Les sept figures d'Eve

Les sept figures d'Eve ©Jean Combier - Le Concert de l'Hostel Dieu
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Malgré l'importance du personnage d'Eve, mère de l'Humanité selon le Livre de la Génèse, aucun des 150 oratorios de la période baroque ne lui est consacré. Injustice? Fait volontaire? Nul ne le sait! Le programme de cette fin d'après-midi tente de réparer cette iniquité ou du moins dresse le portrait de cette femme qui regarde avec impuissance ses deux fils, Abel et Caïn s'entre-tuer. Quelle géhenne doit-elle ressentir face à ce fratricide?

Même si l'humidité tombante et pénétrante sous forme de fortes pluies orageuses régnait, le public s'est déplacé pour assister à ce septième concert de la saison dans la magnifique église romane de ce petit village lorrain, Froville (54). L'invité n'est autre que le Concert de l'Hostel Dieu accompagné d'une jeune et charmante soprano belge Deborah Cachet. Cet ensemble est crée à Lyon en 1992 par Franck-Emmanuel Comte.
Après quelques mots d'introduction du maestro, l'ensemble ouvre le concert avec l'allegro du Concerto Grosso en fa majeur n°3 de Alessandro Scarlatti (1660-1725). Les autres mouvements de ce concerto sont riches de sensibilités aux radieuses couleurs. La finesse d'interprétation se fait sentir dès les premières notes. Les jeux d'archets sont exquis, souples et velouteux. Les respirations du maestro imposent le rythme en marquant soit les temps forts, soit les entrées des différents instruments. La palette de nuances permet aux musiciens de restituer une belle dynamique à l'œuvre. Cette ouverture augure un concert d'une exceptionnelle beauté. Après l'entracte, un autre concerto confirmera le talent de l'ensemble. Il s'agit du Concerto Grosso Op 3, n°4 d'un violoniste et compositeur italien fort peu joué et ce à tort, Pietro Castrucci (1679-1752). Il fut probablement élève du maître Arcangelo Corelli, puis premier violon de l'orchestre de Haendel.

Le personnage d'Eve, tout autant mythe qu'héroïne théâtrale, est confié à Deborah Cachet. Retenez bien ce nom, promis à une carrière internationale. En 2015, elle remporte à l'unanimité le premier prix du Concours international de chant baroque de Froville.

Deborah Cachet
Deborah Cachet - © Ellen De Meulemeester


La première œuvre qu'elle interprète est l'air I tuoi sospetti dalle istante del fallo primiero extrait de La morte d'Abel d'Antonio Caldara (1670-1736). Sa diction est irréprochable, belle construction des voyelles. La projection ne peut être dans ces conditions qu'excellente. Le timbre se veut frais, léger où souplesse rime avec jeunesse. Les notes aiguës découlent naturellement sans stridence. L'ornementation est comme la plus fine des dentelles de Calais. Les pizzicati sur l'air Chiare fonti che sciolte cadete de Luigi da Mancia apportent une certaine poésie aux notes médium de la soprano. Le timbre se pare d'accents soyeux. Notons la douceur des notes longues tenues. Sur Volate o contenti, la soprano se lance dans un dialogue complice en écho avec le hautbois tenu par Elisabeth Passot, exquis instants déclenchant des frissons. Le chant prend une teinte plaintive grâce à l'air Non sa che sia pietà de Caldara. Toute la douleur, la souffrance d'Eve jaillit de ses lèvres et s'empare du public,conquis! Il primo omicidio d'Antonio Scarlatti, dans le récitatif Di Serpe ingannator, la soprano prend le temps d'asseoir ses notes. L'air Caro sposo, prole amata constitue un autre moment d'extase. La douleur s'exprime avec grâce par le chant plaintif du violoncelle de Cécile Vérolles, et la douceur mélodique du théorbe de Nicolas Muzy.

Le portrait dressé lors de ce concert personnifie avec précision la douleur de cette mère, de cette femme. La mort rôde. Mais ce sont bien ses souffrances, qui renforcent le sentiment de vie...



Publié le 13 juin 2016 par Jean-Stéphane SOURD DURAND