Dialogue aux Carmélites - Bach, Buxtehude

Dialogue aux Carmélites - Bach, Buxtehude ©JJ. Ader
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A Toulouse, Musique en dialogue aux Carmélites

Cité riche d’un passé glorieux, la Ville Rose est un haut lieu de culture qui jouit d’un patrimoine exceptionnel, ses nombreux musées d’art ancien et contemporain, sa cathédrale, ses églises splendides son opéra et ses salles de concerts, théâtres. Une vie culturelle au sein de laquelle la musique tient une place majeure. Aux festivals prestigieux qui animent la vie musicale, une nouvelle manifestation, Musique en dialogue aux Carmélites qui a achevé sa deuxième saison le 23 septembre dernier, apporte depuis deux éditions une qualité et un climat singulier.

Après avoir programmé plusieurs saisons de concerts dans la ravissante Orangerie du château de Rochemontès datant au XVIIIème siècle, Catherine Kauffmann-Saint-Martin s’est engagée, avec le soutien de la mairie de Toulouse, dans l’organisation et la programmation de rendez-vous où musique et textes dialoguent à l’occasion de quatre week-ends au cours de l’été. La Chapelle des Carmélites a offert son écrin raffiné à cette belle initiative. Edifiée au début du XVIIème siècle dans la tradition du gothique méridional, cette chapelle est le seul vestige du couvent des Carmélites. Désaffectée lors de la Révolution par la Convention en 1791 qui chassa les Carmélites, elle fut rendue au culte en 1807 puis attribuée à l’Université de Toulouse en 1908, enfin confiée à la ville depuis 2007. Son architecture présente un envoûtement constitué d’épaisses planches de chêne qui offre une acoustique boisée remarquable. Un magnifique décor peint, inspiré de la conception ornementale de la Chapelle Sixtine, a été réalisé par des peintres toulousains dont Jean-Pierre Rivals. Ces peintures recouvrent la voûte et les parois des figures allégoriques des vertus, des Prophètes et des Justes de l’Ancien Testament, l’Annonciation et la nativité occupent le chœur, tandis qu’en une suite de fresques les artistes célèbrent l’apothéose de sainte Thérèse d’Avila, la réformatrice du Carmel et la gloire du Carmel.

Comment imaginer un cadre baroque aussi fastueux qui dispose mieux le cœur et l’esprit à l’écoute des Cantates de Buxtehude et de Bach réunis dans le programme de clôture de cette saison en ce dimanche après-midi baigné de soleil ? La thématique du concert, inspirée de La Rencontre de Lübeck, l’ouvrage que Gilles Cantagrel a consacré à cet épisode décisif de la vie de Bach, était centrée sur le voyage que le jeune Bach âgé de 21 ans entreprit pour rendre visite à Lübeck au plus grand compositeur d’Allemagne du Nord à qui il vouait une profonde admiration au point de parcourir à pieds quelque quatre cents kilomètres ! Pour ce déplacement majeur pour sa formation, Bach demande quatre semaines de congés à ses employeurs et quitte Arnstadt à la fin d’octobre 1705. Il y avait été engagé simplement après audition en 1703 comme organiste sans même passer le concours de recrutement, il avait à peine dix-huit ans ! Mais, doté d’une intelligence exceptionnelle, mû par une insatiable curiosité, fasciné par l’art du grand maître, il s’absente plus de quatre mois, ce qui n’est pas du goût des autorités ! Il rompt son contrat dès que se présente un poste vacant à Mülhausen, poste qu’il quittera quelques années plus tard pour la prestigieuse cour de Weimar au titre d’organiste, de violoniste et de compositeur.

Le concert qui s’est déroulé dans une chapelle comble, ponctué entre chaque pièce du récit passionnant de Gilles Cantagrel. Ce conteur chaleureux et grand érudit a guidé les auditeurs à travers les méandres de la vie et de la création des deux musiciens, éclairant le cheminement de leurs œuvres.

Deux cantates de jeunesse de Bach enserraient les cantates de Buxtehude. En ouverture de programme la brève et alerte cantate nuptiale Der Herr denket an uns (Le Seigneur pense à nous) BWV 196, donnée en juin 1708 dans l’église Saint-Barthélémy de Dornheim, à l’occasion du mariage du pasteur Stauber, ami de Bach qui avait célébré dans cette même église son propre mariage quelques mois auparavant avec sa cousine Maria Barbara. Cette Cantate de la première période composée sur quatre versets en allemand du psaume 115 est pleine de charme et séduction en lien avec le contexte festif pour lequel elle a été composée et où peut se percevoir l’influence italienne à laquelle Bach a été sensible.

