The high Road to Kilkenny - Les Musiciens de Saint Julien - François Lazarevitch

The high Road to Kilkenny - Les Musiciens de Saint Julien - François Lazarevitch © Luc - Festival de Froville - Robert Getchell & Les Musiciens de Saint Julien
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Chers Passagers et Passagères,


Bienvenue à bord du vol n° 54290 Froville à destination de Kilkenny (Irlande). Vol sans escale !
Munis de votre carte d’embarquement, rejoignez vos places. Attachez vos ceintures ! Le décollage est imminent !
Le vol est placé sous l’autorité du commandant de bord François Lazarevitch et du copilote Robert Getchell.
A votre entière disposition, l’équipage Les Musiciens de Saint-Julien agrémentera votre voyage estimé à une heure trente.
Le plan de vol suit un itinéraire composé de musiques irlandaises (danses) et de textes (poésies, chansons) originaux des XVIIème et XVIIIème siècles.
La compagnie « Air Froville » et tout le personnel navigant vous souhaitent un excellent voyage…

Le roulage débute notre voyage grâce au cistre tenu par Romain Falik et la flûte de François Lazarevitch aux envoûtantes sonorités.
Le cistre est un instrument à cordes pincées et à manche, connu depuis le Moyen-âge et en vogue aux XVIIème et XVIIIème siècles. Il se distingue du luth, de la guitare, de la mandoline et de leurs dérivés par la forme de sa caisse à dos plat avec des éclisses dont la hauteur est décroissante de la naissance du manche à l’extrémité du cordier. Romain Falik déploie un argumentaire soyeux.
Les deux instrumentistes entament un dialogue coloré et vivifiant, dessinant les landes verdoyantes irlandaises, sur la chanson d’amour satirique Óró Mhór a Mhóirín. La bien-aimée rit des excuses avancées par son amoureux pour les rendez-vous manqués !
Le copilote, le ténor Robert Getchell, développe un timbre brillant et pur. Il jouit d’une forte personnalité vocale servant à merveille la langue gaélique. Bel exploit de prononciation du fait de sa nationalité. Il est Américain ! Le spectre sonore est large. L’émission structurée des consonnes sert d’appui à la netteté des voyelles. Elle rythme par ailleurs la mélodie.
Le commandant met les gaz, accélère la battue. Une suite de danse appelée reels (The Gorum, The Morning Star et The Country Girl’s Fortune), servant de carburant, propulse l’avion sur la piste. Un reel est une danse traditionnelle écossaise ou irlandaise, mais également la musique qui l’accompagne. La mesure est à quatre temps (ou deux dans certains cas). Constitués d’un mouvement de trille accentué sur le premier et troisième temps, la plupart des reels sont construits sur le motif A-B-A-B suivant le principe de question/réponse. Regrouper deux ou plusieurs reels est typique dans la musique irlandaise. Nous décollons…

La montée à l’altitude de croisière s’effectue en douceur. Le copilote nous rassure de sa voix enveloppante, chaleureuse. Il entonne Lord Mayo accompagné par un membre de l’équipage Bill Taylor à la harpe irlandaise. Le duo, ainsi formé, incarne à merveille ce chant de pardon, composé par le harpiste aveugle David Murphy (début XVIIème siècle). Les harmoniques et les arpèges émanant de la harpe sont d’une exceptionnelle pureté. Les sons semblent venir des contrées lointaines d’Irlande.
Au violon, David Greenberg adopte un ton plaintif. Il étire les notes de son archet. La viole de gambe, tenue par Valentin Tournet, apporte de la densité au chant mélismatique du ténor. Les sonorités du théorbe (Romain Falik) éclairent la déclamation de la flûte (François Lazarevitch). Les musiciens capturent l’interaction de la lumière et du paysage à la manière du peintre irlandais Paul Henry (1876-1958). La douceur musicale qui émane de Soggarth Shamus O’Finn nous plonge dans une entière sérénité. Le doigté délicat du théorbiste nous caresse de ses fines inflexions. La viole de gambe incarne les lamentations d’une voix humaine. La mélodie vibre, nous de même ! La mélancolie est personnifiée grâce à la quête expressive des artistes.
L’air écossais When she cam ben, she bobbit et ses variations écrites par James Oswald (1711-1769) et Turlough O’Carolan (1670-1738) nous accompagnent dans l’ascension « cantabile con moto » (« chantant avec mouvement »).
La montée se poursuit en compagnie du ténor, amoureux troublé pour la beauté de sa belle Celia Connallon, chanson composée par Thomas Connellan (ca. 1640/45-1668). Le timbre rond du théorbe et les arpèges de la harpe soutiennent les ornementations vocales. Quelle douceur !
Le violon engage l’ultime complainte ornée Sir Arthur Shaen (T. O’Carolan) de l’ascension. Le son est pur rehaussé d’accents langoureux. Les respirations sont puissantes. Quant à Colonel Irwin, le mouvement est plus animé, enjoué. L’idée de progression est posée. Deux pièces The Clonmell Lassies et The scolding Wife complètent la suite de reels. Remarquons les pizzicati exécutés à la viole…

