Dixit Dominus - Grand Motet

Dixit Dominus - Grand Motet ©Festival de Beaune - P. B.
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Un concert spirituel exaltant


Trois annonces furent faites par la directrice artistique du festival de Beaune. Sophie Karthauser, souffrante, ayant renoncé de participer à ce concert, la deuxième soprano, Natasha Schnur fut chargée de chanter la partie de sa collègue en plus de la sienne propre.

Ce concert spirituel était dédié à la mémoire de la Vénérable Marguerite du Saint Sacrement à l'occasion du 400ème anniversaire de sa naissance en 1619 à Beaune. Il coïncide aussi avec le 40ème anniversaire de la création des Arts Florissants par William Christie.

Première œuvre au programme, le Kyrie eleison en sol mineur pour double choeur RV 587 d'Antonio Vivaldi (1678-1741). La supplication du Kyrie eleison (Seigneur, prends pitié), début de l'ordinaire de la messe, fait suite généralement à un acte pénitentiel de l'assemblée. Il prete rosso devait avoir beaucoup de choses à se faire pardonner car ce magnifique Kyrie débute par des harmonies particulièrement déchirantes. Les harmonies audacieuses, les secondes mineures, l'instabilité tonale donnent à ce début un caractère très intense. Comme il se doit, la prière Christe eleison (O Christ prends pitié), allegro, est moins accablée bien que restant dans le mode mineur et très animée du fait des doubles croches très rapides aux violons. La musique se fait tout aussi sombre qu'au début lors du retour du Kyrie eleison avec une double fugue austère, émaillée de dissonances et de chromatismes. Une tierce picarde met un point final à cet admirable morceau, chef-d'œuvre de contrepoint qui n'aurait pas laissé Jean-Sébastien Bach indifférent s'il l'avait connu !.

Profession de foi chrétienne, le texte du Credo donne aux compositeurs l'occasion d'affirmer leur foi avec vigueur et souvent de manière triomphale. Le mode mineur utilisé par Vivaldi dans ce Credo RV 591 en mi mineur (allegro), les motifs répétés rageurs des violons, les marches harmoniques des basses créent une atmosphère instable et agitée qui ne cadre pas avec l'idée qu'on se fait du Credo in unum Deum. Toutefois, le flux musical homophone affirme qu'il ne peut y avoir de discussion face à l'évidence. La séquence Et incarnatus est qui donne souvent l'occasion d'un solo de soprano de caractère pastoral, est confiée ici au chœur (adagio en mi mineur) et est caractérisée par des modulations osées, des chromatismes et des dissonances notamment sur les mots Et homo factus est. L'épisode Crucifixus est (largo en la mineur), centre de gravité de l'œuvre, est un lamento chromatique poignant qui se termine dans les profondeurs sur les mots passus et sepultus est. Alors qu'on attend un joyeux Resurrexit, le rythme implacable, les notes répétées du début et la tonalité de mi mineur reprennent et cet étonnant Credo se termine cette fois de façon habituelle par un fugato sur les mots et vitam venturi saeculi.

Ces deux pièces religieuses dont les dates de composition sont inconnues, donnent l'occasion une fois de plus de constater la hardiesse du langage musical du prêtre roux que des jugements à l'emporte-pièce ont vite fait de reléguer au rang de compositeur facile et répétitif. On retrouve cette audace dans la musique de chambre, les concertos et les opéras. Qui n'a pas entendu le lamento de Farnace, apprenant la mort de son fils dans l'opéra éponyme, ne peut se targuer de connaître Vivaldi.

Traduction latine du psaume 110, le Dixit Dominus est le psaume de l'Ancien Testament le plus cité dans la liturgie catholique en raison de l'interprétation prophétique qui en a été faite. A travers le sacerdoce royal de Melchisedech, c'est le sacerdoce divin du fils de Dieu qui est exalté. Le roi chanté par le psalmiste devient pour les pères de l'Eglise, le Christ, le Messie qui instaure le Royaume de Dieu. Le Dixit Dominus est un des cinq psaumes chantés lors des vêpres dominicales. Par la richesse de son texte et les images fortes qu'il véhicule, il a été mis en musique isolément par nombre de musiciens baroques de la Contre-réforme qui visaient à toucher les fidèles par leur interprétation flamboyante et colorée de la parole de Dieu.

Baldassare Galuppi (1706-1785), dont la vie embrasse une grande partie du 18ème siècle, est typiquement un compositeur de transition entre le baroque et le classique. Principalement connu par ses opéras et notamment par Il mondo al rovescio, sa musique religieuse est encore peu jouée et ce beau Dixit Dominus en sol mineur comble indiscutablement une lacune. Le contrepoint a presque partout disparu et la mélodie règne en maître tout au long de l'œuvre.

Le premier verset Dixit Dominus en sol mineur est une pièce essentiellement chorale remarquable par son accompagnement très agité en notes répétées des premiers violons. Le verset Juravit Dominus est confié à une voix d'alto. Dans ce morceau la mélodie prime et la soliste dialogue avec l'orchestre. Eva Zaïcik a enchanté l'assistance par sa voix ample, parfaitement projetée et homogène dans le registre grave comme celui de l'aigu. Le timbre de sa voix est chaleureux et coloré. J'ai aussi apprécié l'absence de vibrato. La jeune mezzo-soprano, rompue à la musique baroque grâce en partie à sa participation dans le Consort de Justin Taylor avec lequel elle a enregistré un beau disque (cantates françaises), a réalisé récemment des incursions très réussies dans d'autres répertoires comme Carmen et surtout Ariane et Barbe bleue de Paul Dukas où elle chantait avec beaucoup d'engagement le rôle de Sélysette.

