Ciel, mes constellations! - Fuoco e Cenere

Ciel, mes constellations! - Fuoco e Cenere ©Festival de Froville 2019
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Sublimes constellations …

Seul concert décentralisé dans le cadre du Festival de musique baroque et sacrée de Froville, la chapelle du Château de Lunéville accueille l'ensemble Fuoco e Cenere (littéralement, Feu et Cendres) avec sa nouvelle création Ciel, mes constellations !

Depuis quinze ans, l’Ensemble brille parmi la Pléiade baroque où resplendit une myriade de formations. Jouant sur instruments anciens, il est en quête perpétuelle pour nous proposer, nous conter cette musique. Soucieux du moindre détail, l’Ensemble respecte les lignes majeures de celle-ci. Comme un trait laissé par une étoile filante, il dessine, à main levée, le répertoire baroque en le combinant avec des marionnettes, avec de la haute cuisine,… Choix audacieux, pourrions-nous penser ! Choix mesuré et mûrement réfléchi, en réalité ! A la tête de l’Ensemble, Jay Bernfeld sort les œuvres de leur contexte originel puis les métamorphose par son intelligence musicale. Il leur confère une portée éducative accessible à tous.
Nous ne pouvons qu’apprécier ce genre d’actions culturelles. La musique, qu’elle soit baroque ou non, doit être partagée. Elle est universelle tout comme la voûte stellaire qui, depuis des millénaires, illumine l’Humanité.

Le spectacle, proposé en ce dimanche après-midi, dresse la carte des Cieux mariant le répertoire baroque aux mythes. Prenons garde ! L’Amour est à peine voilé derrière chaque étoile. Ce spectacle musical et visuel s’articule autour de huit tableaux : les Cieux, le Cygne, Orion, Hercule, le Dauphin, Andromède et Persée, le Taureau et la Grande Ourse. Durant la représentation, des images ou des vidéos, signées par le vidéaste Sébastien Sidaner, sont projetées sur les murs du chœur de la chapelle. Elles associent des planches d’atlas célestes du XVIIème siècle et des photos de constellations telles qu’elles s’offrent à notre regard.


Les Cieux

L’Homme a toujours été fasciné par la vaste étendue de la Voie lactée. Attrait mêlé d’une certaine crainte. Personne n’en connaît réellement toute l’étendue, ni même celle de l’Amour… car que ne pourrions-nous faire ou accepter par amour ?
Un halo nuageux d’où émerge une sirène sert de trame de fond à Dalle più alte sfere, extrait d’un des intermèdes composés et intercalés dans La Pellegrina. Pièce de théâtre lyrique écrite par Girolamo Bargagli (1537-1586), elle fut représentée en 1589 lors des festivités nuptiales de Ferdinand Ier de Médicis avec Christine de Lorraine, au Palais Pitti à Florence. Au nombre de six, les intermèdes relatent les histoires tirées de la mythologie grecque faisant référence aux mariés. Ils ont été composés par Archelei, Caccini, de Bardi, de Cavalieri, Malvezzi, Marenzio et Peri.
L’extrait Dalle più alte sfere (Des plus hautes sphères) est attribué à Emilio de’ Cavalieri (1550-1602). Il est interprété par Julie Fioretti. La jeune soprano agrémente son chant d’un timbre limpide. Son organe vocal projette naturellement le son où les accents conduisent la ligne mélodique. Chacune de ses paroles parvient aisément à l’oreille. La diction est aussi claire qu’une nuit étoilée d’été. Les quatre instrumentistes appuient sa technique impeccable. Seul bémol : nous aurions préféré plus de « légèreté ». La soprano n’avait nul besoin de « forcer la voix » pour délivrer son message. Le contraste des sonorités vocales et instrumentales perturbe l’Harmonie des sphères, ou la Musique des sphères. Théorie d’origine pythagoricienne, fondée sur l’idée que l'univers est régi par des rapports numériques harmonieux, et que les distances entre les planètes (Lune, Mercure, Vénus, Soleil, Mars, Jupiter, Saturne) sont réparties selon des proportions musicales.


