The Fairy Queen - Purcell

The Fairy Queen - Purcell ©Jean-Claude Cottier
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Purcell à Beaune, une longue histoire d’amour

The Fairy Queen (La reine des Fées) constitue probablement la plus somptueuse musique de scène composée par Henry Purcell (1659 – 1695) pour accompagner une représentation théâtrale (d’où la dénomination de semi-opéra, ou encore de mask) : il s’agissait de pièces chantées et/ou dansées, qui venaient s’insérer à la suite des scènes parlées, telles un spectacle dans le spectacle, et qui n’avaient pas nécessairement de rapport direct avec l’intrigue principale, d’où leur grande liberté de leur forme et de leur contenu. En l’occurrence, la pièce de théâtre associée est inspirée du Songe d’une nuit d’été de William Shakespeare (1564 – 1616), dont le texte a été entièrement réécrit par un auteur resté anonyme, afin que le format de l’ensemble reste dans une durée acceptable. La production initiale, qui mobilisait une troupe (comédiens, chanteurs et danseurs) nombreuses et comprenait riches décors et effets spéciaux, avait coûté plus de 3000 livres de l’époque : malgré le succès rencontré, et la vente de partitions des différents airs à titre de « produit dérivé » comme l’on dirait aujourd’hui, les recettes n’ont jamais permis de couvrir les coûts de représentation, et la dure réalité comptable imposa la fin des représentations au bout de quelques semaines. Le génie et l’originalité de Purcell éclatent dans les différentes pages de la partition, qui mêlent les influences françaises (notamment pour les ouvertures et les airs à danser) et italiennes (dans des arias da capo) à une verve toute britannique, alimentée par la présence constante des chœurs. En ce sens The Fairy Queen constitue une somme de la création musicale de l’époque, une sorte de panorama musical européen en miniature, assemblé par celui que la postérité retiendra comme l’Orpheus Britannicus.

Il est habituel de ne donner de nos jours que la partie musicale de l’œuvre, séparée de son contexte théâtral. Signalons toutefois que différentes tentatives de représentations intégrales (incluant la partie théâtrale) ont été faites par le passé, afin de donner aux amateurs une idée plus complète de ce format inhabituel de spectacle. La plus réussie est très probablement celle effectuée par William Christie pour le Festival de Glyndebourne 2009, dans la mise en scène soignée de Jonathan Kent qui a pour cadre un étonnant cabinet de curiosités du XVIIème siècle. Début 2010 cette production est venue en France (à l’Opéra Comique et au théâtre de Caen), ce qui donna à votre serviteur le bonheur d’y assister. Vous pourrez toujours la découvrir à travers son enregistrement vidéo (chez Opus Arte).

Le Festival de Beaune accueille régulièrement et depuis de nombreuses années Paul McCreesh et son Gabrieli Choir, Consort & Players. Ceux-ci avaient notamment interprété The Fairy Queen en 2012, pour le trentième anniversaire du Festival. Leur savoir-faire dans le répertoire baroque anglais plaçait évidemment très haute la barre de l’attente des spectateurs. Et celle-ci fut largement comblée, malgré deux légères ombres au tableau qui l’ont empêché de donner tout son éclat. La première fut le remplacement en dernière minute de Rebecca Bottone, souffrante, par la soprano canadienne Keith Gillian. Cette dernière se montre peu à l’aise dans ses débuts (See, even Night herself), avec une diction manquant de clarté et une voix insuffisamment projetée. Au plan scénique, elle pâtit de son relatif retrait face à des partenaires très mobiles et expressifs. Elle affiche toutefois de jolis aigus perlés dans le Ye gentle spirits of the air, et développe avec une réelle émotion face au scintillant solo de hautbois lancé par Christopher Palameta sa plainte O let me weep au cinquième acte, qui constitue un des grands moments de ce concert.

La seconde ombre tient au comportement capricieux des trompettes naturelles embouchées par Jean-François Madeuf et Graham Nicholson, qui se montrèrent instables dans les passages cruciaux de l’ouverture et de l’acte IV. Effet de l’atmosphère lourde et orageuse de cette soirée ? Notons en revanche leur effet de spatialisation tout à fait réussi autour de l’intervention de l’Echo (au début du second acte). Et saluons le défi que représente le choix de trompettes naturelles dans cette œuvre aux parties virtuoses, d’exécution déjà redoutable avec des instruments modernes. Lorsqu’elles ne trahissent pas leur interprète, ces trompettes baroques offrent un son d’un moelleux incomparable, que nous avons pu savourer pleinement dans le King Arthur du lendemain soir.

