Airs d'opéras de Mozart - M. Crebassa

Airs d'opéras de Mozart - M. Crebassa ©Luc Jennepin
Afficher les détails
Qui trop embrasse...

Rarement chronique de concert m'aura été plus délicate à écrire tant le niveau de cette soirée fut inégal. Certes la touffeur acoustique de la salle Gaveau n'aidait pas. Certes, les choix de programme (que des hits de surcroît) et l'équilibre de celui ci entre orchestral et airs était plus qu'imparfait. Mais ces circonstances ne suffisent pas à expliquer ce sentiment d'inachevé, de déception que l'on ressent à l'issue.

Le programme débute par une ouverture des Noces de Figaro dans laquelle Les Ambassadeurs montrent une belle énergie et un grand enthousiasme mais qui manque de velouté, et à laquelle la direction d'Alexis Kossenko n'apporte pas la netteté requise.

Les deux airs de Chérubin pour suivre. Dès les premières notes, les qualités vocales de Marianne Crebassa s'imposent : remarquable projection, grande puissance (parfois trop même pour Gaveau), somptuosité du timbre qui rappelle Berganza. Mais voilà bien le problème, c'est cette interprétation qui hésite entre une imitation des grandes mezzo qui l'ont précédé dans ce rôle et une caractérisation de petite fille capricieuse (on pense à Sophie qui s'apprête à saler et découper les poissons rouges). Cherubino est un adolescent obsédé sexuel et un tantinet pervers... pas une petite fille polissonne. A cela s'ajoute une voix encore mal chauffée pour le Non so piu qui produira quelques raucités dans le médium. Voi che sapete sera techniquement de bien meilleure facture mais l'interprétation minaudante reste gênante...

Suit un concerto en ré majeur qui démontre, assez définitivement, qu'on ne dirige pas un orchestre en tenant la partie flûte... Le deuxième mouvement est superbe mais les deux autres, en dépit de l'énergie des musiciens manque par trop de précision et tend au troisième mouvement - mais Kossenko imprime cela - à la précipitation...

Pour conclure la première partie, deux airs issus d'opéras sérias de Mozart. Enfin, la grâce opère : la voix est précise, le timbre chatoie, l'interprétation de ces jeunes hommes déchirés et écartelés entre des sentiments contradictoires est bouleversante.

Le début de seconde partie confirme ce sentiment avec un somptueux Quest'improvviso : la voix est magnifiquement portée, superbement agile et l'aigu rayonne. Hélas vient ensuite un Ballet des ombres heureuses sans âme, dans lequel Les Ambassadeurs perdent toute énergie et Kossenko confond langueur et beauté... Pire, Amour, viens rendre à mon âme, dans la version Berlioz, voit Marianne Crebassa céder à toutes les « facilités » (si j'ose dire) de goût italien que lui offre cette partition remaniée. Produit des exigences de Viardot, cette réécriture dont on dit que, refusant de céder à ces caprices, Berlioz l'abandonna à son élève Saint-Saens est une nouvelle fois un choix esthétique regrettable dans ce programme. Non seulement elle dénature, par effet de juxtaposition le Ballet des ombres de la version française, mais elle introduit un malheureux anachronisme dans ce programme. S'il s'agissait de chanter du Berlioz, les pages sublimes pour mezzo ne manquent pas. S'il s'agissait de faire briller Marianne Crebassa dans du Gluck, la version viennoise y suffisait amplement.

Après une très belle ouverture du Don Giovanni dans lequel Les Ambassadeurs et Kossenko donnent toute leur mesure et jouent de couleurs superbes, un éblouissant Il tenero momento conclut le programme.

En bis, Marianne Crebassa va offrir un air d'Eros (tiré du Psyché de Thomas) de toute beauté, esthétiquement irréprochable et qui emporte l'auditeur vers des sommets. Malheureusement suivront la reprise du Gluck (dans lequel, il faut le dire, le public lui fait un triomphe les deux fois), et du Voi che sapete avec les mêmes défauts qu'en première partie.

C'est bien cette volonté d'éblouir, de montrer toute la beauté d'une voix - beauté indiscutable et aux couleurs multiples -, d'exposer toutes les facettes d'un talent que l'on sait très prometteur qui crée ce sentiment de malaise, de « trop et trop tôt », et qui fait passer Marianne Crebassa à côté de ce qui aurait pu être une superbe soirée. Aujourd'hui Marianne Crebassa devrait s'investir dans l'opéra séria de la fin du XVIIIème siècle et, à condition de travailler une diction qui manque aujourd'hui de précision, dans la musique française du début du XIXème. Le reste est dispersion ou, pire, instrumentalisation commerciale de l'artiste par son label.



Publié le 24 nov. 2016 par Jean-Luc Izard