One Charming Night - Arias et musique pour le théâtre - Henry Purcell

One Charming Night - Arias et musique pour le théâtre - Henry Purcell ©Festival de Froville - David Hansen
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Le Festival de musique sacrée et baroque de Froville (54) nous fait perdre la tête, la notion du temps… Ne serait-il pas coutumier du fait ?
Nous sommes aspirés par un vide temporel où le jour et la nuit se confondent aisément.

Proposé en cette fin d’après-midi, le titre du concert « One charming night » – « Une nuit enchanteresse » en renforce l’impression. Il est composé autour d’arias et de musiques de scène d’Henry Purcell (1659-1695).

Compositeur anglais du XVIIème siècle, Purcell apparaît comme un virtuose de l’écriture musicale. Il joue avec les modes mineur et majeur pour traduire toutes les nuances baroques : désir, passion, bonheur, souffrance, etc. Il confère à chaque mot une inflexion particulière, épicentre de son art ! Cette affirmation se vérifiera tout au long du concert. Au lieu d’encadrer le mot, Purcell le révèle grâce à la musique. Le mot prend alors toute sa charge émotive.
Avec une subtilité inégalée, Purcell ose les modulations, les changements de tonalités sans interrompre le discours musical. Il emploie avec art les dissonances, les effets en les poussant à l’extrême. Les nouvelles lignes mélodiques qui en résultent, produisent une impression de tension, d’instabilité. Nos oreilles sont-elles choquées par la profusion luxuriante de ces lignes ? Non, aucunement !
Purcell n’a cesse de créer, d’inventer une musique aux complexes sonorités. Il s’appuie sur l’héritage laissé par William Byrd (1543-1623), sur les créations novatrices françaises de Jean-Baptiste Lully (1632-1687) et italiennes d’Arcangelo Corelli (1653-1713). Là encore, il joue magistralement de son art !
Purcell recherche intensément les harmoniques. Il use avec un certain « entêtement » de la basse obstinée (ostinato) : répétition inlassable d’un motif de base, généralement composée par quatre ou huit mesures. Le motif perpétuel s’inscrit bien souvent dans une descente chromatique. Il apparaît dans des pièces telles que des chaconnes. Nous en retrouverons l’illustration parfaite dans le concert.
Son génie ne semble souffrir d’aucune limite à part celle de la mort qui le frappe à trente-six ans.
Purcell laissera environ huit cent soixante œuvres : arias (ou songs), masques, musiques de scène, opéras et semi-opéras.

Pour ce voyage au cœur de la « nuit charmante », le Festival de Froville a convié pour la première fois un jeune ensemble Oslo Circles Barokkbandet.Comme son nom le laisse à penser, il a été crée à Oslo (Norvège) en 2015. L’ensemble réunit des musiciens de divers horizons géographiques et musicaux. Chaque musicien apporte son propre style, ses compétences et sa signature musicale. Il ne peut en découler qu’une formation riche de tous ces talents.
Sous l’impulsion de leur chef, la violoniste Astrid Kirchner, les musiciens sont unis par un seul lien : la passion de la musique baroque. Ils sont en constante recherche de la juste restitution des œuvres baroques. L’inspiration guide leurs archets ou leurs doigts.

