In war and peace - Joyce Di Donato

In war and peace - Joyce Di Donato ©
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Le baroque et le chaos

Intitulée In war and peace : l'harmonie par la musique la composition très construite, pour ne pas dire conceptualisée, de ce concert-spectacle nous invite « à observer les univers intriqués de la guerre et de la paix », et nous interroge « Au cœur du chaos, comment trouvez-vous la paix ? ». Sur chacun des sièges du TCE, une enveloppe (« A message for you from Joyce ») dans laquelle une carte nous demande de répondre à cette question, nos réponses devant figurer dans une exposition sur la paix. Sur scène, dès l'ouverture de la salle noyée dans la fumée et la pénombre et saturée d'un bruit de roulements lointains et inquiétants, Joyce Di Donato est déjà là et attendra une bonne demie heure le début du spectacle assise, immobile, telle un prêtre bouddhiste. Aucun doute, c'est bien à une performance, destinée à dépasser le cadre, certes compassé, du concert lyrique que nous sommes conviés.

Mais, très franchement, tout ceci ne s'imposait pas. D'abord parce que Joyce Di Donato est une immense artiste qui est aujourd'hui au sommet de son art et n'a besoin d'aucun adjuvant pour faire naître l'émotion de son public et le conduire à s'interroger. Ensuite parce que les apports de la mise en espace de Ralf Pleger sont très loin d'être évidents, que la dimension créative et artistique des éclairages (Henning Blum) et des vidéos (Youssef Iskandar) m'a totalement échappé et que la prestation du danseur Manuel Palazzo, certes un peu moins plaquée sur le propos, n'en restait pas moins dépourvue de toute dimension narrative ou pédagogique. Bref, au risque de sembler outrancièrement conservateur, je n'ai pas été convaincu par cette volonté de mettre en scène le propos. Heureusement, la sincérité de Joyce Di Donato ne fait aucun doute, non plus que son immense talent, sinon on aurait le sentiment d'assister à une opération marketing.

Sous la direction de Maxim Emelyanychev, Il Pomo d'Oro est toujours aussi coloré et élégant. Son accompagnement de Joyce Di Donato est impeccable si on veut bien oublier le Jephta d'entrée qui était mal équilibré. Très heureusement, passé ce premier air, l'ensemble se ressaisit et son immense qualité est indubitable, notamment dans les pages instrumentales (le Da pacem, Domine de Arvo Pärt est superbe !).

Les qualités de Joyce Di Donato sont évidentes dès sa première note : la voix est puissante, d'une grande étendue, très homogène, le timbre est suave, la technique stupéfiante se fait totalement oublier, la précision est impressionnante et la gestion du souffle est irréprochable. Si l'extrait de Jephta est gâché par une gestion peu satisfaisante des équilibres, le Prendi quel ferro de Leo est d'une immense puissance, exprimant terreur et défi avec talent et nuançant à l'infini les expressions. La mort de Didon est souveraine, déjà apaisée. Un deuxième sommet de la soirée se déploie ensuite avec le Pensieri voi mi tormentate (Agrippina) dont le moindre détail, la moindre intention sont maîtrisés, et dans lequel les qualités techniques de la chanteuse sont éblouissantes, alliant virtuosité, précision et gestion implacable du souffle. C'est sur un Lascia ch’io pianga très dépouillé et de toute beauté que se conclut la première partie.

La seconde partie trouvera une Joyce Di Donato aérienne, légère, capable de chanter comme un bruissement, un air de campagne l'été, une ode à la nature (Crystal steams... et plus encore l'extrait de Rinaldo). Le Da tempeste de Jules César renoue avec la virtuosité et ici encore l'interprétation est totale et le résultat superbe.

En bis, on retrouve avec plaisir le très joyeux Par che di giubilo, tiré de l’Attilio Regolo de Jommelli, tout en vocalises et ornementé à l'envi par Joyce Di Donato. Et enfin, un Morgen (Richard Strauss) tout en délicatesse, sonnant étrangement sur instruments anciens mais dans lequel chaque inflexion de la voix est une caresse qui achèvera ce triomphal concert.



Publié le 29 mai 2017 par Jean-Luc Izard