Suites pour violoncelle - Bach

Suites pour violoncelle - Bach ©Antoine Thiallier
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Profondeur et transcendance

Fort et fier de son itinérance, le festival Bach en Combrailles est présent jusque dans la Creuse pour le concert de cet après-midi. En la charmante église de Mérinchal, devant le remarquable retable XVIIe siècle, la violoncelliste Elena Andreyev poursuit et termine son interprétation de l’intégrale des Suites pour violoncelle de Jean-Sébastien Bach, qu’elle avait débuté lors de l’édition écourtée de l’année dernière.

Les grands talents d’Elena Andreyev sont déjà bien connus des lecteurs de Baroquiades dont les deux enregistrements des Suites ont déjà été le sujet d’une belle chronique. Il est indéniable que ces six Suites pour violoncelle sont de véritables chef-d’œuvres qui méritent d’être étudiées, travaillées, réfléchies… On pourrait facilement se lancer dans une étude approfondie, ce qui a été fait de nombreuses fois par d’éminents musicologues et de talentueux musiciens. Néanmoins, le génie de Bach est que sa musique n’est pas seulement intellectuelle : elle s’étudie mais surtout elle s’écoute. C’est une musique qui, encore aujourd’hui, parle d’elle-même au cœur et jusqu’à l’âme. C’est une musique qui se vit et se partage. Cette musique ne peut toucher l’âme que si elle est sublimée par un véritable travail de compréhension et d’interprétation. Elena Andreyev a passé depuis longtemps ce stade et est capable de partager son expérience intime avec ces Suites.

On pourrait certes évoquer les sublimes graves de son instrument, de l’homogénéité de ses sonorités, riche d’un grain magnifié par un soupçon d’acidité qui lui donne un beau et propre caractère. On pourrait parler des longues et conscientes conduites de phrases de la violoncelliste, sans jamais aucune exubérance inutile mais toujours dans la simplicité et l’humilité qu’exigent ces œuvres. On pourrait s’attarder sur la technique indiscutable de la musicienne, dont la précision du jeu permet de proposer des dynamiques subtiles. On étudierait avec intérêt et fascination la scordatura (la corde aiguë du la est accordé en un sol, un ton plus bas) de la Suite n°5, qui donne une profondeur « christique ». De la même façon, on peut se montrer curieux de l’instrument à cinq cordes (corde aiguë mi supplémentaire) nécessaire à la virtuose et intense Suite n°6 qui, à l’opposé de la cinquième, est soudainement magnifiée par une lumière captivante. On peut également admirer l’attention constante d’Elena Andreyev, malgré les difficultés d’instruments sensibles dont l’accord peut rapidement changer en fonction de l’hydrométrie et des températures différentes d’une salle à une autre, de la sacristie qui lui sert de loge à l’église remplie de spectateurs.

Mais parler de tout cela semble tellement superficiel alors qu’un tel moment se vit. Elena Andreyev nous partage son intime et longue expérience avec ces Suites dans toute leur authenticité, sans intellectualisation qui n’a plus lieu d’être. En connivence avec Bach, ils transportent l’auditeur dans son propre intérieur, son propre paysage, sa propre solitude. Mais, aussi étonnement et incroyable, par le je-ne-sais-quoi qui s’opère grâce aux arts, cette vision intime est colorée par celle des artistes. Ainsi le public et la musicienne partagent tous ensemble cette unique expérience, que chacun vit à sa façon. C’est tout simplement la magie du concert et de la musique.

Bien que l’on soit monté bien haut avec cette Sixième suite, Elena Andreyev propose de redescendre pour remonter dans ses propres souvenirs et offrir en bis la Bourrée de la Suite n°3. C’est justement cet extrait qui a un jour émerveillé une jeune fille ; jeune fille devenue grande et qui aujourd’hui l’offre à son tour avec finesse, noblesse et âme.



Publié le 17 août 2021 par Emmanuel Deroeux