Händel jazzt ! Dieter Ilg Trio

Händel jazzt ! Dieter Ilg Trio ©Till Brönner
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Un décoiffant et savoureux mélange

L’ébouriffante prestation de Christophe Dumaux (lire notre récente chronique) tournoyait encore dans nos oreilles quand nous nous sommes engouffrés dans un taxi pour suivre le concert suivant du Festival International Haendel de Göttingen. Celui-ci se déroule dans un lieu inhabituel : le Distribo Logistikzentrum, un des plus grands entrepôts du Land de Basse-Saxe. A lieu inhabituel programme insolite, puisqu’il propose des improvisations de jazz sur des thèmes musicaux empruntés aux compositions de Georg Friedrich Haendel – ainsi que de Johann Sebastian Bach, qui était ne l’oublions pas son contemporain. Devant un mur de palettes venues de tous les coins du monde (qui offre au demeurant une acoustique tout à fait convenable), un piano à queue, une contrebasse électrique et un ensemble de percussions occupent une courte estrade.

Sous les doigts experts de Dieter Ilg (à la basse), Rainer Böhm (au piano) et Patrice Héral (aux percussions), ils s’animent bien vite pour nous entraîner dans de virtuoses improvisations de jazz. Un jazz un peu particulier, car inspiré de thèmes baroques : on y retrouve notamment différents morceaux des Water Music, ainsi que des Variations Goldberg. Un signe d’ouverture également, pour ce Festival 2019, placé sous le signe des Magische Saiten (Cordes enchantées).

Le trio pratique un va-et-vient constant entre deux distributions. On repère par moments une formation très proche du baroque, dans laquelle la basse tient classiquement le rôle de basse continue sur des échanges rythmés par les attaques virtuoses du piano et les réponses nerveuses des percussions. A d’autres moments au contraire la basse impose son chant (et quel chant !), rehaussé par les interventions d’un ou de ses deux partenaires. Les échanges sont palpitants et serrés, et chaque musicien fait preuve d’une virtuosité tout à fait éblouissante sur son instrument : les doigts du pianiste virevoltent, ceux du bassiste semblent noués aux cordes, et le batteur maîtrise avec un art consommé l’enchaînement de ses différentes percussions.

Il est évidemment bien difficile de rendre compte plus en détail de cette performance, d’autant que nous ne sommes pas de bons connaisseurs du jazz. Ces improvisations témoignent assurément d’un important travail en amont, qui autorise une complicité - une sprezzatura serait-on tenté de dire ! - aussi étroite entre les musiciens : nulle hésitation dans les départs, pas l’ombre d’un écart dans les enchaînements, une chute finale à chaque fois savamment amenée et pourtant inattendue.

Le Dieter Ilg Trio et tout particulièrement son bassiste sont, il faut le dire, assez connus en Allemagne pour leurs improvisations sur des thèmes baroques ou classiques (comme ceux de Beethoven). Par la qualité de leur musique, ils ont acquis une renommée méritée dans ce mélange à la fois surprenant et savoureux, mais dont le concept initial était loin d’être évident. Ce soir-là ils ont brillamment montré que le jazz était un genre musical ouvert aux courants historiques qui l’ont précédé, à la fois en bâtissant de nouveaux développements sur des thèmes antérieurs mais aussi, comme on l’a dit plus haut, en reprenant efficacement le principe de la basse continue avec des instruments contemporains.

Cette approche décalée attire aussi, il faut le noter, un public en partie différent de celui des concerts plus classiques du Festival : assurément plus jeune, et probablement aussi plus large. Prendre des thèmes de Haendel ou Bach comme bases d’improvisations de jazz encouragera peut-être aussi ce public à se pencher sur les musiques originelles de ces musiciens. Quoiqu’il en soit, ce soir-là le jazz était le roi de la fête : les applaudissements nourris du public l’ont vigoureusement plébiscité !



Publié le 01 juin 2019 par Bruno Maury