L’altitude de croisière est atteinte. La chanson Sir Ulick Burke (T. O’Carolan) stabilise la trajectoire. La douceur qui en émane, n’est qu’un leurre. Quel paradoxe ! Elle marque les années de lutte des XVIIème et XVIIIème siècles avec comme point d’orgue la bataille de Culloden. Les révoltes jacobites, où le sang a coulé à flot, n’ont pu ramener les Stuart sur le trône. La mélodie gracieuse et spirituelle Edward Corcoran (planxty – type d’air à 6/8) est le reflet d’une réalité moins belle malgré le ton employé par les instrumentistes.
Au loin, par les hublots, se dessine le ciel changeant d’Irlande. Les nuages O’Neill’s Riding sont soufllés par la « smallpipes » (petite cornemuse), dont le soufflet est actionné par le commandant François Lazarevitch. Les couleurs sont à l’unisson avec la féérie de la « jig » Barrack Hill (forme de danse fondée principalement sur une mesure ternaire). Le mouvement pourrait apparaître comme lancinant. La variété de phrases musicales, des altérations et des accents donnent vie au mouvement.
La touchante berceuse Do Chuirfinnse Féin Mo Leanbh a Chodladh ferme nos paupières alourdies par le voyage. Elle s’argumente en couplets et refrain. Le premier couplet nous berce au son du violon et de la viole. La voix apaisante et réconfortante de Robert Getchell résonne dans nos cœurs sur le refrain Seó hín seó, huil leó leó, Seó hín seó, is tú mo leanbhSeó hín seó, […] , tu es mon enfant adoré. Le deuxième couplet est entonné au cistre et à la harpe. Au troisième s’y ajoutent le violon et la viole. Nous nous sentons protégés par tant de bienveillance, d’amour… Quel état de grâce !

La phase de descente commence sur l’air The Bank of Barrow. Le commandant, à la flûte traversière, porte à bout de souffle l’aéronef tout entier. La poésie sonore ne souffre d’aucune turbulence. Aucun vent contraire ne perturbe la sensible inclinaison même lors de l’entrée du théorbe. Le dialogue soigné véhicule les émotions. Au loin, les rives du fleuve Barrow se dégagent des paysages verdoyants.
Lancé sur cette nouvelle trajectoire, l’appareil vire légèrement à droite suivant le mouvement des deux reels signés par O’Carolan : James Betagh et Lady Wrixon. La progression d’accords (double tonique) oscille dans un balancement régulier de va-et-vient. La flûte reproduit la déclivité dans un motif chromatique descendant.

Le commandant et son second sortent le train d’atterrissage. Les roues touchent le sol irlandais. L’avion poursuit sa route et s’arrête devant la porte de débarquement.
Rassurés, le personnel navigant plaisante sur les malheurs d’un pauvre tambour (The drummer, connu sous le nom Cormac Spáinneach) traité en renégat et ceux d’un soupirant découvrant l’infidélité de sa bien-aimée.
Au son de la dernière suite de danses (The high road to Kilkenny, Toss the Feathers, The Mill Stream et Money Musk), nous passagers, remercions chaleureusement par de longs applaudissements le commandant, le copilote et l’équipage. Ces derniers nous remercient en prolongeant le voyage par deux bis.
Prenons la route en direction de Kilkenny, ville sur la Nore dans la province de Leinster.

Entièrement investis dans leur mission, les membres de l’équipage et les deux pilotes ont fait preuve d’excellence. L’envol, vers la verdoyante Irlande, s’est déroulé grâce à leur enthousiasme, leur complicité palpable.
Avec raffinement, ils ont nuancé les danses, les airs et chansons tout comme le ciel fluctuant entre le bleu féérique des éclaircies au noir ténébreux des jours de tempêtes…
Leur cohérence, dans le partage et l’amour de la musique, a concouru à la réussite de ce fabuleux voyage des terres de Lorraine aux terres celtiques.
Selon le proverbe irlandais «Trois choses sont impossibles à acquérir: le don de la poésie, la générosité, un rossignol dans la gorge.», le voyage a démontré le contraire. Le rossignol prenait son envol à chaque intervention de Robert Getchell. La générosité était derrière chacune des notes interprétées consacrant de la poésie au discours musical (instruments et voix).

Pour les personnes qui n’ont pu embarquer, le plan de vol est disponible chez Alpha – Outhere Music sous la référence alpha 234, « The High road to Kilkenny ».

La « Cie Air Froville» espère vivement que vous ayez passé un excellent voyage et souhaite vous revoir la saison prochaine sur ses lignes nationales et internationales…



Publié le 12 juil. 2017 par Jean-Stéphane SOURD DURAND