Eclats de Folie - Amarillis

Eclats de Folie - Amarillis ©Bertrand Pichène - CCR Ambronay
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La folie dans tous ses états et tous ses éclats

J'ai fait une folie...! Je me suis embarquée dans une aventure amoureuse compliquée et insensée.

Ainsi pourraient s'exclamer les héroïnes évoquées durant ce concert : Sémélé, Bess, Didone, ainsi que d'autres : Médée, Lucia, Ariadne. Dans tous les cas, l'extase mais aussi des moments très douloureux se trouvent au bout du parcours amoureux surtout quand on aime jusqu'à en mourir comme Sémélé ou Didon !

Heureusement les histoires d'amour ne se terminent pas toujours aussi mal car la Folie qui les inspire, est un personnage aux multiples facettes qu'Héloïse Gaillard s'est attachée de nous décrire dans une notice absolument remarquable dont la lecture est un plaisir. La Folie, figure mythique des temps baroques est incarnée par la Mezzo-soprano Stéphanie D'Oustrac. Les divers états de la Folie sont illustrés par un somptueux programme musical alliant des compositeurs aux inspirations très différentes et composé comme un livret d'opéra comportant huit scènes. Chaque scène est résumée par un intitulé d'Héloïse Gaillard que j'ai reproduit ci-dessous en italiques. Le titre de cette chronique est aussi emprunté à la notice du concert.

La Folie entre en scène, charmeuse et triomphante

Le concerto à 7 en sol majeur de Johann David Heinichen (1683-1729) lui sert de portique. Un joyeux et brillant dialogue entre le violon concertant d'Alice Piérot et le hautbois agile d'Héloïse Gaillard domine pendant tout le premier mouvement. Après un adagio méditatif, l'allegro final est un morceau au contrepoint serré assez proche de Jean Sébastien Bach (1685-1750), contemporain de Heinichen. Tiré du Prologue du ballet Les Fêtes Vénitiennes d’André Campra (1660-1744), l'air de la Folie, Accourez, hâtez-vous, est un chant joyeux que la mezzo-soprano, simplement accompagnée par la basse continue, aborde avec dynamisme.

Joyeuse, elle s'abandonne aux plaisirs amoureux

Sémélé, s'abandonne à son divin amant, elle est aux portes de l'extase. Marin Marais (1656-1728) illustre cette histoire par une pièce instrumentale, un caprice tiré de la suite en mi mineur pour violon, flûte à bec et la basse continue et un extrait de son opéra Sémélé, Descendez, cher amant. Ces extraits que Stéphanie d'Oustrac interprète d'une voix superbe avec chaleur et sensibilité, montrent à l'évidence la subtilité harmonique de la musique de Marin Marais, émaillée de délicieuses dissonances. L'extrait de la cantate Sémélé d’André Cardinal dit Destouches (1672-1749) pour voix, hautbois et continuo, Ne cessez point de m'enflammer, est une aimable chaconne donnant au violone de Ludovic Coutineau un rôle intéressant. Dans ces trois œuvres quelques ombres surgissent, annonciatrices d'orages futurs.

Mais soudain, elle est foudroyée par la divine fureur

L'orage annoncé éclate, le violone jupitérien fait gronder le tonnerre et parler la foudre dans un extrait de la cantate Sémélé de Destouches. La mezzo-soprano prodigue de belles vocalises finement articulées et à la superbe intonation et fait valoir de beaux pianos dans les passages dans le mode mineur. Mais la chaconne de Jean-Féry Rebel (1661-1747), Le feu, extraite des Eléments, ne maintient pas l'énergie dévorante du début de la scène.

La voilà alors, désemparée et désespérée

Henry Purcell (1659-1695) trouve avec le personnage de Mad Bess (Bess of Bedlam) les accents les plus émouvants pour décrire l'accablement de l'héroïne. La douceur domine dans ce chant qui débute pianissimo dont Stéphanie d'Oustrac exprime avec sensibilité la tristesse. Le lament dans le mode mineur est interrompu par une mélodie populaire anglaise en majeur rappelant des jours plus heureux. La cantatrice est accompagnée par la basse continue dans laquelle domine un superbe théorbe (Romain Falik) qui égrène des notes mélancoliques.

Puis tour à tour, inconstante et passionnée

Ground est un morceau instrumental de John Eccles (1668-1735), il s'agit d'une chaconne. Au début le violone dessine le motif de la basse obstinée et théorbe et clavecin (Violaine Cochard) brodent des variations puis les violons et les flûtes à bec entrent en jeu. L'héroïne ne sait plus si elle doit rire ou pleurer dans l'air de la Folie (Rosy Bowers, une des plus célèbres Mad songs) tiré de la troisième partie de Don Quixote, musique de scène collective de Purcell et d'autres compositeurs d'après la pièce de Thomas Durfey. Cette longue scène dramatique fait alterner passages lents et rapides, larmes et sourires. Stéphanie D'Oustrac nous émerveille par son phrasé et l'harmonie de son legato, elle finit toute étonnée et semble dire : Je ne sais plus où j'en suis.

