Effervescence concertante - Telemann - Bach

Effervescence concertante - Telemann - Bach ©Festival de Froville - Ensemble Amarillis - JS.SD
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En ce samedi soir, le Festival international de musique sacrée et baroque de Froville (Meurthe et Moselle) reçoit un ensemble, dont l’excellence ne souffre aucune critique : l’Ensemble Amarillis.
Il s’agit de leur première venue dans cette magnifique église romane du XIème siècle qui, « transformée » en scène musicale, accueille des formations de renommée internationale. Quoi de plus légitime alors que de convier l’Ensemble Amarillis en ces lieux !
Crée en 1994 par Héloïse Gaillard et Violaine Cochard, l’ensemble est spécialisé en musique baroque. Formation à géométrie variable, sa flexibilité lui permet d’épouser parfaitement le programme interprété, comme ce soir, avec dix musiciens présents sur scène.

Sous le titre Effervescence concertante, Héloïse Gaillard et Violaine Cochard articulent leur programme autour de deux compositeurs allemands : Georg Philipp Telemann (1681-1767) et Johann Sebastian Bach (1685-1750). Le choix de Telemann s’impose assez naturellement puisque l’Ensemble Amarillis a reçu le label européen « Telemann 2017 » pour la qualité de son travail sur ce compositeur. Rappelons que l’année 2017 célébrait le 250ème anniversaire de sa mort. Quant au Cantor de Leipzig, il est apparaît comme incontournable.
Héloïse Gaillard et Violaine Cochard avouent sans détour leur dessein : elles réunissent deux compositeurs contemporains sans vouloir les opposer dans une lutte fratricide… Les deux musiciennes, accompagnées de leur ensemble, révèlent avec fidélité les couleurs instrumentales, les formes et les styles de l’époque. Elles marquent leurs empreintes, et ce de manière indélébile, dans le monde musical.

Le choix du titre est quelque peu évocateur. L’ivresse musicale nous guetterait-elle ? Nous allons être grisés par l’effervescence, l’agitation vive tel le bouillonnement tumultueux résultant du dégagement de bulles dans un liquide… Cela nous rappelle la boisson inventée par le moine bénédictin Pierre Pérignon (1638-1715) : nom éponyme d’une marque prestigieuse de ce délicieux breuvage ! Recentrons notre attention sur une ivresse plus noble, celle de la Musique…

Georg Philipp Telemann a engendré une œuvre monumentale. Il a composé près de six mille pièces, dont une grande majorité a été perdue. Pluri-instrumentiste (violon, flûte, clavecin), il s’est exercé à tous les genres musicaux. Il a écrit douze séries de cantates, de nombreux concertos, une centaine d’oratorios, des sonates et suites orchestrales, quarante opéras et quarante-quatre passions. Son œuvre est répertoriée dans le « Telemann-Werke-Verzeichnis » (TWV). Sa créativité ne rencontre pour unique limite que celle des frontières harmoniques. L’écriture est si exhalée que la sensibilité se manifeste à chaque mesure. Demeurant proche des cours princières, Telemann est fort demandé. Il a occupé de prestigieux postes notamment ceux de Cantor Johannei et de Director Musices à Hambourg en 1721. Son séjour parisien consacre sa renommée internationale. Soulignons un fait qui changera à tout jamais l’histoire de la musique : Telemann est le premier compositeur à obtenir la propriété intellectuelle de son œuvre. Jusque lors, cette dernière était attribuée aux mécènes.
Quant à Johann Sebastian Bach, nul besoin de le présenter. Malgré une œuvre riche et prolifique, la carrière du « Cantor de Leipzig » s’est entièrement déroulée en Allemagne centrale. Il a occupé les fonctions de Thomaskantor et Director Musices dans les deux principales églises luthériennes de la ville. Tout comme son prédécesseur, il s’est essayé à tous les genres existant à son époque, excepté l’opéra. Il a excellé dans la maîtrise du violon, de l’alto et surtout dans celle du clavecin et de l’orgue comme en témoigne son héritage musical. En 1950, les œuvres de Bach ont été réunies dans le catalogue « Bach-Werke-Verzeichnis », désigné couramment par le sigle BWV. Nous devons ce catalogue au musicologue allemand Wolfgang Schmieder (1901-1990).
Marqués « aux fers » par la tradition allemande, Telemann et Bach parviennent à s’échapper des carcans, à s’affranchir de la sujétion. Ils nourrissent leurs œuvres d’influences françaises et italiennes tout en préservant des notes de fond germaniques. Libérés de leurs chaînes, les deux compositeurs ont exploré dans les moindres confins le concerto, sujet du concert de ce soir.

