Bach & Buxtehude - Bénard

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Bach et Buxtehude à Saumur

L’organiste Vincent Bénard, élève du regretté Louis Thiry, proposait samedi 14 août 2021 un concert à Saumur dans le cadre du festival de La Dive Musique. Une petite escapade angevine pour ce festival tourangeau qui a choisi en son édition 2021 de faire résonner l’orgue baroque de Notre-Dame de Nantilly le temps d’un concert dédié à la musique de Bach et de Buxtehude. Construit par le facteur d’orgue breton Pierre Le Helloco, cet orgue baroque de style français de trente trois jeux est le plus ancien de la région des Pays de Loire. Doté d’un buffet du XVIIe, cet instrument exceptionnel, représentatif de la facture d’orgue française au siècle de Louis XIV, fut achevé en 1690, ainsi qu’en témoigne la date inscrite sur le cartouche situé en bas du positif. Toutefois, certains éléments de l’instrument proviendraient d’un orgue plus ancien encore ! Dégradé pendant la Révolution Française, victime de « mises au goût du jour » hasardeuses au XIXe siècle, il bénéficie d’une restauration durant les années 2015 et 2016 par le facteur Nicolas Toussaint, directeur de la Manufacture Bretonne d’Orgues de Nantes. Les jeux supprimés au XIXe siècle sont alors fidèlement reconstitués et l’instrument retrouve ainsi son état d’origine et surtout l’esthétique sonore qui était la sienne lors de sa construction !

La rencontre de Lübeck

Bach et Buxtehude, l’association de ces deux compositeurs majeurs dans un programme de concert est des plus judicieuse pour mettre en exergue l’influence du vieux maître de Lübeck sur le jeune Jean-Sébastien Bach. Leur rencontre demeure un événement marquant dans le parcours de ces deux musiciens, mais sera particulièrement décisive pour l’organiste d’Arnstadt. C’est cette rencontre qui a inspiré à Gilles Cantagrel, son roman intitulé La Rencontre de Lubeck : Jean-Sébastien Bach, fervent admirateur de Dietrich Buxtehude, se rend à l'âge de vingt ans à pied (selon la légende, car il n’est absolument pas certain qu’il ait parcouru le chemin à pied !) à Lübeck à 400 km d’Arnstadt afin de rencontrer celui qui est considéré comme le plus grand compositeur allemand de son temps (Buxtehude décédera deux ans plus tard). Parti pour trente jours, il y reste finalement... quatre mois. Que s'est-il passé à Lübeck ? Aucun document historique ne permet de le savoir…Quoiqu’il en soit, il s'est nécessairement produit quelque chose d'essentiel : la transmission d'un savoir, car une chose est acquise, Bach revint transformé de ce séjour . A son retour à Arnstadt, il n'accompagnait plus les cantiques de façon conventionnelle, improvisant de façon intempestive et prolongée entre les strophes des cantiques, ce qui avait pour effet de perturber l'assistance… comme en témoigne le procès-verbal du consistoire d’Arnstadt le 21 février 1706 : « L’organiste de l’Église-Neuve (J. S. Bach) est interrogé, et il lui est demandé où il est allé récemment si longtemps et auprès de qui il en a demandé l’autorisation. Il dit qu’il est allé à Lübeck pour y apprendre diverses choses relatives à son art, mais qu’il en avait auparavant demandé l’autorisation à Monsieur le Surintendant. Le surintendant déclare qu’il (J. S. Bach) n’avait demandé que quatre semaines et qu’il est resté quatre fois aussi longtemps...il faisait depuis ce voyage d’étonnantes variations dans ses chorals, qu’il y mêlait des accords étranges, de telle sorte que la communauté en était fort troublée ».

Musique allemande et orgue à la française

Construire un programme de musique allemande destiné à être joué sur un instrument d’esthétique purement française peut surprendre au premier abord… Pourquoi ne pas avoir choisi des pièces de compositeurs français ? Vincent Bénard l’explique ainsi : « Même si cet orgue est prévu à l’origine pour jouer la musique française de cette époque, les pièces allemandes choisies sonnent très bien. Le fort caractère de l’orgue vient au service du caractère des pièces. Il y a une multitude de possibilités de mélanges de sonorités toujours aussi magiques. L’œuvre de Bach est indépendante des moyens instrumentaux utilisés pour la mettre en onde, la précipiter (au sens chimique) dans le monde réel et la donner à entendre. La qualité de cet orgue en fait un des instruments élus pour une des nombreuses osmoses possibles. Je me fonds alors dans cette union à trois, à l’écoute de l’œuvre et de l’instrument ».

Le programme débutait par trois pièces de Dietrich Buxtehude, permettant ainsi à l’auditoire de mesurer l’influence musicale évidente de ce compositeur sur Jean-Sébastien Bach. Un chef-d'œuvre absolu du maître de Lübeck pour débuter ce concert en beauté, le Praeludium en sol mineur BuxWV 149, qui est probablement son œuvre la plus connue. Une composition puissante avec une basse obstinée qui lui confère un aspect à la fois mystérieux et majestueux, dans laquelle Buxtehude emploie des harmonies très novatrices pour l’époque tout particulièrement dans la fugue. Deux œuvres toutes en douceur sont ensuite interprétées par Vincent Bénard et contrastent avec la pièce précédente par leur aspect presque méditatif : In dulci jubilo BuxWV 197, chant de Noël allemand du XIVe siècle, proposé dans une registration toute en douceur qui n’est pas sans rappeler les chorals de Bach et la Ciacona BuxWV 160 d’aspect très solennel avec ses magnifiques variations.