CYGNE

Une des plus grandes constellations de la Voie lactée, celle du cygne est parfois appelée la Croix du Nord du fait de la disposition de ses étoiles en forme de croix. Son orientation vers le Sud figure la migration de l’oiseau dans le ciel estival. Aux couleurs contrastées, l’étoile double Albiréo symbolise la tête de l’animal.
La constellation du Cygne remémore l’histoire de Leda et du Cygne. Tombé sous le charme de Leda, épouse de Tyndare (roi de Sparte) qui se baigne, Zeus l’approche par ruse. Métamorphosée en aigle, Aphrodite lui donne l’apparence d’un cygne. Simulant une attaque, l’aigle fond sur sa proie qui se réfugie dans les bras de Leda. Zeus s’unit à cette dernière, alors qu’elle a déjà aimé son mari. De ces unions, résultent deux œufs , chacun contenant deux enfants : Castor et Pollux, Hélène (de Troie) et Clytemnestre.
Olivier Bergeron illustre le propos de sa belle voix de baryton. Il fait preuve de chaleur et de souplesse dans l’extrait du Leda de Nicolas Racot de Grandval (1676-1753). Dans le récitatif Le souverain des Dieux, les consommes sont nettement structurées facilitant la compréhension du texte. L’aria Vainqueur des mortels et des Dieux affiche de beaux graves où domine la rondeur. Beaucoup plus mesuré dans son chant que sa consœur, nous apprécions d’autant plus le timbre du jeune baryton. Belle voix en « construction »... Patricia Lavail, à la flûte à bec, brille telle qu’Albiréo. Imprégnons-nous de la subtile déclamation soutenue par la gestion maitrisée du souffle. Elle scintille, elle transcende l’éloquence du baryton.
Le discours de la flûtiste s’accélère dans la seconde aria Leda composée par Jean-Joseph Mouret (1682-1738). Sur fond marbré, la constellation du Cygne gravite dans les airs et laisse transfigurer l’astre solaire et des étoiles. Julie Fioretti s’empare avec force de l’air.
De nouveau, la douceur triomphe par le son délicat du théorbe (André Henrich) accompagnant le baryton dans la suite du Leda de Grandval. Rejoint par la soprano, Olivier Bergeron peine à s’imposer dans le duo ainsi formé.
Laissant un moment de répit aux chanteurs, Fuoco e Cenere évoque Jean-Baptiste Lully (1632-1687) en interprétant l’Air pour les Egyptiens, tiré de Phaeton. A l’image de l’arc de Cupidon projeté en vidéo, l’Ensemble nous transperce le cœur. Aucune souffrance n’est ressentie grâce à cette mélodie envoûtante ! La claveciniste Nora Dargazanli décoche les notes telles des flèches. Les salves sont ornées par la qualité de jeu de la viole de gambe, tenue par Jay Bernfeld. Le gambiste fait corps avec son instrument. Il en épouse toutes les rondeurs, les affects. D’ailleurs à la fin du concert, une chère amie nous livrera une confidence : « Quand je l’entends, j’entends la pensée de Dieu » … Nous apprécions son jeu, tout autant que celui de son homologue François Joubert Caillet.
Poursuivons notre voyage intersidéral à la découverte d’une autre constellation…


ORION

La constellation d’Orion est l’une de plus belles du ciel. Elle est aussi nommée le Chasseur d’Orion. Elle s’identifie aisément. Trois étoiles alignées représentent sa ceinture. Un « amas » d’étoiles moins brillantes dessine l’arc du chasseur géant. Orion tient dans sa main gauche une peau de lion et dans la droite une massue de bronze. Né de la semence de Zeus et d’Hermès mise dans une peau de taureau et enfouie en terre, il est réputé pour sa beauté et sa violence. Il fut transformé en un amoncellement d’étoiles par Zeus.
Figurant les points stellaires, différents airs se suivent : Où vais-je ?, tiré de la tragédie Orion écrite par Louis Lacoste (1675-1750). Julie Fioretti y incarne une Diane criante de vérité. Puis le Songe d’Orion interprété par le baryton qui nous convie à nous reposer sous « cet épais feuillage ». Propos appuyé par des arbres stylisés, des images d’étoiles...
Le repos est de courte durée puisque le ciel se pare d’une couleur rouge écarlate, celle du sang coulant sous la violence d’Orion. Relevons la présence expressive et interprétative de la soprano.
Quittons Orion avec le duo vocal s’affrontant dans la scène Apollo e Diana, issue du Drame L’Orione de Francesco Cavalli (1602-1676). Les deux chanteurs ont un sens fort développé de la tragédie. Le Soleil incandescent se mesure à l’astre sélène.
Faisant écho à la force d’Orion, Hercule apparaît à l’horizon septentrional.


HERCULE

Vaste constellation de l’hémisphère nord, elle a la forme d'un homme couché ou à genoux. Hercule, est fils de Zeus et de la mortelle Alcmène, est considéré comme un demi-dieu. Situation empreinte d’une certaine tristesse…
L’affliction s’illustre par la pavane Le Forze d’Ercole datant du XVIème siècle (compositeur anonyme). Danse à tempo lent, la pavane s’exécute sur la projection d’Hercule nimbé de fleurs d’où jailliront les nuées bleutées de la constellation. Le clavecin et le théorbe enluminent leurs intentions mélodiques de motifs floraux.
Fuoco e Cenere développe une poésie mélodique ayant la pureté de la plus noble des pierres précieuses…