La démonstration de leur talent ne se fera d’ailleurs pas attendre. Après un rapide accordage, les premières notes retentissent sous la voûte de l’église romane. L’acoustique exceptionnelle libère chaque son ainsi développé.
Nous apprécions pleinement la teneur du discours musical des airs de danse :la Suite (rondeau, air, menuett, hornpipe, jigg) d’Abdelazer ou la Revanche du Maure, composée en 1695. L’œuvre, musique de scène, repose sur la pièce de théâtre éponyme écrite par l’une des premières femmes poètes Aphra Behn, en 1676.
Le jeu du violon d’Astrid Kirchner s’impose d’emblée dans le rondeau. Il suffit d’observer l’archet qui glisse ou frappe la corde à l’endroit précis ! Karl Nyhlin, à la guitare baroque, nous ouvre les portes du paradis. La suavité mélodique est présente, envahissante mais si délicate que nous l’acceptons avec honneur. Le motif musical du rondeau permet facilement de le retenir.
Le mouvement « hornpipe » retient toute notre attention. Danse anglaise, il offre une grande variété de combinaisons métriques à trois temps. L’engouement s’empare de nos pieds qui auraient tendance à entrer dans la danse. Purcell décale les séquences mélodiques entre les instruments dits « supérieurs » et la basse. L’effet recherché est de masquer la basse obstinée servant d’armature. But atteint ! Le violoncelle de Gunnar Hauge souligne le discours de belles inflexions. Mariangiola Martello, installée au clavecin, s’acquitte d’un « continuo » soigné, présent. Elle sera aussi notre guide dans cette divagation intemporelle en expliquant les pièces interprétées.
La « jigg » (gigue), forme de danse s’exécutant sur une mesure ternaire, termine la suite de danses dans de subtiles dissonances.
N’oublions pas Øyvind Nüssle, second violon baroque, et Bénédicte Royer à l’alto, qui tiendront parfaitement leur ligne de chant.
Les lignes musicales des six instruments, présents sur scène, sont toutes audibles. L’homogénéité est donc atteinte et démontre une parfaite écoute des pupitres.

Pour parfaire l’excellence des instrumentistes, il ne manquait qu’une voix ! Le choix est cornélien face à la pléthore de contre-ténors… Qui choisir ? Qui restituera toute la richesse musicale de Purcell avec son instrument vocal ?
Il est convenu d’admettre le principe suivant. La beauté d’une voix ne se limite pas à la technique seule !
Un nom émerge de ces flots interrogatifs, celui de David Hansen. La nef de l’église de Froville s’est déjà parée en 2013 des nimbes d’argent du chanteur.

Interprété par le contre-ténor, Music for a while retentit dans un parfait silence. Composée en 1692 et destinée à la pièce Oedipus de John Dryden (1631-1700), elle s’articule autour de quatre mouvements musicaux. Elle souligne le pouvoir apaisant de la musique face aux tourments de la vie. D’un ton juste et accompagné par le théorbe et le violoncelle, David Hansen en restituera toutes les nuances: « La musique un moment, trompera tous vos tourments. Vous vous étonnerez de voir vos douleurs soulagées. »
Sur le socle harmonique et rythmique, le contre-ténor développe la mélodie jouée par la basse obstinée. Il est aussi élégant dans le grave, le médium et l’aigu.
Si nous prêtons attention, nous pouvons voir comment le contre-ténor construit le son. Il place sa langue en buttée contre les dents du bas. Il l’infléchit et décolle le voile du palais. L’émission du son (la phonation) est aisée.
La symbiose entre le texte et la musique envoûte… Les applaudissements fusent en guise de merci.

Le semi-opéra The fairy Queen, composé en 1692, puise librement son originalité dans le Songe d’une nuit d’été de William Shakespeare (1564-1616) et dans la tragédie de Pyrame et Thisbé.
Précédant l’aria « One charming night », une suite de danses est rythmée par de délicieux accents et d’exquis effets. Elle confère aux phrases instrumentales un certain dynamisme.
Accompagné par la Nuit, David Hansen augmente la saveur de la prosodie. Il développe un langage poétique appuyé par le premier violon, le théorbe et le violoncelle.