Le verset De torrente in via bibet est un solo de soprano doux et mélodieux de style typiquement galant. Cet air fut chanté finalement par Natasha Schnur à la place de Sophie Kärthauser souffrante. La jeune soprano aborda cet air avec précaution, attitude compréhensible compte tenu des circonstances, mais prit de l'assurance par la suite. D'une voix pure et agile, à la projection un peu juste, elle assura une bonne interprétation de cet air avec de jolies vocalises sur de torrente.
Une doxologie Gloria Patri et Filio terminait l'œuvre en reprenant le thème initial. Fin en sol mineur.

En deuxième partie, le monumental Dixit Dominus en sol mineur de Georg Friedrich Haendel (1685-1759) HWV 232 mettait un terme à ce concert. Le psaume 110 comporte sept versets mais Haendel en découpant autrement le texte a porté ce nombre à dix. Il en est résulté une œuvre grandiose d'une durée de 40 minutes, première œuvre d'importance composée par Haendel sur le sol italien. Elle fut exécutée le 16 juillet 1707 à Rome dans l'église Santa Maria di Monte Santo à l'occasion de la fête de l'ordre de Notre Dame du Mont Carmel. Cette œuvre réalisait une synthèse unique du style allemand assimilé durant la formation de Haendel à Halle puis à Hambourg et du style italien adopté du fait de l'immersion du jeune Saxon dans les milieux artistiques de Florence puis de Rome. Quelles sont les influences possibles ayant agi sur le jeune musicien de 22 ans? Sans doute Arcangelo Corelli (1653-1713), Alessandro Scarlatti (1660-1725) et peut-être Antonio Vivaldi dont le fameux Gloria RV 589, datant de 1702, venait d'être créé.

Ce Dixit Dominus est non seulement un sommet de son œuvre mais plus généralement de la musique religieuse baroque. Le premier verset Dixit Dominus Domino meo, confié au chœur, a une solennité conforme à ses paroles prophétiques. L'accompagnement virtuose des violons est très italien et tout à fait dans la ligne des œuvres précédentes. On remarque le cantus firmus sur les mots donec ponum inimicos qui lui évoque le choral luthérien. Dans cette œuvre à la polyphonie complexe, le chœur Les Arts Florissants déploie toutes ses qualités, les attaques sont précises, l'intonation parfaite et la sonorité splendide.

L'aria Virgam virtutis tuae était chantée par la mezzo-soprano Eva Zaïcik avec une voix sensuelle et une superbe ligne de chant. Elle était accompagnée par le continuo et un admirable violoncelle solo. Le verset Tecum principium en do mineur est remarquable par sa beauté mélodique et son rythme 9/8 chaloupé. Cette superbe aria a été chantée avec beaucoup d'engagement et de retenue par Natasha Schnur dont la voix angélique, dépourvue de vibrato (comme il sied à une œuvre du début du 18ème siècle), a pris beaucoup d'assurance au fur et à mesure de la progression du concert.

Retour du chœur avec le verset Tu es sacerdos in aeternam (tu es prêtre pour l'éternité), une double fugue, prouesse de contrepoint, que le chœur et l'orchestre Les Arts Florissants exécutent avec une impressionnante maestria. On remarque ensuite les onomatopées pittoresques sur les paroles Conquassabit capita que Haendel prend au pied de la lettre (Il broie les crânes), alors que le sens est métaphorique : il abat les chefs (de ses ennemis, et par extension, du mal et de la mort). Le duetto de la soprano Natasha Schnur et de la mezzo Eva Zaïcik dans la séquence à la signification mystérieuse, De torrente in via bibet (En chemin, Il boit au torrent), accompagné par le chœur en douceur, était un moment à la fois recueilli et enchanteur.

Le dernier verset Gloria Patri et Filio et Spiritui Sancto..., est une doxologie c'est-à-dire un chant de louanges à la Trinité. Le cantus firmus du premier verset apparaît de nouveau aux basses et apporte une cinquième voix à la polyphonie dans un mouvement irrésistible et avec un effet grandiose. Une fugue magistrale, jubilatoire, débute sur les mots Et in saecula saeculorum Amen. Sa densité et sa rigueur contrapuntique sont extrêmes et contrastent avec les fugues plus tardives de Haendel (celles du Messie par exemple), souvent plus aérées. Vu la vitesse avec laquelle les voix de femmes l'ont entamée, j'ai eu peur du dérapage. Le chœur des Arts Florissants sous la direction de son chef inspiré Paul Agnew offre une telle fiabilité, une telle précision dans la prosodie que cette fugue a pu être menée à merveille jusqu'au bout. Toutefois j'aurais préféré qu'une respiration un peu plus longue précède l'entame de la fugue et qu'un un tempo plus modéré soit adopté mais ce n'est que mon avis. La fin mezzo forte sur le dernier Amen surprend, après la théâtralité du début de l’œuvre.

Avec ce sublime motet se terminait sur un accord de sol mineur ce magnifique concert spirituel, initié dans la même tonalité et interprété par un chœur et un orchestre Les Arts Florissants au meilleur de leur forme. Avec dix sept chanteurs, le chœur de petite taille était impressionnant de puissance. J'ai particulièrement aimé les aigus admirables de justesse et de pureté des sopranos, le beau son non vibré des cordes ainsi que la nervosité et l'agilité des premiers violons emmenés par Tami Troman. Mis à part Eva Zaïcik, les solistes et notamment les excellents Clément Debieuvre (ténor) et Cyril Costanzo (basse) étaient issus du chœur.



Publié le 19 juil. 2019 par Pierre BENVENISTE