Iphigénie en Aulide - Gluck

Iphigénie en Aulide - Gluck © BnF - Gallica
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Le retour d'Aulide

A sa création, Iphigénie en Aulide connut un immense succès qui lança la carrière de Gluck en France. Premier opéra composé par Gluck pour Paris, l’œuvre incarne la volonté réformatrice du compositeur qui se pose en rupture avec la tradition lyrique française. Il s’agit donc d’un spectacle d’un genre nouveau pour l’époque, recentré sur la tragédie et sur une expression plus humaine et réaliste des sentiments, dont le succès dut beaucoup au soutien sans faille de Marie-Antoinette. Ce succès de l’œuvre perdura, moyennant quelques adaptations plus ou moins contestables (dont celle de Wagner), jusqu’à la deuxième guerre mondiale, à partir de laquelle commence une éclipse qui dure encore. Pourtant, Iphigénie en Aulide est émaillée de pages superbes tant orchestrales que vocales.

Disons-le d’emblée, cette représentation en version de concert de cette œuvre rare au Théâtre des Champs Elysées fut un grand succès, salué comme tel par un public enthousiaste.

Cette réussite est d’abord celle de Julien Chauvin qui, à la tête de son Concert de la Loge rend à la partition toute sa subtilité et livre une interprétation magistrale et infiniment séduisante de l’œuvre. Très attentive aux rythmes et aux équilibres, sa direction vive, rapide est incisive, accompagne superbement la caractérisation dramatique des personnages et met en valeur les couleurs superbes d’un orchestre en très grande forme. Les cordes sonnent superbement et les bois offrent des moments d’une incroyable beauté. Les Chantres du Centre de musique baroque de Versailles assument le rôle important dédié au chœur et, si on doit bien relever quelques (petits) décalages, il faut saluer la beauté de ces timbres et une diction absolument irréprochable.

La distribution est également une belle réussite même si on peut regretter qu’elle se limite trop à des partenaires habituels des productions du Palazetto, ce qui risque, à terme, d’être un appauvrissement.

On pourrait reprocher à Judith van Wanroij de donner une interprétation un peu froide d’Iphigénie et d’avoir une diction moins précise qu’attendu dans ce rôle mais le timbre est vraiment très beau, très adapté à ce personnage et le style est réellement irréprochable.

Stéphanie d’Oustrac est une Clytemnestre de très haut niveau. Même si la diction manque parfois de netteté, le timbre reste opulent et elle offre une immense diversité d’expressions et de couleurs et donne un relief, une densité particulièrement remarquables à un personnage dont on devine la fureur rentrée et les excès à venir.

Cyrille Dubois est un Achille hors pair : il réussit avec beaucoup de brio à porter la variété des sentiments qui affectent son personnage. La compréhension du style est indiscutable, l’émission et la diction sont parfaites, les récitatifs sont ciselés et ses emportements sont saisissants. Mettant moins en avant que d’habitude les beautés de son timbre et pliant celui-ci au service d’une ligne de chant et d’un phrasé particulièrement soignés, il est le grand triomphateur de cette soirée.

Tassis Christoyannis est un peu décevant en Agamemnon. L’écriture trop basse du rôle ne lui permet pas de déployer toutes les qualités de son timbre et l’interprétation reste trop sur la réserve pour ne pas être en dessous de ce que peuvent être ce rôle et ce chanteur à la diction remarquable.

A l’inverse, Jean-Sébastien Bou est totalement convaincant en Calchas, rôle qu’il aborde avec une évidente gourmandise. A son habitude, la déclamation est impeccable et le timbre chaud se pare d’éclats incisifs parfaitement distillés au cours de ses deux interventions.

David Witczak a la charge de trois rôles (Patrocle, Arcas, et un Grec) : si le style est là aussi irréprochable, la projection est parfois un peu limitée et il semble à plusieurs reprises en manque de graves. Les trois Grecques sont bien distribuées, en particulier Jehanne Amzal (Deuxième Grecque) au timbre très séduisant et Marine Lafdal-Franc (Troisième Grecque) au style déclamatoire impeccable.

Espérons que cette soirée permette à ce premier opéra parisien de Gluck de retrouver sa place et le chemin des scènes. Un enregistrement de cette production serait à venir.



Publié le 12 oct. 2022 par Jean-Luc Izard