Jean-Sébastien Bach à l’honneur

Place à Jean-Sébastien Bach ensuite, avec la célébrissime Toccata et fugue en ré mineur BWV 565. Cette œuvre universellement connue est idéale pour mettre en valeur les qualités de l’instrument. Elle aurait été créée à l'origine pour le clavecin puis transposée à l'orgue pour en augmenter l'effet spectaculaire, mais l’idée qu’elle puisse être la transcription d'une œuvre pour violon seul a également été émise. Vincent Bénard a offert au public une interprétation très personnelle, usant au mieux des possibilités de l’instrument, à travers laquelle il a su mettre en valeur l’inventivité particulièrement présente dans cette pièce de Bach. Cinq chorals, parmi lesquels le célèbre Choral du veilleur BWV 645 extrait des chorals Schübler, invitaient ensuite le public à un moment de douce sérénité. Ces pièces de Bach qui ne comportent aucune indication de tempo ni de registration, laissent toute latitude à l’organiste pour les interpréter selon sa sensibilité, et selon les possibilités offertes par l’orgue dont il dispose. Vincent Bénard s’est autorisé à livrer une vision des plus personnelles du choral Ich ruf zu Dir, Herr Jesu Christ BWV 639 en faisant suivre la version originale par une version diminuée qui rompt de manière surprenante avec l’austérité luthérienne du thème. Ces cinq chorals constituent une musique hautement invocatrice et l’interprétation veloutée, toute en douceur proposée par l’organiste a particulièrement mis l’accent sur l’aspect recueillement et méditation qu’évoque cette musique.

Changement d’atmosphère ensuite avec La Fugue alla gigue BWV 577 (à écouter ici), dont l’écriture des plus originale sur un rythme ternaire très enlevé lui confère un caractère presque dansant. L’utilisation des jeux d’anche de l’orgue par Vincent Bénard dans la conclusion de cette fugue hautement jubilatoire lui donne un caractère presque français dans le style.

La Fantaisie et fugue en sol mineur BWV 542 tenait lieu de conclusion au programme. Cette pièce compte également parmi les plus fameuses écrites par Jean-Sébastien Bach. La fugue aurait été, selon légende, improvisée en 1720 lors de l'audition de Bach pour obtenir le poste d'organiste à la Jakobikirche de Hambourg. Le sujet de la fugue, un air populaire hollandais, aurait été donné à Bach afin qu'il démontre ses talents d'improvisateur. Aucun manuscrit autographe, que ce soit de la fantaisie ou de la fugue, n’a été retrouvé, pas même une copie manuscrite datant de l'époque du compositeur et il n’est d’ailleurs pas avéré que le couplage de cette fantaisie avec la fugue provienne du compositeur lui-même. L’écriture de cette Fantaisie et fugue est un témoignage éclatant du génie de Bach. Elle constitue un nec plus ultra de ce que Bach a pu écrire pour l’orgue, mêlant inventivité et perfection de la forme, révélant une maîtrise d’écriture absolue tout particulièrement dans la fugue. Cette Fantaisie et fugue n’est pas sans rappeler le Praeludium en sol mineur de Buxtehude, première pièce inscrite au programme. Elle permet de faire le parallèle entre les deux pièces et de mesurer l’influence de Buxtehude sur la musique de Bach… et force est de constater, à travers l’écoute de cette pièce, que l’élève Bach a dépassé le maître.

Un orgue historique exceptionnel


Orgue de Notre Dame de Nantilly

Concernant cet orgue on pourra lire avec intérêt la notice disponible sous le lien suivant

Les applaudissements du public, à la fin du concert seulement pour suivre les recommandations de Vincent Benard et préserver ainsi la progression du concert sans en rompre l’atmosphère, l’ont conduit à proposer plusieurs bis. L’Offertoire sur les grands jeux de la Messe à l’usage des couvents de François Couperin (à écouter ici) fut une excellente occasion d’apprécier l’orgue de Notre Dame de Nantilly à travers une musique correspondant cette fois exactement à celles pour lesquelles il fut construit à son origine !

Ce récital d’orgue est certes resté en terrain connu, probablement dans une volonté des programmateurs de le rendre accessible à tous les publics. Mais ce sont justement ces œuvres connues de tous, mais que l’on écoute toujours avec le plus grand plaisir, qui ont permis d’apprécier les qualités sonores de cet orgue historique. De cet instrument exceptionnel, il s’avère qu’aucun enregistrement n’a encore été réalisé depuis sa restauration qui s’est achevée en 2016 ! Une lacune qu’il serait judicieux de combler car cet orgue entièrement classé (mécanisme et buffet) le mériterait amplement... avec de la musique française cette fois ! Et il y a fort à parier que la voûte romane de l’église de Notre Dame de Nantilly serait un lieu idéal pour y enregistrer une messe avec plain chant baroque alterné ! Reste à souhaiter que l’appel soit entendu...



Publié le 23 août 2021 par Eric Lambert