Festival Eeemerging 2017 - Ambronay

Festival Eeemerging 2017 - Ambronay ©Bertrand Pichène
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Le Tour d'Europe des jeunes pousses

Le programme eeemerging s'adresse à de jeunes ensembles musicaux européens (d'où son intitulé complet : Emerging European Ensembles – Ensembles Européens Emergents). Il est le fruit d'une coopération entre huit institutions musicales européennes : l'Université nationale de musique de Budapest, le festival international Haendel de Göttingen, Seviqc Breżice de Ljubljana, Ghislieri Musica de Pavie, le Centre de musique ancienne de Riga, la société des productions audiovisuelles Ozango de Strasbourg, le Centre de musique ancienne de York et le CCR d'Ambronay, qui en est également le pilote. Il offre aux ensembles sélectionnés sur leurs qualités musicales un accompagnement à la fois sur le plan artistique mais aussi face aux spécificités du marché international de la production musicale. Cet accompagnement est dispensé pour une durée maximale de trois ans, au cours desquels les ensembles se voient offrir des occasions de promouvoir leur diffusion, sous forme de concerts ou de productions numériques. Les deux meilleurs ensembles de chaque promotion se voient en outre offrir l’enregistrement de leur premier disque professionnel.< /p>

Le public est associé à la désignation de ces meilleurs ensembles, à travers un Prix du public. Ne peuvent évidemment voter que les auditeurs qui ont suivi les concerts de l'intégralité de la promotion, soit six concerts sur l'espace d'une journée et demie... Programme dense et serré donc, qui s'intercale entre les nombreuses productions de ce 38ème festival d'Ambronay. Le format de chaque concert est limité impérativement à 45 minutes, afin de tenir dans le déroulé du festival et de respecter l'égalité des temps entre les formations.

Le Castello Consort ouvre le ban, avec un programme De la canzone à la sonate, tourné vers les composteurs italiens du XVIIème siècle. Nous avions découvert ce jeune ensemble il y a quelques mois au festival de Göttingen (voir notre chronique : Castello Consort) dans un programme plus développé et un peu différent, qui comportait toutefois quelques points communs avec celui-ci (notamment le Laudate Dominum de Monteverdi, et la composition originale de Matthijs van der Moolen d'après la Cantate Domino de Gabrieli). Cette dernière fut particulièrement applaudie et à juste titre, le jeune sacqueboutier-compositeur l'exécutant avec beaucoup de sensibilité et de brio. On notera encore son habileté à équilibrer le son avec celui des autres instruments, en particulier dans la sonate de Ferro et la sonate n° 4 de Castello. Dans celle-ci on relèvera également la partie virtuose de violon, impeccablement exécutée par Elise van der Wei. Globalement l'ensemble affiche une excellente coordination, qui semble témoigner d'un profond travail de préparation. La présence de la sacqueboute confère évidemment une indéniable touche d'originalité à cet ensemble, et lui apporte une sonorité inédite.


© Bertrand Pichène

Changement de registre avec l'ensemble 4 Times Baroque et son programme dédié à l'opéra : Opera da camera : antique myths. Autour de la soprano Samanta Gaul se tiennent clavecin, violoncelle et flûte à bec. La voix est expressive, avec une pointe mate, presque rauque, qui lui donne d'emblée une couleur dramatique. Elle sera très applaudie dans le Scarlatti (Piu non m'alleta), et son incarnation d'Alcina (Credete al moi dolore) est marquée par la tension dramatique, alors que le Hush Ye du Fairy Queen de Purcell (ajouté au programme) dévoile un timbre plus aérien, avec une bonne diction anglaise. Elle se révèle également à l'aise chez Gluck (Che fiero momento), avec des attaques bien marquées, pour terminer avec brio sur les aigus tranchants du Non voglio amar de Sartorio. Si le clavecin se révèle onctueux et le violoncelle bien expressif c'est assurément la flûte à bec de Jan Nigges qui domine et tire l'ensemble, à la fois par sa virtuosité de son jeu et sa puissance sonore, faisant presque passer au second plan la prestation vocale. On retiendra aussi l'exécution jubilatoire de l'air final de Sartorio, dans lequel l'enthousiasme des musiciens et de la chanteuse se communique largement à l'auditoire.


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Il revient à l'ensemble Il Quadro animato d'ouvrir les concerts de l'après-midi, dans le moment toujours délicat où l'attention s'estompe après le déjeuner. Le répertoire est composé de pièces orchestrales du XVIIIème siècle, autour d'un clavecin, d'un ensemble de cordes (violon-alto-violoncelle) et d'un traverso. Le Quatuor n° 18 de Toeschi débute par un allegro brillant et narratif, tandis que le traverso de Lorenzo Gabriele mène avec insistance le larghetto. Le presto final sera toutefois entaché de quelques décalages entre les instrumentistes. Dans la sonata da chiesa de Janitsch le clavecin de Flóra Fábri emmène la fugue de manière impérieuse. Le Quatuor n° 1 de Quantz témoigne d'une bonne maîtrise technique et d'une bonne synchronisation dans les différents mouvements. Et nous avons particulièrement aimé le Quatuor n° 3 opus 2 de Wolf, avec son traverso très narratif, le rythme enlevé de l'allegro introductif, les cordes soutenues dans l'andante, et son minuetto final très animé dans lequel les instrumentistes sont cette fois parfaitement ajustés.