En guise d’ouverture et de clôture du concert, l’Ensemble Amarillis interprète deux concertos de Telemann. Ces concertos répondent à une découpe en quatre mouvements, dite « à la française ». Telemann y joue sur les oppositions de « masses » sonores en stile concertato. Le contraste se fait tantôt entre un instrument solo et plusieurs instruments, tantôt un petit groupe d’instruments et le tutti. Il n’hésite pas à recourir à l’imitation en contrepoint. Il s’agit d’un procédé d’écriture consistant à répéter le même dessin mélodique d’une partie à l’autre. Cette répétition peut être à hauteur identique ou différente (unisson, tierce, quarte, quinte, octave, …).
Le Concerto en mi mineur TWV 52 : e1 pour flûte à bec, traverso, cordes et basse continue dévoile la qualité musicale de l’ensemble. Face au silence serein, la flûte à bec d’Héloïse Gaillard et le traverso d’Amélie Michel ouvrent la conversation avec le premier mouvement Largo. Les notes émanant des deux instruments s’écoutent, se croisent dans ce fin dialogue. Cette légèreté rebondit sur les douces intonations d’Alice Piérot (violon concertant). David Plantier, au violon et Alix Boivert, à l’alto usent de leur charme mélodique pour tenir le chant des autres instrumentistes. Aucun ne force le trait laissant le duo de flûtes s’épanouir. Nous reconnaissons le style d’Annabelle Luis au violoncelle. Elle tire parti des harmoniques de l’instrument. Au clavecin, Violaine Cochard tient l’argument avec brio. Puis, l’Allegro expose le dynamisme des archets. Le traverso et la flûte à bec lancent des volutes de notes rapides et structurées. Quelle dextérité ! Nous ressentons aisément les temps forts, sorte de ponctuation dans ces envolées. Happons les sonorités déployées par les trois violonistes. La quête harmonique est sans cesse renouvelée. Troisième mouvement, le Largo s’exprime par le violon concertant d’Alice Piérot, rejoint par Héloïse Gaillard soutenue par les pizzicati des violons, du violoncelle et de la contrebasse tenue par Ludovic Coutineau. Le phrasé du contrebassiste est élégant. Une autre flûtiste, Meillane Wilmotte, s’engage également dans l’évanescence des sons, des sens. D’un souffle continu, elle joue avec grâce, tact et précision. Nos sens sont en alerte face à un tel propos. La musicalité ne peut être atteinte que par la symbiose entre instrumentistes. Communion qui ne fera aucun doute lors du dernier mouvement ! Le Presto s’élance dans un tourbillon de notes où la rhétorique n’a d’égal que la fulgurance instrumentale. L’alternance de phrases rapides et lentes dans le mouvement conclusif rappelle celles des mouvements fugués à la manière des concerti et sonate da chiesa, ou encore, celles des danses folkloriques de Haute-Silésie. Des applaudissements chaleureux saluent aussitôt les artistes.
L’effervescence pétille de plus bel avec le Concerto en si bémol majeur TWV 54 : B1 pour hautbois, violon, deux traversos et basse continue. Le Largo est interprété en tutti. Le second traverso est tenu par la flûtiste Meillane Wilmotte. Quant au hautbois, il est confié à Héloïse Gaillard qui déploie autant de virtuosité qu’à la flûte. Le clavecin agrémente savoureusement en tenant la ligne de basse (continuo), tout comme le violoncelle et la contrebasse. Sublime largo ! Suit l’Allegro où la vitalité est constante. Soulignons les accents employés pour faire vivre la musique. Alice Piérot, Héloïse Gaillard, Sophie Iwamura (tantôt au violon, tantôt à l’alto) se lancent dans un premier échange qui trouve écho dans le second mené par Héloïse, Violaine Cochard et Annabelle Luis. Les couleurs sont foisonnantes. L’intensité expressive est à son zénith. Les musiciennes utilisent entièrement les possibilités techniques et mécaniques de leurs instruments. Nous nous enivrons… Lors du mouvement Dolce en sol mineur, les sonorités suaves du violon concertant (Alice Piérot) nous saisissent. Même lorsque certains musiciens ne jouent pas, ils restent en communion avec les autres. Les regards se croisent, la complicité est palpable. Dans le dernier mouvement, l’Allegro, Alice Piérot est pétillante de par ses coups d’archet rapides et nets. Les notes montent vers les cieux comme les bulles de champagne s’exhalant d’une flûte. Sa virtuosité est magistrale !

