Il Diluvio universale - Falvetti

Il Diluvio universale - Falvetti ©Bertrand Pichène
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Torrent d’émotions à Ambronay

Cette cinquante-et-unième représentation du Diluvio Universale de Michelangelo Falvetti a pris une résonance tout à fait particulière dans le cadre du 40ème Festival de Musique d’Ambronay. Durant l’après-midi qui précède, une savoureuse conférence du Président Alain Brunet retrace l’histoire du Festival, en nous révélant des anecdotes inédites sur les collaborations avec les premiers chefs baroques qui ont collaboré (Jordi Savall, William Christie ou Gabriel Garrido, pour n’en citer que quelques-uns, puisque quasiment tous les chefs du renouveau baroque des années 1980 ont dirigé à un moment à Ambronay). Présent dans la salle, Leonardo Garco Alarcón a pu y ajouter quelques-uns de ses souvenirs, et nous parler ensuite de la création du Diluvio dans ce même Festival en 2010, création qui connut ensuite un succès qui a fait le tour du monde et ne s’est jamais démenti depuis (lire notamment dans ces colonnes le compte-rendu du concert à la chapelle de Versailles en juin 2016).

Cette création a également largement contribué au renom de l’ensemble Capella Mediterranea et de son chef, là aussi à juste titre. Il Diluvio Universale est en effet la première œuvre qui vient à l’esprit quand on cite la formation, même si elle a depuis produit de remarquables opéras baroques (lire notamment les chroniques Il Giasone et El Prometeo) ainsi que de rafraîchissants concerts de musique baroque espagnole ou sud-américaine (voir les comptes-rendus Carmina latina et De vez en cuando la vida, où le baroque s’allie aux chansons contemporaines de Joan Manuel Serrat).

En prélude du concert, Leonardo Garco Alarcón rappelle son attachement personnel à ce Festival, qui lui a permis de rencontrer sa future épouse et de nombreux amis. L’émotion est également palpable dans le public, qui se presse en rangs serrés, pour entendre ou réentendre ce concert. Elle va aussi, on le devine, susciter une sensibilité particulière au sein de Capella Mediterranea durant toute cette soirée.

Dès les premières notes, les cordes vibrent de manière encore plus onctueuse qu’habituellement, sacqueboutes et cornets sonnent avec plus de vigueur encore. Christopher Lowrey surgit de l’assistance pour lancer avec force l’apostrophe de la Justice Divine Cedi Pieta ; sa projection ample tournoie dans l’abbatiale, et son chant est relayé de gestes expressifs. Le timbre fruité de Julie Roset (L’Eau) nous régale d’ornements en cascade (Le nube funeste), avant un chœur (Assorban la terra) à la puissance décuplée par sa présence sur le devant de la scène. Noé (Valerio Contaldo) arrive ensuite en tenant Rad (Mariana Flores) par la main : leur présence complice sur la scène nous tient en haleine, leurs poses et leurs gestes sont parfaitement ajustés à chaque épisode de cet oratorio mis en espace. Le danger les rapproche encore, ils sont désormais enlacés, terrorisés face au ciel déchaîné. Ensemble ils invoquent la clémence divine (Il Gran Dio) dans un émouvant duo. Face à un Dieu (la basse Matteo Bellotto) dont la colère s’épanche en graves impérieux, le ténor plaide avec humilité et conviction sa cause et celle de sa famille. Son timbre est assuré, sa projection vaillante. Après le ravissant chœur des trois sopranos (Grazie a la man tonante), la tempête se déchaîne à travers la sinfonia d’un orchestre aux masses bien équilibrées, entre elles et avec le chœur qui suit (A fuggire).

Tous se taisent soudain devant l’arrivée de la Mort, apparition hallucinée d’un Fabian Schofrin dont la voix contrefaite renforce le caractère surnaturel et effrayant (Da le caverne). Le Chœur de Namur lui répond dans un effroi impeccablement maîtrisé, avant que ne survienne La Nature Humaine, intrépide et circonspecte Caroline Weynants, qui s’approche de la Mort, la renifle, puis s’en écarte. Après un court échange vocal avec la Mort, son invocation douloureuse (Ah ! Perduta innocenza !) est particulièrement poignante, et le chœur qui suit (Ahi che nel fin) relaie son désespoir en de longs ornements plaintifs.

Une sinfonia courte et rythmée au son du tambourin invite la Mort à venir fêter sa victoire, qui culmine dans l’exubérante danse macabre d’un Fabian Schofrin très en verve.

Le retour sur la scène de Noé et Rad, se tenant par la main, apporte enfin l’apaisement attendu. Le ténor est particulièrement brillant dans sa dernière invocation (Cangia dolce moi Dio), qui précède un duo rayonnant de Caroline Weynants et Mariana Flores (Ecco l’iride paciera). L’orchestre tout entier déploie ses riches sonorités pour s’unir aux choristes dans une proclamation finale jubilatoire.

Le concert se conclut par un tonnerre d’applaudissements, et de nombreux rappels. Leonardo Garco Alarcón remercie à nouveau le Festival, et nous précise que pour lui « Jouer Il Diluvio c’est revenir à la maison ». Le public est enthousiaste, et il obtiendra pas moins de trois reprises de différents extraits de cette œuvre mémorable, tous à nouveau très applaudis.



Publié le 20 oct. 2019 par Bruno Maury