L’année 1691 est marquée par un autre chef-d’œuvre de Purcell, King Arthur sous-titré The British Worthy, sur un livret de Dryden. L’œuvre narre la quête du roi Arthur pour retrouver sa fiancée, la princesse Emmeline, enlevée par le roi Oswald.
Relevons une particularité novatrice à cette époque. Les principaux personnages ne chantent pas mais sont présentés par les personnages secondaires.
En alchimiste de la musique baroque, Purcell voue une recherche incessante aux effets harmoniques.
L’air What power art thou, connu sous le nom de « scène du froid », en constitue l’un des plus célèbres exemples. L’entrée instrumentale dessine les contours de l’aria. Les violons et les autres cordes personnifient les morsures du froid par leur attaque nette et franche. Le théorbe se distingue par son jeu éclairé dans cette froideur musicale.
Figés, nous attendons « l’assaut » du contre-ténor. Enfin, « Quel pouvoir es-tu, .. » résonne. Sa voix pure nous glace, nous terrifie par autant de puissance vocale développée. L’interprétation expressive est à son apogée. Les notes piquées ou liées, les crescendos et decrescendos accentuent l’effet glaçant.Aucun doute ne demeure, David Hansen est bien un des plus talentueux de la nouvelle génération de contre-ténors !

L’air Sweeter than rosesPlus doux que les roses, issu de Pausanias et la chaconne de Fairy Queen réchauffent les corps transis de froid. L’aria laisse jaillir les aigus aériens du chanteur. Le clavecin et le violoncelle enchantent l’amour victorieux. La belle lecture de la chaconne révèle l’éclat de la guitare baroque de Karl Nyhlin, au phrasé passionné. La chaconne confirme la qualité musicale de l’ensemble.
Commandée pour l’anniversaire de la reine Mary II en 1694, l’ode Strike the viol – Frottez la viole est composée sur un poème de Nahum Tate (1652-1715). Elle s’appuie sur une base obstinée où les deux violons, la guitare baroque, le violoncelle et le clavecin s’affrontent dans une étreinte festive. La ductilité vocale de contre-ténor n’est plus à démontrer.

Ainsi s’achève la première partie du concert. Les parterres d’herbes aromatiques libèrent leurs effluves… Promenons-nous, profitons du moment compté de l’entracte !

If music be the food of love – Si la musique est la nourriture de l’amour ouvre l’ultime étape de cette « nuit enchanteresse »… La sensualité courtise la séduction tout comme le théorbe dialoguant avec David Hansen.
The Indian Queen est le dernier semi-opéra de Purcell, qu’il n’a pu terminer. Il sera achevé par son frère Daniel Purcell (1664-1717). Bien qu’œuvre posthume, les musiciens insuffleront un dynamisme et soigneront les articulations dans les moindres détails.
L’affliction prend un nouvel envol avec When I am laid – Quand je serai portée en terre. L’air est extrait de l’acte III de Dido and Eneas, seule œuvre de Purcell considérée comme un opéra baroque. Un chef-d’œuvre de la période baroque !
L’aria se développe sur un motif obstiné « imposé » par le continuo. Purcell se sert du chromatisme dans le simple but de renforcer l’effet dramatique. David Hansen brille tel un diamant lorsqu’il prononce remember me – souviens-toi de moi. Sa technique infaillible lui permet des aigus d’une rare intensité, même pianissimi ! Un long silence accueille l’ultime résonance. Tellement chargés d’émotion, nous ne voulons troubler ce moment…
La chaconne The grand dance et l’air Fairest Isle concluent la nuit enchanteresse sur des notes d’espoir. Chanté par Vénus, l’air symbolise la naissance de l’île de Britannia où Saxons et Bretons pourront vivre en paix. Selon les propres termes de la claveciniste Mariangiola Martello, « C’est une utopie ! Mais on a besoin de paix dans ce monde. »

Les œuvres de Purcell se caractérisent par leur inventivité mélodique et leurs harmonies subtiles. Il élabore la synthèse de la musique traditionnelle anglaise et du baroque français et/ou italien.

Conquis et enchantés, nous adressons aux artistes des bravos chaleureux. Les applaudissements réclament un bis… David Hansen et l’ensemble Oslo Circles Barokkbandet nous en offrent généreusement trois dont la reprise du magnifique When i am laid.

Froville n’est pas seulement un lieu où viennent se produire des artistes du monde entier. Il est également un lieu de rencontres, d’échanges, de partages.
L’enchantement doit continuer…



Publié le 08 juil. 2017 par Jean-Stéphane SOURD DURAND