Eliogabalo - Cavalli

Eliogabalo - Cavalli ©Agathe Poupeney / Opéra national de Paris
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Cavalli à l'Opéra de Paris

En proposant Eliogabalo pour l’ouverture de la saison  2016/17 au Palais Garnier l’Opéra de Paris s'est livré à un audacieux pari. Tout d'abord cette œuvre de Francesco Cavalli, composée en 1667, ne fait pas partie des œuvres les plus connues du maître vénitien ; elle fut en son temps refusée par ses commanditaires et ne fut pas représentée de son vivant. Plus près de nous sa dernière création remonte à 2004, sous la baguette de René Jacobs. Au plan instrumental et vocal, à côté de « valeurs sûres » du baroque, cette production fait aussi appel à de jeunes chanteurs, ce qui est méritoire. Au plan scénique la mise en scène marque les débuts de Thomas Jolly à la scène lyrique, lui qui était jusque-là plutôt connu du monde du théâtre. Ajoutons enfin que les généreuses dimensions de la salle Garnier offrent un cadre radicalement différent des petits théâtres, parfois coincés dans d'étroits palais de la Sérénissime, pour lesquels Cavalli concevait ses opéras. On était donc en droit de se demander comment un public du XXIème siècle, pas nécessairement habitué à l'opéra vénitien du XVIIème, allait accueillir cette production.

L’intrigue est basée sur les récits romains historiques. Elle est assez simple dans son principe. Originaire de Syrie, l’empereur Eliogabalo n'est qu'un adolescent de quatorze ans lorsqu'il accède au trône. L'opéra nous le peint comme un débauché jouisseur, désirant posséder toutes les femmes qu’il croise, même au prix d'un viol, ou du meurtre d'un éventuel rival ( la réalité historique était plus complexe, puisqu'il était ouvertement bisexuel). Au début de l'action il viole Eritea, fiancée à Giuliano. Après avoir promis Gemmira à son cousin Alessandro (héritier du trône après lui), il va tenter de la séduire à son tour par différents procédés : se déguiser en femme et organiser un colin-maillard, la droguer lors d’un banquet (durant lequel il comptait empoisonner Alessandro par la même occasion). Ses stratagèmes échoueront tour à tour, et il finira tué par la garde de Giuliano alors qu’il tentait de violer Gemmira. Ses compagnons Zotico et Lenia (respectivement confident et nourrice de l'empereur), qui l’aidaient dans ses entreprises, seront à leur tour lynchés par le peuple.

La mise en scène nous brosse un Eliogabalo plutôt dandy et empoté, abusant à notre sens des clichés. Une bonne partie des émotions et de la dramaturgie de cette œuvre se dissolvent dans des gestuelles et une direction d’acteur pas suffisamment incisives à notre goût. Nous n'avons pas aimé non plus les chorégraphies minimalistes de Maud Le Pladec. Les costumes de Gareth Pugh suggèrent l'Orient, mais avec une fantaisie un peu facile qui ne nous a pas convaincu. Côté lumières, nous avons été gênés par les trop nombreux « beams » au faisceau particulièrement percutant lancés par Antoine Travert, et qui aveuglaient régulièrement le public. Cependant le décor moderne et sobre, s'il ne brillait pas par son originalité, s'est révélé plutôt bien adapté à ce drame violent. Il comportait quelques trouvailles intéressantes, comme l’utilisation d’un « pavé » modulable, avec des escaliers rétractables, particulièrement efficace pour représenter l’entrée et la sortie du temple, ou encore celles du sénat.

Côté interprètes Mariana Flores (Atilia) fut sans nul doute la chanteuse la plus convaincante de cette soirée, que cela soit par sa stature, ses expressions ou sa voix au timbre clair et brillant, dans les aigus comme dans le médium. De son côté Franco Fagioli incarne avec conviction cet Eliogabalo difficile à cerner, entre crise d’adolescence et autorité suprême, que nous ont laissé les récits historiques. Le contre-ténor ne paraissait toutefois pas au meilleur de sa forme ce soir-là, avec une légère fragilité d'élocution dans les tempi plus rapides. Le ténor Paul Groves, dans le rôle d'Alessandro, a également connu quelques faiblesses. Surtout Nadine Sierra (Gemmira) nous a profondément déçus, avec des aigus particulièrement acides, surtout au premier acte. Son air du second acte a toutefois recueilli de chaleureux applaudissements du public.

Le contre-ténor Valer Sabadus a prêté son timbre juste et léger à Giuliano, nous faisant regretter que l’acoustique de la salle n'ait pas davantage porté sa voix. La voix douce et bien maitrisée de l’Eritea d’Etin Rombo nous a tout bonnement ravi. Respectivement dans le rôle de la nourrice Lenia et du serviteur Zotico, les deux ténors Emiliano Gonzalez Toro et Matthew Newlin nous ont gratifié d’un duo de choc, avec des voix bien placées et des personnages pleins d’humour. La basse Scott Conner, dans le double rôle de Nerbulone et Tiferne, a projeté son timbre agréable et profond, émaillé d'une touche humoristique tout à fait appropriée.

L’orchestre Capella Mediterranea,dirigé par Leonardo Garcia Alarcón, s'est appuyé tout au long de la représentation sur un continuo bien présent, malgré les dimensions de la salle. Nous aurions toutefois aimé retrouvé dans cette formation les nuances et le brio auxquels elle nous a habitués dans d'autres productions. Enfin il convient de souligner la belle prestation du chœur de chambre de Namur, tout à fait convaincante.

Au final le pari n'est donc que partiellement gagné à nos yeux. En particulier côté mise en scène la redécouverte d'Eliogabalo appelait à notre sens un travail plus précis et moins convenu. Le public n'a toutefois pas partagé nos réticences, réservant un accueil plutôt chaleureux à cette entrée du compositeur vénitien dans le répertoire de l'Académie de Musique.

Publié le 22 sept. 2016 par Hippolyte Darissi