La Double Coquette - Pastiche

La Double Coquette - Pastiche ©www.culture.paysdelaloire.fr
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Un baroque savamment revisité…

Mettons à bas les «normes» de cette musique dite savante qu’est le Baroque. Laissons-nous envahir par une folie introspective. Ne nous regardons pas dans la psyché reflétant notre quotidien normatif, canonique mais plutôt dans celui de l’ensemble des composantes du moi, considéré comme partie intégrante d'un tissu de relations affectives et amoureuses. Ne résistons pas ! Suivons, accaparons-nous cette parodie d’opéra, pratique courante au XVIIIe siècle.
Mais avant cette divagation de l’esprit, il convient de situer le contexte de ce pastiche. La Double Coquette est inspirée de La Coquette trompée du compositeur français Antoine Dauvergne et d’un des plus grands librettistes et dramaturges du XVIIIe siècle, Charles Simon Favart.
La Coquette trompée, créée à Fontainebleau le 13 novembre 1753, était déjà une parodie des Sybarites de Jean-Philippe Rameau...Dauvergne propose une partition savante au raffinement musical assuré, qui tranche avec celle des Troqueurs signée de ses mains quelques mois auparavant. Il recourt au même stratagème, employé à maintes reprises dans les livrets d’opera seria, celui du travestissement pour confondre l’amant coupable du «crime» le plus odieux, l’infidélité !
Après l’avoir donnée en octobre 2011 à l’Opéra Royal de Versailles, l’Ensemble Amarillis s’est saisi à nouveau de cet artifice, de cette mascarade, pour la remanier : c'est ainsi que la Double Coquette voit le jour, en collaboration avec le compositeur Gérard Pesson et le poète Pierre Alferi, nos contemporains. Tout en restant fidèles à la question de l’identité «sexuelle» et du mélange des genres qui en résulte, ils insèrent une originalité des plus surprenantes : deux coquettes s’offrent l’une à l’autre dans une mise en scène contemporaine signée Fanny de Chaillé. Les costumes, signés d'Annette Messager, ajoutent couleurs et fantaisie à ce dialogue musical à travers les époques, d'un grand raffinement.

Arsenal-Metz

L'Ensemble Amarillis et Les 2 Scènes - Scène nationale de Besançon ont produit la version concertante de La Double Coquette le 2 décembre 2014 au Théâtre de Besançon. La musique de Gérard Pesson et le livret de Pierre Alferi ont fait l'objet d'une commande des 2 Scènes - Scène nationale de Besançon. Ce présent spectacle en version scénique est également coproduit par le Festival d'Automne à Paris, le Centre de musique baroque de Versailles, le Théâtre Impérial de Compiègne et entre autres l'Arsenal - Metz en Scènes. Héloïse Gaillard et Violaine Cochard dirigent conjointement ce dialogue musical. L’œuvre originale de Dauvergne est transformée par de nouvelles instrumentations ou harmonisations, comme la brève incursion de quelques notes issues du Carmen de Bizet dans l’air Damon n’est qu’un petit démon”. Les onze instrumentistes font preuve d’une grande qualité d’interprétation musicale mais également dramatique lorsqu’ils ponctuent de-ci de-là la ligne de chant par des mots, rires ou exclamations. L’ensemble navigue entre les siècles s’étendant des mers baroques pour leurs soli – Ouverture : allegro, andante, presto pour ne citer que ceux-ci, aux flots plus contemporains lors des accompagnements des personnages, interprétés par deux sopranos et un ténor.
Ces trois personnages vont, au cours de cette représentation, instiller dans l’esprit des auditeurs par leur jeu comique et parodique, cette confusion des genres. La première à rentrer en scène est la soprano Isabelle Poulenard, sous les traits de Florise toute vêtue de longs cheveux. Florise se languit chez elle et reçoit une invitation à une fête envoyée par mail par son fiancé Damon, Effleurons ce lien qu’il renoue entre nous sur l’écran tactile : clic et reclic…. En consultant Facebook, elle découvre qu’il s’affiche avec une autre. Sa voix, aux traits fins, passe en une fraction de seconde de la joie de l’invitation à la peine d’être délaissée, trompée. Elle décide de se venger et se travestit en homme pour camper un séduisant Dariman en scandant dans une bonne diction Ce soir il s’agit de paraître plus séduisant que charmante si je veux détisser cette complicité. Elle se rend dans un bar ainsi accoutrée. Elle aperçoit son reflet dans un miroir et s’écrit Mais qui est ce jeune homme ? C’est qu’il est charmant. Quelle allure étrange, brute et délicate. De nouveau, elle sombre dans les douleurs de l’Amour, On ne peut compter sur rien Amour sert de cantilène à son désespoir, renforcé par un timbre plus corsé.
Entre alors la belle Clarice, rôle tenu par Maïlys de Villoutreys. Son premier air Visage nouveau, nouveau langage, pouvoir du fard, abus habit dévoile un timbre fruité. Est-ce son costume multicolore fait de boas en plume qui donne ce goût acidulé à son chant ? Le balai séducteur, emmené par Florise/Dariman, s’ouvre avec l’air de Clarice Ces feux errants, dont la vapeur légère, éclairent en voltigeant les ombres de la nuit... La flamme nous séduit. Clarice semble sensible aux charmes de Dariman, elle vocalise avec limpidité. Elle trille avec une aisance naturelle en déployant sa roue comme le paon pour séduire sa promise. Les joutes vocales prennent une allure crescendo jusqu’au moment où Clarice cède aux avances effrénées de ce charmant «jeune homme».
L’autre homme de la situation le ténor Robert Getchell, incarnant un Damon convaincant, se trouve à son tour délaissé. L’Amour se défait aussi vite que les laçages d’un corset… Doté d’une riche personnalité vocale, il va résister et lutter contre les assauts destructeurs emplis de vengeance de Dariman/Florise. Je veux me venger d’un rival qui m’outrage, qu’il éprouve ma rage. (…) Tremblez pour votre amant. Sa diction est irréprochable malgré sa naissance outre-Atlantique. Même si la haine semble s’emparer des cœurs des deux anciens amants, l’Amour éprouvé pour Clarice reste intact On croit sentir tous les feux de la haine, et c’est la flamme de l’amour qui brûle. Toutes ses tentatives, ses supplications resteront vaines, même lorsque la vérité éclate. Clarice découvre le piège dans lequel elle s’est jetée. Elle s’est laissée séduire par une femme, travestie de surcroît !
Ces trois voix convaincantes honorent allégrement cette vision baroque revisitée. Même traitée de manière comique et parodique, la question demeure au cours des siècles sur l’identité et le mélange des genres. Que cela soit de «cuir ou de dentelle» - expression extraite du livret de La Double coquette, de lourd velours ou de soie, les sentiments sont tout autant tourmentés. Qui doit triompher ? Le «Jugement» moral fondé sur le concept de normalité, ou bien la passion ? Retenons tout naturellement une citation de William Shakespeare : L’amour ne voit pas avec les yeux, mais avec l’âme. Ayons le courage, l’honneur de faire triompher l’Amour !

Publié le 01 févr. 2016 par Jean-Stéphane SOURD-DURAND