Orgue - Rollin

Orgue - Rollin ©Antoine Thiallier
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Une expressivité affirmée et une virtuosité audacieuse

En ce troisième midi du festival Bach en Combrailles, c’est l’organiste titulaire du grand-orgue de la Basilique Saint-Sauveur de Rocamadour Emmeran Rollin, également directeur général et artistique du Festival de Rocamadour, qui est l’invité de l’audition d’orgue quotidienne. Sur le majestueux orgue de l’église de Pontaumur, réplique fidèle de l’orgue d’Arnstadt, premier grand instrument de Jean-Sébastien Bach, le musicien offre un programme autour de la tonalité de ré mineur, tonalité sombre, aux couleurs parfois terribles et formidable. Si le compositeur et théoricien Johann Mattheson (1681-1764), dans son Das Neueröffnete Orchestre, rapproche la tonalité de ré mineur aux choses d’église et à la tranquillité de l’âme, on verra aujourd’hui que pour Bach, et sous les doigts d’Emmeran Rollin, ces choses de l’âme peuvent se montrer aussi touchantes que puissantes.

Pour chauffer ses doigts et familiariser l’oreille de l’auditeur, Emmeran Rollin commence intelligemment par une toccata, ce sera la Toccata et fugue dite « dorienne » (mode – mineur – de ré). Il ne se ménage toutefois pas, proposant immédiatement une interprétation affirmée en utilisant des jeux puissants, montrant déjà l’impressionnante capacité sonore de l’instrument. L’organiste n’hésite pas à prendre des risques afin de créer des reliefs saisissants, au risque parfois de quelques très rares coquilles et de, certes très discrètes, discontinuité des phrasés lors des changements de clavier. La conduite de ces phrasés est néanmoins toujours sûre et l’on pardonne très volontiers ces tout petits moments justifiés par une certaine et assumée audace musicale. Le sujet de la fugue est exposé avec une grande simplicité, tout comme le contre-sujet. Les différentes parties sont ainsi bien distinctes les unes aux autres, tout en se montrant consciente de leur interdépendance. L’auditeur ne peut alors qu’apprécier pleinement le contrepoint, qui est tout l’art d’une fugue. Par l’ajout progressif de jeux, notamment aigus comme des octaves et des quintes, le musicien crée un long crescendo, augmentant avec justesse l’intensité globale de l’œuvre jusqu’à une cadence majestueuse, avec les pleins jeux. Notons la maîtrise particulièrement agile du pédalier, notamment lors d’un impressionnant tremolo sur la dominante avant la cadence, qui nécessite indéniablement un bon équilibre et de bons mollets, sans que la difficulté ne se fasse ressentir.

Avec le premier mouvement de la Sonate en trio n°3, Emmeran Rollin montre sa bonne compréhension du caractère Andante en choisissant très justement un tempo allant, qui avance sans jamais aucune précipitation. On peut ainsi distinguer la personnalité de chacun des trois voix, par le choix des jeux mais aussi par la conduite de leur propre discours. Les jeux de bourdon, doux et feutrés, sont agrémentés d’un vibrato, grâce au jeu de tremblant, qui donne une expressivité nouvelle et touchante pour l’Adagio e dolce, joli et agréable mouvement apaisé et apaisant – malgré la petite touche d’une sonnerie de téléphone portable, ce qui semble devenir une petite tradition parmi les festivaliers ; nous ne pouvons que regretter que des mélomanes n’aient le désir de profiter pleinement de moments présents et uniques en éteignant leur téléphone. Le mouvement final Vivace semble d’abord avoir été pris dans un tempo un rien précipité. Cependant, l’assurance de l’instrumentiste prend rapidement le dessus et est capable de démontrer toute son agilité. Cette prise de risques laisse passer quelques rares et discrètes maladresses mais l’auditeur se laisse complètement emporter par ce flot de musique, l’oreille pouvant néanmoins se raccrocher facilement au très distinct thème, récurrent, qui voyage de voix en voix.

Après le choral « Schübler » Ach bleib bei uns, Herr Jesu Christ (Demeure parmi nous, Seigneur Jésus Christ), à l’interprétation très équilibrée, avec un choral qui ressort très distinctement sur un accompagnement agile et pertinent, Emmeran Rollin propose le Concerto en ré mineur d’après Vivaldi. En effet, un fil conducteur traverse chacune des auditions d’orgue de cette XXIIe édition du festival, chacun des organistes invités ayant à présenter un concerto italien arrangé par Bach – ou un de ses proches contemporains. L’organiste se montre audacieux dans le premier mouvement Adagio, peut-être un rien rapide, avant un fier et profond deuxième mouvement Grave introduit par de terribles accords. L’Adagio suivant présente un accompagnement grave, sérieux, d’où surgit une douce et fragile mélodie, tremblante voire triste. Enfin, le concerto se termine par un puissant et formidable Allegro. Ce n’est peut-être pas le chef-d’œuvre qui enthousiaste l’organiste et le public, mais l’interprétation en reste convaincante.

Sous l’insistance du public, et bien qu’Emmeran Rollin doive repartir accueillir son équipe de bénévoles en préparation du Festival de Rocamadour qui commence dimanche prochain, il offre généreusement en bis une autre œuvre en ré mineur de Bach, la monumentale Toccata et fugue BWV 565. Le directeur de festival est sans doute pressé, le tempo choisi est alors audacieux. Mais il peut se le permettre puisqu’il semble connaître l’œuvre sur le bout de ses doigts, avec une grande fluidité, une insolente aisance et une admirable virtuosité. Cette interprétation très convaincante de cette célèbre œuvre est l’ultime argument – s’il en fallait un supplémentaire ! – de découvrir son récent enregistrement 100 % Bach Vibrance !



Publié le 17 août 2021 par Emmanuel Deroeux