DAUPHIN

Epousant la forme d’un diamant, la constellation du Dauphin est visible également dans l’hémisphère nord. Aux multiples facettes, la mythologie accorde plusieurs origines à la légende du Dauphin. Poséidon, dieu de la mer, vient d’épouser Amphitrite qui s’enfuit pour protéger sa virginité. Il envoie un dauphin pour la convaincre de revenir. Ce qu’elle fait ! En signe de gratitude, Poséidon accorde au dauphin une place dans les Cieux. Une autre légende se réfère au poète grec Arion de Méthymne (VIIème siècle av. J-C). Célèbre et immensément riche, le poète est jeté par-dessus bord par son équipage, lors d’un voyage en mer. Enchanté par les odes mélodieuses et le son de la lyre du poète, un dauphin vient le sauver. C’est cette version que l’Ensemble nous rend au travers des pièces suivantes.
Le compositeur André Campra (1660-1744) publie, en 1708, son premier Livre de Cantates françoises dans lequel figure Arion, Cinquième cantate pour flûte, basse de viole et clavecin. En tutti instrumental, Fuoco e Cenere enchante les phrases musicales. La soprano est tout aussi envoûtante dans le mouvement lent Agréable enchanteresse. Un navire à rames, projeté en vidéo, accompagne le voyage vocal. Nous voguons sur la mer Harmonie… Suivant le même procédé technique, des clés de sol et des croches s’élèvent vers les Cieux, lors du récitatif Arion, qui dans l’art des sons. Le chant est poudré de délicates intentions.
Un second extrait, tiré des Intermèdes pour La Pellegrina (1589) argumente le propos. Composé par Jacopo Peri (1561–1633), l’air d’Arion est interprété par le baryton. D’une texture « homophonique », la ligne mélodique principale navigue sur le continuo instrumental. Effet scénique inattendu, la flûtiste est assise sur une chaise et nous tourne le dos. Savourons les envolées aériennes de sa flûte, accompagnée par la viole, sur les fins de phrases du baryton…
Nous achevons le périple par l’Air des Matelots de Marin Marais (1656-1728). Issue de la tragédie lyrique Alcyone (1706), la courte pièce est d’allure gaie, enjouée. A la manière d’une gigue, la flûte mène la danse. Le théorbe, la viole et le clavecin en épousent les pas.
Les inséparables Andromède et Persée se dessinent au loin…


ANDROMEDE E PERSEE

La constellation d’Andromède est, à tout jamais, unie à celle de Persée. Elle illustre l’amour inconditionnel d’un homme qui, au risque de perdre la vie, sauva sa bienaimée en utilisant la tête de Méduse pour changer le monstre marin, Cétus, en pierre.
A l’image des amoureux éternels, la soprano et le baryton unissent leur voix dans le duo de chambre Andromeda e Perseo, composé par Benedetto Bellinzani (1690–1757). Malgré la petitesse de l’Ensemble et le caractère intime de la pièce (di camera, de chambre), le duetto est sublime. La soprano domine la relation. Prenons garde de ne jamais « étouffer » notre partenaire... Encore une fois, la flûtiste se distingue par de longues phrases musicales. Le souffle est continu, ne connaissant nullement le point de rupture. Quelle vigueur !


TAUREAU

Incarnant la force, le taureau est source de différents mythes. Il pourrait être soit la forme animale utilisée par Zeus pour commettre le rapt d’Europe, soit le taureau blanc envoyé par Poséidon à Minos. Ou bien encore au Taureau d’Airain…
L’Ensemble fait appel à Jupiter. Il s’agit du Divertissement n° 1 des Pièces de viole, livre composé en 1747 par Antoine Forqueray (1672-1745). Ecrit initialement pour deux violes et un clavecin, Jay Bernfeld lui en substitue une et remplace la seconde par un théorbe. Cet échange est ingénieux. Il apporte à la pièce une gamme de couleurs développée par le jeu du théorbiste. Savourons la direction musicale instrumentée par le maestro Bernfeld. Le voyage stellaire, sans escale, prend fin avec l’une des plus anciennes et célèbres constellations de la Voie lactée…


LA GRANDE OURSE

La constellation rend hommage à Callisto. Cette jeune femme, convoitée par Zeus, lui donne un fils, nommé Arcas. Emplie de jalousie, Héra la transforme en ourse. Des années plus tard, lors d’une partie de chasse, Arcas se retrouve devant sa « mère », l’ourse. Ne la reconnaissant pas, il est prêt à la transpercer de son javelot. Afin de la sauver, Zeus transmue Callisto en constellation, dite de la Grande Ourse. Son fils Arcas la rejoint sous la forme de la Petite Ourse.
Deux extraits du drame La Callisto de Cavalli rendent à leur tour un vibrant hommage à cette femme… : l’air de Junon et le duetto Giove e Calisto. L’élégance des phrasés (vocaux et instrumentaux) étincellent comme nulle autre constellation…


Fort de son choix audacieux, Fuoco e Cenere nous a transmis l’art du « beau », réveillé notre imagination… Et cela bien au-delà des constellations dessinées par leur interprétation. Il n’était pas aisé de garder les pieds sur terre ! D’autant plus que les images de Sébastien Sidaner pouvaient nous égarer dans le mythique cosmos.
Notre attache, face à ces divertissements visuels, fut la chaîne musicale solidement ancrée dans le rocher terrestre, à l’image de celle de Persée…
Portés par les artistes, nous atteignons le firmament de la poésie, de la grâce où ont brillés de sublimes constellations…



Publié le 02 juin 2019 par Jean-Stéphane SOURD DURAND