Idoméneo - Mozart

Idoméneo - Mozart ©A.Kaiser - ONR
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Comme un goût d'eau salée...

Idomeneo, de Wolfgang Amadeus Mozart fut créé à Munich en 1781, alors que le jeune prodige était agé de 25 ans. Cet opéra répondait à une commande de l’Electeur palatin Karl Theodor (qui la lui avait promise en 1777), et la princesse électrice de Bavière effectua elle-même le choix du livret. Mozart bénéficia assurément pour la création de cet opéra des meilleures conditions de travail qu’il pût avoir au cours de sa vie, ainsi que d’un plateau de très haut niveau (lun des meilleurs orchestres en Europe, des solistes de choix, la direction de Christian Cannabich…)
Le livret de Gianbattista Varesco a été grandement inspiré par l’Idoménée d’André Campra, composé en 1712. Pour rappel des grandes lignes, Idomeneo roi de Crète, promet aux dieux que s’il survit à la tempête dans laquelle il se trouve, il tuera la première personne qu’il croisera sur la plage. Et la première personne qu'il rencontre est … son propre fils !
La production de l'Opéra National du Rhin n'est malheureusement pas à la hauteur de nos attentes. Le metteur en scène Christophe Gayral s’est tenu ici à une mise en scène sobre, très sobre… trop sobre. Deux grands murs amovibles sont présents sur le plateau (garnis de trois trous chacun qui figurent des portes) : ces murs vont se mouvoir tout au long de la représentation pour accompagner l’intrigue. A plusieurs reprises le spectateur se demande pourquoi ils sont en mouvement, ce que ce changement signifie. En outre, le metteur en scène use d’artifices plutôt ridicules : une trappe au centre de la scène sert à deux reprises. Elettra l’ouvre lors de son premier air pour y découvrir des poupées vaudou sur lesquelles elle projette sa haine ; lors de sa mort, elle y disparait dans ce qui ressemble fort à un bac à sable. La fête de Neptune est traitée comme un goûter d’anniversaire, avec des guirlandes constituées de la silhouette du dieu, des drapeaux à son effigie agités par tous les figurants, et une statue. S'y ajoute la présence énigmatique de quelques acrobates, que l'on remarque uniquement dans la scène du démontage de la statut divine à la fin où figure un porté, et quelques roues et roulades. La scène finale est à l'avenant : après trois heures de spectacle d’une sobriété ennuyeuse, un énorme drap tombe du ciel pour venir couvrir la scène. Ce drap blanc, brodé de mille petites étoiles, évoque on ne sait pourquoi La Flûte enchantée. Soudain chacun quitte son habit noir, pour se retrouver vêtu de toutes les couleurs, jouant sur ce drap comme à la plage, au milieu de serviettes, de figurants en maillot de bain, des frisbees et de paquets de chips…
Les déplacements des acteurs ne sont guère mieux traités. La scène de la plage commence péniblement avec un Idomeneo qui s'agite en tous sens. Il déclame son récitatif (« Ciel ! Que vois-je ? voici l’infortunée victime, … ») alors que son fils Idamante arrive dans son dos, et sans aucune action. La suite fut toutefois plus intéressante, avec des expressions mieux maîtrisées, un Idamante perdu dans une totale incompréhension, et un père ravagé par ce que le ciel lui a réservé. Mais globalement les attitudes prescrites demeurent en décalage sensible avec l'action.
Malgré une ouverture plutôt réussie de la part de l’orchestre, grâce à des nuances et des tempi maitrisés, la direction de Sergio Alapont n'a pas tenu cette promesse dans la durée, n’offrant pas la palette d’émotions que cette œuvre est censée nous apporter. Elle s'avère en globalité plutôt plate. Et les efforts méritoires de la pianofortiste dans les récitatifs ne sont pas correctement relayés. Par ailleurs trop souvent les décalages entre les chanteurs et l’orchestre se succédaient, créant des effets sonores particulièrement désagréables…
Ce contexte ingrat ne rendait pas la tâche facile aux chanteurs. L’Ilia de Judith Van Wanroij s’essaie à un rôle tourmenté entre l’amour, la colère et la peur durant les deux premiers actes. La soprano y fait tout son possible, malgré une direction d’acteur plutôt confuse. Elle parvient à rendre le personnage crédible, bien que la scène du sacrifice dans l’acte III ne réussisse guère à nous émouvoir. Dans la célèbre aria Zeffiretti lusinghieri l’intention et la voix sont présents, mais trois danseurs nous assaillent par d'inopportunes distractions, dans une chorégraphie pesante et brouillonne. Tenant à la main des ventilateurs portatifs pour faire voler la robe d’Ilia, ils propagent un son parasite bien audible du fond de la salle. Un des danseurs réalise un incongru tour de passe-passe consistant à faire sortir des fleurs de son costume…
Le personnage le plus réussi de ce plateau fut à nos yeux l’Elettra d'Agneta Eichenholz. Elle su entretenir tout au long de cette représentation le caractère de folie exposé dès son premier air Tutte nel cor vi sento, avec une voix juste et bien projetée, ainsi qu’un timbre bien adapté à son personnage.
Face à ces voix féminines plutôt affirmées, le plateau masculin s'avère particulièrement décevant. Dans le rôle-titre, Maximilian Schmitt maîtrise mal son timbre et manque d'expressivité. Il est particulièrement à la peine dans les vocalises, comme cela fut manifeste dans l’air Fuor del mar, gâché par des ornements totalement plats. De son côté l'Idamante de Juan Francisco Gatell manque de projection, et de prestance sur scène. Les rôles secondaires ne sont pas mieux servis, tant vocalement que par le jeu d’acteur. On en s'attardera donc pas sur l'Arbace plat et sans intérêt de Diego Godoy-Gutiérrez, ni sur le Grand Prêtre sans profondeur et au timbre terne d'Emmanuel Franco. La Voix de Nathanaël Tavernier a de son côté souffert d'un criant manque de justesse.
Il convient toutefois de souligner la belle performance des Chœurs de l’Opéra National du Rhin, qui ont fait preuve tout au long de la représentation d'une belle homogénéité, d'une puissance et d'une expressivité convaincante, ainsi que d’une justesse et d'une cohésion exemplaire.
Idomeneo, rarement donné sur les scènes lyriques françaises, méritait assurément mieux que cette mise en scène déconcertante et maladroite, et que ce plateau trop déséquilibré. L'amateur attendra donc avec impatience la production qui permettra de rendre justice aux beautés de la partition et à la dramaturgie intense de cette œuvre remarquable, dont le musicologue Alfred Einstein a écrit : Idomeneo est « Une de ces œuvres que même un génie de tout premier ordre comme Mozart ne réussit qu’une fois dans sa vie ».

Publié le 18 mars 2016 par Hippolyte DARISSI