Les chanteurs manifestent une vive complicité entre eux, mimant avec force gestes et déplacements les saynètes du livret. La scène du poète ivre (qui constitue à peu près l’intégralité de l’acte I) constitue ainsi un grand et savoureux moment de burlesque, inattendu dans une version de concert. Soulignons tout particulièrement les qualités théâtrales et la présence scénique de la basse légère Ashley Riches, tour à tour titubant et bégayant Poète à l’acte I, Sommeil envoûtant à l’acte II (Hush, no more, aux graves veloutés) et épatant Corydon dragueur à l’acte III. Son timbre solide prend sans peine la couleur des différents caractères qu’il incarne ; sa prononciation est claire et la voix généreusement projetée. Dans les actes IV et V une autre basse, Marcus Farnsworth, prend le relais pour développer les graves caverneux et sombres de l’Hiver (Next Winter comes) puis la magistrale et triomphale proclamation d’Hymen (See, see, I obey).

Du côté des ténors l’expressivité vocale et scénique est aussi de mise. Charles Daniels a la sagesse d’endosser les rôles adaptés à un timbre qui s’est déjà longuement illustré dans ce répertoire. Affublé d’une perruque à nattes, il incarne la prude Mopsa face à l’entreprenant Corydon d’Ashley Riches dans cet autre épisode comique du livret. Et malgré un vibrato un peu ample sa diction précise nous ravit dans la longue déclamation de Phoébus (When a cruel long winter) à l’acte IV, annoncée par des trompettes en pleine forme. Ténor aguerri au médium charnu, Jeremy Budd affiche une diction pleine de délicatesse qui apporte charme et magie au Secret (délicieux One charming night). C’est encore d’un timbre assuré qu’il lance le superbe chœur final de l’acte III (A thousand ways). Surtout il s’acquitte avec élégance et brio du redoutable Thus, thus the gloomy world (acte V), entouré des trompettes et des guitares, nous offrant un autre passage mémorable de ce concert.

James Way développe des attaques fermes et percutantes, soulignées par une présence scénique qui brûle littéralement les planches dans cette version de concert. On retiendra en particulier son énergique apostrophe au début de l’acte II (Come all ye songsters) et les chatoyantes colorations de son timbre en Automne (See my many coloured fields) à l’acte III.

Jessica Cale et Charlotte Shaw assurent avec bonheur les deux autres parties de sopranos. De la première, on retient principalement les jolis reflets nacrés qui confèrent à l’air du Printemps (Thus the ever grateful Spring) une agréable fraîcheur, rythmée par les guitares du continuo. La seconde s’illustre dans les gracieux aigus de l’air du Mystère (I am come), épaulée par des flûtes enchanteresses, et dans la harangue de Junon à l’acte V (Thrice happy lovers !) où ses aigus perlés sont ponctués par les guitares.

Les chœurs (composés des solistes, auxquels s’adjoignent deux ténors) sont denses et colorés, leurs attaques précises. Paul McCreesh fait scintiller son orchestre, à l’effectif relativement restreint mais terriblement efficace : les brillants solos des vents (malgré nos réserves exprimées plus haut sur les trompettes à certains passages), des cordes rondes et voluptueuses, des guitares aux attaques sonores qui viennent remplacer les théorbes pour donner davantage d’ampleur dans certains airs… Les effets sont savamment calculés, et redoutablement efficaces.

Les spectateurs ont donc largement applaudi le concert, et sollicité de nombreux rappels. En remerciement l’orchestre a repris un extrait de l’ouverture. Mentionnons également que le Gabrieli Consort doit enregistrer prochainement The Fairy Queen (parution prévue en 2020). A l’écoute de cette soirée, il y a fort à parier que cet enregistrement devrait trouver sa place parmi les versions de référence que sont celles de William Christie (Harmonia Mundi) et de John Eliot Gardiner (Archiv Produktion).



Publié le 08 août 2019 par Bruno Maury