Deux insertions sont dévolues à Johann Sebastian Bach avec deux concertos qui se structurent en trois mouvements. Deux mouvements vifs entourent le mouvement central qui est lent. L’influence vivaldienne se fait sentir.
Le Concerto N° 6 en fa majeur BWV 1057 pour clavecin, deux flûtes à bec, cordes et basse continue est contenu dans le cahier des six concertos pour un clavecin. Il provient d’une réécriture du quatrième concerto brandebourgeois. Le premier mouvement rapide, marqué « sans indication » dans le programme, est joué Allegro par l’Ensemble Amarillis. La claveciniste garde sa vitalité face au bouquet de notes rapides qu’elle exécute. La dextérité rime, une fois de plus, avec expressivité. Les cordes frottées et pincées conversent avec les deux flûtistes (Heloïse Gaillard et Meillane Wilmotte). L’Andante, mouvement plus solennel, offre une belle place au clavecin. Violaine Cochard file des sonorités aux accents colorés. Elle fait vibrer son instrument sous ses doigts et ses mimiques. La musique coule en elle…Les autres instrumentistes lui répondent avec tout autant de soin. Le clavecin sonne merveilleusement grâce à l’acoustique de l’église romane. Les notes longues, tenues aux flûtes, envahissent l’espace sonore mis à leur disposition. Dernier mouvement du concerto, l’Allegro assai (fugué) est virevoltant. La violoncelliste, Annabelle Luis, nous grise en récoltant les grappes de notes s’échappant de son instrument. Les arrêts sont synchrones.
Etourdis par cette effervescence, l’entracte nous permet de nous dégriser un court instant même si dehors coule la noble boisson…
Quant au Concerto en do mineur BWV 1060 pour hautbois et violon, cordes et basse continue, son interprétation n’est que pur bonheur ! Les chaudes sonorités du hautbois baroque (Héloïse Gaillard) se parent d’effets nuancés, dorés. Le violon concertant (Alice Piérot) penche son archet pour tirer le meilleur son. Le violon est brillant. Puis, le hautbois et le violon communiquent avec l’ensemble des cordes. Nous sommes emportés dans la danse à la manière d’une valse lente. Derrière leurs instruments, les musiciens concourent à la poésie musicale et ce dans un élan fraternel. Débordant d’énergie, l’Allegro final démontre encore une fois la symbiose unissant les musiciens. La joie se lit sur chaque visage. L’Ensemble Amarillis honore avec brio la musique du Cantor.

Acclamés chaleureusement, les musiciens nous offrent en bis le Presto du Concerto en mi mineur de Telemann.

Ce soir, nous avons assisté à la vinification d’une cuvée de prestige, Effervescence concertante. Les grains nobles (l’Ensemble Amarillis), poussés sous le soleil de la complicité, ont été récoltés. Héloïse Gaillard et Violaine Cochard ont su assembler les différents grains de timbres, de couleurs. La mise en bouteille s’est faite avec de la levure « Telemann » et du sucre « Cantor de Leipzig ». Pour obtenir l’effervescence souhaitée, les bouteilles ont été entreposées au frais dans l’église romane et tournées d’un quart de tour à chaque pièce interprétée. Enfin, gorgés de bulles, nous avons tous ouvert une bouteille pour nous enivrer de musique, jusque tard dans la nuit…



Publié le 06 juin 2018 par Jean-Stéphane SOURD DURAND