Combattimento, la théorie du cygne noir - Ensemble Correspondances

Combattimento, la théorie du cygne noir - Ensemble Correspondances ©Ensemble Correspondances © Festival d'Aix-en-Provence / Photo : Monika Rittershaus
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Combattimento, la théorie du cygne noir

Sous ce titre aussi étrange que surprenant, on identifie le Combattimento de Monteverdi (1567-1643) qui donne son intitulé au spectacle et le sous-titre théorie du cygne noir est repris au statisticien Nassim Nicolas Taleb qui avance qu’un événement imprévisible et improbable peut avoir de lourdes conséquences, anéantir vie et destin, ici la mort de Clorinde. Le chef d’orchestre Sébastien Daucé, douze musiciens de son Ensemble Correspondances dans la fosse, quelque huit chanteurs remarquables dans une mise en scène de Silvia Costa ont offert dans le cadre du Festival d’Aix un opéra baroque reconstitué à partir des suites imaginées du Combattimento et la mort de Clorinde. Un spectacle inventif et sensible qui allie la poésie de la musique à la pertinence du propos, s’est déployé sur la scène du ravissant théâtre de Jeu de paume. La représentation est un montage réalisé par le dramaturge Antonio Cuenca Ruiz des musiques de Monteverdi aux baroques italiens, Luigi Rossi (1597-1653), Francesco Cavalli (1602-1676) et les contemporains dont Tarquinio Merula (1595-1665) et Giacomo Carissimi (1605-1674). Le programme réunit madrigaux, lamentations en italien ou en latin pour Les Lamentations de Jérémie, airs pour chœurs et solistes, pièces instrumentales composées entre 1630 et 1650, années qui marquent le sommet du baroque musical italien.

Un opéra recomposé

Selon le projet des artistes, le fil narratif est envisagé comme une succession d’épisodes à fortes charges émotionnelles, de situations douloureuses, une trame ravivée par la mort de Clorinde et en lien avec la notion de perte. Cependant le spectacle se clôt avec « le retour de l’espoir, une reconstruction après les épreuves du deuil », confie Sébastien Daucé.

Cet opéra inédit, vocal et chorégraphique, est conçu à partir du célèbre Combattimeno di Tancredi e Clorinda qui oppose le chrétien Tancredi à Clorinda la sarrasine, un madrigal « in forma rappresentativo » en un tableau que Monteverdi a composé d’après les vers du chant XII de La Jérusalem délivrée du Tasse (1544-1595). Il a choisi de mettre en musique ce texte « pour, avoue-t-il, servir de passe-temps à la veillée durant le Carnaval de 1624 ou 1626 (un doute subsiste sur la date exacte). L’œuvre fut donnée à Venise dans le palais du seigneur Girolamo Mocenigo, haut dignitaire de la Sérénissime République, mécène et protecteur de Monteverdi, elle fut accueillie avec grand succès. Cette pièce pour trois voix, cordes et basse continue, d’une écriture extrêmement élégante et d’un raffinement éloquent dans la suggestivité frémissante des sentiments clôt le Huitième Livre des madrigaux amoureux et guerriers, recueil édité en 1638. Monteverdi souhaitait donner au Combattimento une dimension résolument théâtrale et mettre en valeur le dramatisme du texte dont Monteverdi a voulu servir l’expressivité en imaginant une structure musicale audacieuse et dynamique, une manière neuve de composer en jouant de dissonances, de combinaisons de timbres, d’articulations inattendues, de lignes mélodiques sinueuses. Cette œuvre moderne souleva le ravissement des spectateurs enthousiastes, attendris par l’aventure des deux héros du Combat. Selon Monteverdi, « La bonne musique doit avoir l’émotion pour but. » Car, c’est la vérité et la violence des passions humaines qui intéressent le compositeur. Toute sa musique est habitée d’un lyrisme né de la subtile alchimie de la voix et du texte. Monteverdi lui confère une ampleur inédite par des motifs rythmiques évocateurs qui s’opposent par contrastes dans le déroulement du récit. Une alliance tout en clair-obscur exprime les affects que le Combattimento excerbe : la colère, la tempérance, l’humilité auxquels correspondent trois expressions musicales : le style concitato, le style temperato, le style molle.

