Cosi fan tutte - Mozart

Cosi fan tutte - Mozart ©Vincent Pontet
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Une farce douce-amère, à la transposition incongrue

Si la musique de Mozart atteint un de ses sommets dans Cosi fan tutte, l’intrigue qu’elle met en musique est des plus minces, pour ne pas dire des plus invraisemblables. Il faut en effet nous amener à accepter que les deux sœurs ne reconnaissent pas, sous le travestissement, le soupirant de l’autre, pas plus d’ailleurs que ne le fait la cynique et pourtant futée Despina. C’est dire si la mise en scène a un rôle particulièrement important à jouer pour faire accepter au spectateur moderne un livret aussi incongru. Disons immédiatement que Laurent Pelly n’y parvient pas. En situant l’action à une époque quasi-contemporaine, Laurent Pelly aggrave en fait notre perception de l’invraisemblance de l’histoire qui nous est contée. Si la direction d’acteurs est vive, intéressante et millimétrée, les décors sont assez laids, les costumes fort peu seyants, et le propos, situé dans un studio d’enregistrement (qui d’après le programme de salle existe réellement, à Berlin) est pour le moins confus. L’intention n’est pas claire, n’apporte rien et se dilue totalement avec l’arrivée des deux Albanais, la mise en scène devenant alors une forme de transposition réaliste qui rend incompréhensible le choix du studio d’enregistrement et qui accumule avec excès déplacements de chaises, de pupitres et de micros. Tout ceci vaudra de copieuses huées à l’équipe de mise en scène au rideau.

On a beaucoup glosé sur le sens et la portée de cet opéra, que d’aucuns pensent misogyne. Le plus probable est qu’il s’agit « simplement » d’une farce douce-amère, l’histoire d’une plaisanterie qui va trop loin et de la confrontation de deux couples d’amoureux à une paire de cyniques. Histoire de nos faiblesses, de nos désirs, histoire aussi de dire que chacun a sa manière singulière de vivre le sentiment amoureux. Emmanuelle Haïm rend parfaitement cette lecture, avec une direction rapide, alerte, conforme en cela à la partition qui est frappée de cette urgence, exception faite des premières mesures de l’ouverture et du retour des deux fiancés. On retrouve avec plaisir sa direction au cordeau, très attentive aux chanteurs qui sont réellement accompagnés, soutenus, même si la vivacité de la baguette crée quelques décalages… Le Concert d’Astrée sonne superbement, avec une basse continue remarquable, un piano-forte malicieux et des vents de haut niveau.

Vanina Santoni nous a habitué ces derniers temps à des prestations inégales. C’est ici encore le cas avec un 1er acte magistral, et un Come scoglio qui semble se jouer des difficultés de l’écriture. Mais au deuxième acte, le vibrato serré et parfois désagréable qui caractérise cette voix réapparaît de façon flagrante et le bas du registre, probablement excessivement sollicité au 1er acte, accuse des graves peu sonores et détimbrés. En résulte un Per pieta, ben mio dans lequel la soprano semble ne pas avoir les moyens du rôle et être à la peine.

Bien loin de ces difficultés, Gaëlle Arquez est une Dorabella en pleine santé vocale et en parfaite possession de ses moyens et de sa technique. Chacune de ses interventions est un vrai petit bonheur et sa contribution aux ensembles est remarquable, notamment les duos avec Fiordigli. Elle incarne une Dorabella sensuelle et décomplexée, servie par sa voix chaude aux couleurs riches.

A l’évidence, Cyrille Dubois est à l’aise chez Mozart. Le timbre est clair, léger, la voix est homogène sur toute la tessiture et il prend manifestement un grand plaisir à émailler son interprétation de Ferrando de très nombreuses nuances. Un’aura amorosa est une superbe démonstration de style et d’émotion.

A ses côtés, Florian Sempey est un Guglielmo de bonne facture : la voix est bien conduite, l’acteur est convaincant dans sa partie buffa.

La Despina de Laurène Paterno est particulièrement intéressante même si la mise en scène qui en fait une femme de ménage acariâtre, âgée et rhumatisante est dénuée d’intérêt. Elle se coule néanmoins avec aisance dans ce personnage improbable et sa voix claire et alerte est parfaitement adaptée à ces deux morceaux d’humour et de cynisme que sont In uomini, in soldati et Una donna a quindici anni. Elle est moins convaincante dans son médecin et son notaire, tous deux excessivement nasillant et peu différenciés.

Enfin Laurent Naouri, en meneur de jeu, est un Alfonso amoral mais chaleureux et bienveillant. La voix est sonore, bien projetée et le phrasé est irréprochable.

Quoique de courte durée, les interventions du chœur Unikanti sont marquées par une belle homogénéité des pupitres même si le style mozartien n’est pas toujours assumé et si la vivacité de la direction a créé quelques petits décalages.

En dehors de la mise en scène, le public a applaudi longuement le spectacle.



Publié le 28 mars 2022 par Jean-Luc Izard