en paix ».
Quant à Tancrède, il est incarné par le baryton français Jean-Gabriel Saint Martin. Le passage « Nostra sventura […] silenzio il copra » – « Notre aventure […] sera couverte par le silence » met en surbrillance la voix chaude et ronde du baryton.

Si l’homogénéité vocale est atteinte sur le plateau, il ne faut pas oublier de saluer l’excellente prestation des instrumentistes. Les violons (Gilone Gaubert et Florence Stroesser) et l’alto (Sara Goméz) développent un délicat phrasé renforçant le caractère expressif de Testo. A la viole, Filipa Meneses apporte consistance et soutien aux longues tirades du narrateur. Peter Pudil, au violone (contre basse de viole), mérite autant d’éloges grâce à ses accents. Marie Bournisien, à la harpe, démontre la qualité de son doigté apportant à certains passages cruels une belle poésie « Ma ecco homai, l’hora fatal è giunta » – « Mais voici, maintenant, l’heure fatale est proche ».
Apprécions aussi les doigtés de l’organiste (Aline Zylberajch) et du claveciniste (Martin Gester). Aline Zylberajch soutient efficacement le chant de Testo « In queste voci languide risuona » – « Dans cette voix alanguie résonne ».

Grâce à leur interprétation même dépouillée de toute mise en scène, les musiciens et chanteurs restituent à la perfection l’œuvre emblématique de Monteverdi. Formant deux entités à part entière, ils poursuivent conjointement le rapprochement du genre madrigalesque à celui de l’imitation. Ils servent avec véracité les scènes dramatiques. L’expression est à son paroxysme.

Face à ces combats menés âprement, aucun des adversaires ne prend l’avantage. Seule la Musique triomphe de leurs combats…



Publié le 10 oct. 2017 par Jean-Stéphane SOURD DURAND