La cantate Christ lag in Todes Banden (Christ gisait dans les liens de la mort) BWV 4, exécutée en 1707 ou 1708 à Mülhausen où Bach avait été employé depuis peu comme organiste. Le texte de la cantate suit le poème de Luther adapté du Victimae paschali Laudes, daté du XIè siècle dont Bach met en musique les sept strophes qui nous mènent des ténèbres du tombeau vers la lumière de la félicité éternelle de l’Alléluia. Le Christ ressuscité en ce matin de Pâques apporte la victoire de la vie sur la mort et le péché. Cette cantate telle une poignante lamentation est justement considérée comme l’un des chefs-d’œuvre de la jeunesse de Bach par la perfection de son écriture et la maîtrise des moyens musicaux mis au service d’une profonde religiosité. Après la Sinfonia, la première partie vocale, le Versus 1, la plus développée est d’une majesté stupéfiante portée par la soprano et le quatuor vocal qui poursuit son intervention au sein des 5 autres Versus donnant la parole aux autres tessitures pour célébrer mort de Jésus et allégresse de sa résurrection.

Trois cantates du maître de Lübeck enchâssées au sein des deux cantates de jeunesse du Cantor ont permis une plongée dans le climat musical de ce voyage initiatique exceptionnel. Ces cantates d’une haute portée spirituelle sont des œuvres destinées à la liturgie de l’Eglise luthérienne : Herren war Gud (Le Seigneur t’exauce) Bux WV 40, datée du 8 juin 1687, empruntée au répertoire luthérien sur un texte suédois chanté dans sa version allemande, Jesu meines Lebens Leben (Jésus, vie de ma vie) BuxWV 62 et enfin Walts Gott mein Werk ich lasse (Je remets mon œuvre dans les mains de Dieu) BuxWV103 - autant d’hommages au Seigneur, bienfaiteur et rédempteur d’une l’humanité pécheresse qui serait en perdition sans la lumière divine salvatrice.

Pour Jean-Marc Andrieu, ces trois cantates de Buxthehude sont exemplaires du génie du maître de Lübeck dans l’art de la rhétorique et la mise en musique des idées poétiques du texte sacré nous a-t-il confié à l’issue du concert. Ce qui est essentiel, reconnaît le chef, c’est l’influence de Buxtehude sur la grammaire musicale de Bach. Le répertoire allemand nous donne une leçon de précision sur le plan de l’écriture et des moyens techniques mis en œuvre. Ce tout jeune homme d’une vingtaine d’années a su s’approprier ce nouveau langage en le faisant sien. Les deux musiciens partagent un même sens de la dimension spirituelle de la musique, vecteur d’une religiosité sans faille dont le but est d’émouvoir l’âme, poursuit le maestro.

Jean-Marc Andrieu à la tête de son bel ensemble baroque Les Passions, dont la sonorité particulièrement homogène s’est déployée harmonieusement dans l’enceinte de la Chapelle dotée d’une acoustique fruitée a permis à chaque instrument d’exprimer pleinement ses couleurs et sa dynamique. Outre l’évocation du contexte historique de la rencontre entre les deux génies, la cohérence de ce programme se justifie également, pour le chef, par la formation propre à ces cantates : quatre solistes lumineux, assurant également le rôle d’un chœur à une voix par partie, Anne Magouët, soprano, Pascal Bertin, alto, Sébastien Obrecht, ténor et Stephan Imboden, basse, et un effectif commun : deux violons, Gilone Gaubert-Jacques et Nirina Betoto, deux altos : Solenne Burgelin et Jennifer Lutter, Etienne Mangot au violoncelle, excellent soutien des voix, récitatifs et airs et au positif, signé Etienne Fouss (2008), Yasuko Uyama-Bouvard, continuiste aguerrie, au jeu clair et parfaitement articulé. L’Orchestre Les Passions et les chanteurs solistes invités ont offert, pour notre bonheur, une interprétation équilibrée et puissante aussi engagée que sensible de ces pièces sacrées d’un intense lyrisme, méditations sur le sens de notre présence passagère sur terre et l’espoir en la vie éternelle.



Publié le 05 nov. 2018 par Marguerite Haladjian