Violence des passions

Le texte du Combattimento est essentiellement chanté par un narrateur interprété ici par Valerio Contaldo, ténor fougueux qui raconte et commente les phases du duel : poursuite à cheval, puis combat mené à terre, repos au milieu de la lutte, Tancrède souhaite connaître l’identité de celui qu’il affronte, Clorinde ne se dévoile pas, mais indique à Tancrède que le guerrier ennemi a brûlé la forteresse chrétienne, puis, reprise de l’affrontement acharné à l’issue duquel Clorinde est mortellement blessée. Elle se livre à de poignantes lamentations et avant d’expirer, demande le baptême. Tancrède va chercher l’eau du rituel baptismal et de retour soulève le heaume de son adversaire et découvre, bouleversé, la jeune fille qu’il aime et qu’il n’avait pu identifier sous son armure.

Après une brève Sonata de Giovanni Battista Buonamente (1595-1642), en prologue à la soirée la première partie du madrigal à six voix Hor che’l cielo e la terra, tiré du Livre VIII, la deuxième partie sera donnée à la fin de l’opéra. Puis, sur la scène envahie de ténèbres, les trois protagonistes nous font revivre le drame et son issue fatale : Valerio Contaldo exprime avec véhémence la violence du combat, le baryton Etienne Bazola, vaillant Tancrède et la Clorinde de la soprano Julie Roset, voix pure et agile, tous deux vêtus de la robe blanche des chevaliers de Temple, ornée de leurs blasons, se livrent bataille, les armes du duel zèbrent la nuit. Un tableau d’images et de symboles impressionnant soutenu par un orchestre qui décline une palette de couleurs fortes et suggestives qui participe au récit !

Deuil et lamentations

La mort de Clorinde se prolonge par le malheur qui s’abat sur une collectivité qui exprime sa souffrance sur le mode des lamentations. La Première leçon de ténèbres du premier jour des Lamentations de Jérémie de Tiburtio Massaino (1550-1609) donne le ton suivie du Lamento d’Hécube qui pleure la ruine de Troie extrait de la Didone de Cavalli interprété par la mezzo-soprano Lucile Richardot, voix pleine aux accents tragiques. D’autres airs de déplorations dont ceux de Carissimi entretiennent le climat de complainte apaisé par une douce berceuse consolatrice de Tarquino Merula chantée par la soprano Caroline Weynants. Puis la nuit et ses ombres, envahissent la scène, tout est plongé dans un sommeil hanté par le ballet des fantômes sur des musiques de Luigi Rossi, de Cavalli, avant la renaissance et l’arrivée de l’aurore annoncée par des extraits des opéras de Cavalli, Les Amours d’Apollon et Daphné et d’Egisto magnifiquement chantés par des interprètes rompus à ce répertoire dont Nicolas Brooymans, Antonin Rondepierre, Etienne Bazola, Julie Roset.

Vers un nouveau monde d’espoir

Après le deuil et les lamentations, l’épilogue de l’opéra reprend la seconde partie du madrigal de Monteverdi dont la première avait servi de prologue, pour annoncer le retour des forces vives de l’espérance. Après les ruines générées par les violences guerrières, la reconstruction d’un monde nouveau tourné vers l’avenir.

Voici le beau et réjouissant message que livre cette magnifique production. Il faudrait citer tous ceux qui ont contribué à sa réussite. L’excellence de la partie musicale avec l’Ensemble Correspondances et son chef Sébastien Daucé, les chanteurs, voix solistes qui se singularisent puis rejoignent le chœur à l’unisson, les lumières de Bernd Purkrabek qui ont conduits les spectateurs des ténèbres vers la lumière du jour naissant, les costumes adéquats de Laura Dondoli. Il faut souligner la mise en scène pertinente, imaginative, tout en finesse de Silvia Costa et le travail savant et sensible du dramaturge Antonio Cuenca Ruiz.



Publié le 10 août 2021 par Marguerite HALADJIAN