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Le Concerto di Margherita enchaîne ensuite avec un programme de la fin XVIème – première moitié du XVIIème, entre Renaissance et baroque : Dolci miei sospiri : entre Venise et Ferrare. Comme il était fréquent à l'époque ses instrumentistes sont également chanteurs. D'emblée les interprètes sont bien ajustés, et nous livrent une Toccata de Kapsberger très planante, où se mêlent intimement harpe, viole et théorbe. Dans l'air de Frescobaldi qui suit on note particulièrement la rondeur du théorbe et l'expressivité de la viole. Le madrigal de Monteverdi est chanté avec une grande netteté des voix dans chacune des mélodies. De même dans la Canzone Prima de Gabrieli qui suit chacun des instruments est bien audible. Le Dolci miei sospiri de Monteverdi attirera de chaleureux applaudissements. Tanja Vagrin délivre de beaux ornements dans le final d'Aura soave de Luzzaschi, aux aussi fortement appréciés du public. On notera également son duo avec Giovanna Baviera dans le Stral pungente, où cette dernière fait preuve d'une grande noblesse dans la déclamation, et dans le Cara la mia vita, joliment relayé par la guitare impérieuse de Ricardo Leitão Pedro. On retrouvera avec bonheur cette guitare sonore aux côtés de la viole dans l'entraînant Corilla danzando de Frescobaldi. Notons aussi l'originalité de l'inclusion dans le programme de diminutions contemporaines sur le Cara la mia vita de Giaches de Weert, composées par Giovanna Baviera.


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L'ensemble La Vaghezza ouvre les concerts du dimanche matin sur un intitulé énigmatique : Science de l'immatériel. D'emblée il manifeste une bonne coordination, avec des attaques nerveuses et un rythme soutenu dans l'Ariosa de Biber. La Sonate n° 1 de Vivaldi sera très applaudie, là aussi grâce à un bon dosage entre la nervosité des rythmes rapides, voire enlevés, et la narrativité développée dans les passages plus lents (notamment l'adagio). On relève aussi la présence marquée de l'archiluth de Gianluca Geremia, dont l'instrument, discret par nature, est ici nettement audible. Cette interprétation intelligente et séduisante fait également merveille dans la Sonate en trio de Bach, à l'allegro plein d'entrain, au largo emmené par le chant des deux violons, et à l'allegro final aux attaques vives et précises. L'ajout d'un morceau de Purcell non prévu au programme ne fait que confirme cette brillante démonstration, applaudie par un public conquis.


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Dernière formation eeemerging en piste l'ensemble CONTINUU-M affiche d'emblée un bon professionnalisme : les accords ont été effectués quelques minutes avant la montée sur scène, ce qui permet au violon virtuose d'Elfa Rún Kristinsdóttir de lancer d'emblée les premières notes de la Sonate en ut majeur de Pisendel. Dans la cantate de Stölzel, la soprano Marie Luise Werneburg affiche un timbre bien rond, aux éclats cristallins et à la diction précise. Son expressivité est renforcée par un clavecin loquace et les ponctuations du violoncelle. On la retrouvera avec bonheur dans le Ye Gentle Spirits du Fairy Queen de Purcell, au phrasé soigné, et dans la cantate de Bach aux charmants ornements ourlés. L'insertion d'une œuvre contemporaine (le Traumwerk de Dillon) introduit avec ses dissonances une dimension de rupture qui apporte une touche d'originalité au programme. Nous avons aussi bien aimé la cantate finale Angenehme Zephyrus, dont les ornements fusent aisément du timbre frais et juvénile de la soprano. On regrettera toutefois que cet ensemble soit le seul qui n'ait pas pris la peine de présenter son programme au public.

Après un scrutin dans les règles, le Prix du public échoit finalement à l'ensemble La Vaghezza : qu'il en soit ici félicité. Celui-ci, ainsi que Concerto di Margherita, Il Quadro Animato et 4 Times Baroque demeurent sélectionnés pour une seconde année dans le cadre du programme eeemerging. Souhaitons à tous ces jeunes ensemble (ainsi qu'aux deux qui n'ont pas été retenus, mais c'est la loi du genre...) une longue et fructueuse carrière dans le monde enchanteur de la musique baroque !

Pour nos amis internautes, des extraits de la plupart de ces concerts sont disponibles sur Culturebox jusqu'au 08/10/2018 (entrer dans le bandeau de recherche : Ambronay eeemerging).



Publié le 31 oct. 2017 par Bruno Maury