Elle cède aux tourments sans cesser d'espérer

La cantate HWV 78, Ah ! Crudel, nel pianto mio, fut composée vers 1708 lors du séjour de Georg Friedrich Haendel (1685-1759) en Italie. Le nombre de cantates composées à cette époque par le Caro Sassone n'est pas connu avec certitude mais, dans tous les cas de figure, dépasserait la centaine. Certaines (Aminta e Fillide HWV 83) sont tellement développées qu'elles peuvent être considérées comme des opéras de chambre. La présente cantate s'ouvre par une ample sinfonia (en fait, quasiment un concerto pour hautbois) en trois mouvements, vif, lent, vif, à la manière italienne. Le premier mouvement donne une impression de déjà entendu (Haendel a puisé tout au long de sa carrière dans la musique de ses cantates italiennes), il comporte une partie de violon solo (Alice Piérot) dont les bariolages sont très vivaldiens, l'adagio en ré mineur est un chant admirable du hautbois solo (Héloïse Gaillard). L'air Ah ! Crudel, en mi mineur, donne aussi l'impression de déjà entendu. Très dramatique avec ses unissons menaçants, il donne à Stéphanie D'Oustrac l'occasion de mettre en valeur le superbe registre grave de sa tessiture de mezzo-soprano. L'espérance revient dans le dernier air très développé en sol majeur. Cet air virtuose comporte de redoutables vocalises dans lequel Stéphanie D'Oustrac se montre très à l'aise et aussi un spirituel dialogue entre la voix et le hautbois de Héloïse Gaillard. L'héroïne dont il est question ici ne serait-elle pas Arianna pleurant Teseo ? Contemplant le ciel pur, lavé par un orage, l'héroïne, inspirée par La Folie, se prend-elle à espérer de nouvelles amours ?

Jusqu'au désenchantement, elle se trouve accablée

André Cardinal Destouches est l'auteur de nombreuses œuvres lyriques dont la tragédie lyrique, Issé (1697) qui eut un grand succès. Destouches était très apprécié par Louis XIV qui le comparait au défunt Lully. Stéphanie D'Oustrac, accompagnée par les cordes et le continuo, chante à ravir un des rares airs dramatiques de l'aimable comédie-ballet Le carnaval et la Folie.

Pourtant, point de renoncement, elle nous livre sa sagesse. Sans l'Amour et sa Folie, il n'est point de moment heureux

Deux flûtes à bec et deux violons dialoguent gracieusement dans le rondeau, Air pour l'Amour tiré des Eléments de Jean-Féry Rebel. C'est André Cardinal Destouches qui conclut avec l'air Souffrez que l'Amour vous lie....Suivez une erreur charmante : telle est la leçon que donne La Folie.

Très applaudis, les artistes donnèrent un bis unique : la célébrissime chaconne Didon's lament extraite de Didon et Enée de Henry Purcell. Le public buvait les notes sublimes distillées comme autant de perles de la plus belle eau par Stéphanie D'Oustrac. La messe était dite et le public quittait les lieux silencieusement. Les harmonies lancinantes du violoncelle (basse obstinée chromatique de la chaconne) trottaient encore longtemps dans ma tête pendant le chemin du retour.

Comme mentionné plus haut, ce parcours au gré des caprices de la Folie, mettait en lumière l'ampleur et la noblesse de la voix de Stéphanie d'Oustrac, au timbre riche, aux graves somptueux et aux couleurs changeantes.

La mezzo-soprano était accompagnée par un magnifique ensemble à géométrie variable. En formation symphonique dans le concerto de Heinichen et la cantate de Haendel, l'ensemble Amarillis se faisait plus chambriste dans nombre d'airs interprétés ce soir-là. Dans les deux airs de la Folie de Purcell, la mezzo-soprano était accompagnée par la basse continue et parfois même par le seul théorbe. Dans le texte ci-dessus, j'ai mentionné les solistes instrumentaux mais en fait tous les participants devraient être félicités notamment les seconds violons et hautbois, le bassoniste, le violoncelliste et les altistes qui situés au cœur de l'harmonie sont moins audibles (belle partie d'alto pourtant dans Didon's lament). Une mention spéciale doit être accordée à Violaine Cochard pour le clavecin. Sur elle s'appuyaient en grande partie les fondements harmoniques de la musique du concert de ce soir.

Un concert brillamment exécuté autour d'un programme profondément original et créatif. Il sera diffusé sur France Musique le 22 octobre 2019 à 20h.



Publié le 08 oct. 2019 par Pierre Benveniste