Quatre siècles de polyphonies - Consonance

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Quatre siècles de polyphonies, de Palestrina à Pärt

En clôture du Festival de la Dive Musique, l’Ensemble Consonance (voir le site) proposait ce dimanche 21 août 2022 un concert dédié à la polyphonie a capella dans la magnifique collégiale de Candes Saint Martin située l’Indre et Loire. Construite aux XIIe et XIIIe siècles à l'emplacement de la mort de Saint Martin en 397, cet édifice religieux situé entre Anjou et Touraine, à mi chemin entre Saumur et Chinon, compte parmi les plus beaux édifices religieux du Val de Loire. Lieu de pèlerinage bien qu’aucune relique du saint n’y soit présente, cette collégiale construite en pierre de tuffeau comme il est de tradition dans la région présente des particularités architecturales intéressantes. Styles romans et gothiques coexistent dans ce qui peut être qualifié de style de transition, par ailleurs, on peut également y observer la présence d’éléments militaires défensifs. En effet, quatre tours carrées couronnées de créneaux et de mâchicoulis son accolées à l’édifice, dont deux encadrent un porche monumental ornés de statues. Malgré les guerres de religions, la Révolution Française et deux séismes, elle est parvenue jusqu’au XXIe siècle en conservant presque toutes sa splendeur, et les voûtes de la Collégiale Saint Martin ne manqueront pas de surprendre le visiteur passionné d’art religieux, et immanquablement le mélomane qui imaginera l’acoustique que peut offrir cet édifice conçu pour entendre la prière, et… la musique.

Pour ce faire, l’ensemble Consonance a élaboré spécifiquement pour ce festival un programme à la mesure de ces lieux d’exception. Dirigé par François Bazola dont la voix de basse fit des merveilles dans bon nombre de productions de William Christie, il se compose de Noémie Rime, Vincent Lièvre-Picard, Hélène Le Corre, Madeleine Bazola-Minori, des noms pour le moins évocateurs parmi les amateurs de musique baroque ! Le programme proposé couvrait un peu plus de quatre siècles de l’histoire de la musique vocale, de Giovanni Pierluigi Da Palestrina à Arvo Pärt.

Et dès les premières mesures, la magie des voix opère ! L’Ensemble Consonance ouvre le concert par Alma Redemptoris Mater de Palestrina en se plaçant à l’arrière de la nef, derrière le public, révélant d’emblée une acoustique conçue pour magnifier le chant. Les voix, la justesse, la diction, l’art de nuancer, tout est parfait, mais rien de bien surprenant eu égard à la carrière musicale des cinq chanteurs. L’Ensemble Consonance rejoint ensuite le chœur de la Collégiale pour interpréter deux pièces de Tomas Luis de Vittoria. A la fois maître de chapelle et organiste, le plus célèbre des polyphoniste de la Renaissance espagnole fut très probablement l’élève de Palestrina qu’il côtoya à Rome. Les motets proposées, d’une beauté sombre et d’une grande intensité dramatique, témoignent de la ferveur religieuse d’un compositeur qui était également prêtre. Impossible d’évoquer l’art de la polyphonie a capella sans inclure des madrigaux. Luca Marenzio, maître incontesté du genre que Tomas Luis de Vittoria admirait tout particulièrement, figurait tout naturellement dans le programme. O dolce anima mia, une supplique à un amour qui s’enfuit et dont le texte est signé Giovanni Battista Guarini, a fait littéralement merveille dans une interprétation d’une grande subtilité offerte par les cinq chanteurs.

Retour ensuite à la musique religieuse avec l’Ave Maria à 3 voix de Claudio Monteverdi. Deux voix de femme et une voix d’homme pour cette pièce au style dépouillé, mais hautement spirituelle. Une œuvre inédite était également inscrite au programme, composée par Jacques de Gouy, un ecclésiastique musicien et compositeur ayant vécu à Paris dans le second quart du XVIIe siècle qui a côtoyé Etienne Moulinié et Michel Lambert. Quand l’esprit accablé est une traduction en français du Psaume 142 composée sur Les Paraphrases d'Antoine Godeau, tirée de ses Airs à quatre parties sur la Paraphrase des pseaumes de Godeau composé en 1650, seule œuvre de ce compositeur parvenues jusqu’à nos jours, le reste ayant été perdu. Une pièce étonnante, écrite dans un style très protestant à une époque ou il n’était pas nécessairement de bon ton de composer sur des textes religieux traduits en français un demi siècle avant la révocation de l’Édit de Nantes ! Conçu de manière chronologique, le concert se poursuivait sur un chant sacré de Wolfgang Amadeus Mozart (O Gottes Lamm, K343), un splendide Come my soul de Franz Joseph Haydn, deux chants de Johannes Brahms dont Erlaube mir, feins Mädchen, in den Garten zu gehen (Permets-moi, belle jeune fille, d'aller au jardin), un texte pourtant profane mis en musique avec génie par le compositeur qui lui confère ainsi un caractère quasi religieux. Deux pièces contemporaines tenaient lieu de conclusion : La Bonne Neige de Francis Poulenc, extraite de la cantate profane Un soir de neige écrite sur un texte de Paul Eluard, dans laquelle le compositeur joue sur des ambiances très évocatrices qui se marient à merveille avec le texte, et le Magnificat d’Arvo Pärt à l’écoute duquel on ressent par moments l’influence de polyphonies orthodoxes. Le compositeur allie dans cette pièce un modernisme affirmé par l’emploi subtil de dissonances très contemporaines, en conservant toutefois un style assez classique.

A travers cette alternance particulièrement bien pensée de musiques profanes et de musiques religieuses, l’Ensemble Consonance a su mettre en place un programme à la fois cohérent et totalement adapté à la mise en valeur de la somptueuse architecture de la Collégiale de Candes-Saint-Martin. Et il a surtout offert au public une rétrospective de choix de la polyphonie vocale a capella lui permettant d’apprécier au mieux l’acoustique exceptionnelle des lieux et mesurer l’évolution au fil du temps de l’esthétique vocale de ces polyphonies qui nous vont droit au cœur ! Au fond, même la musique profane devient religieuse lorsqu’elle est interprétée en un tel lieu…



Publié le 14 sept. 2022 par Eric Lambert