King Arthur - Purcell

King Arthur - Purcell ©De gauche à droite: Mhairi Lawson, Lauren Lodge Campbell, Anna Denis, Christopher Fitzgerald Lombard, Marcus Farnsworth © Pierre Benveniste
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Un opéra populaire haut en couleurs

King Arthur est un semi-opéra en 5 actes de Henry Purcell (1659-1693) créé en 1691 au théâtre de Dorset Garden à Londres. Le livret de John Dryden (1631-1700) date de 1684.

Le semi-opéra est un genre hybride qui allie le mask et le théâtre parlé. Le mask, à l'instar de l'intermezzo italien ou du ballet de cour français, est un divertissement musical masqué qui devait s'intégrer dans un spectacle théâtral parlé plus vaste. William Shakespeare (1564-1616) a donné au mask un rôle important dans l'action de ses ouvrages théâtraux. Ainsi au jour de sa création King Arthur durait plus que cinq heures. Actuellement seule la partie musicale est représentée et sa durée est d'environ deux heures.

L'utilisation des mythes arthuriens par John Dryden et Purcell permettait de rappeler les mythes fondateurs de la nation britannique et du peuple anglais. King Arthur était aussi une occasion pour Dryden et Purcell de célébrer la royauté comme le faisaient à la même époque, Jean Baptiste Lully (1632-1687) et Philippe Quinault (1635-1688) pour Louis XIV au royaume de France et pour chanter la louange des souverains Stuart et en particulier de Charles II.

La musique de King Arthur est un harmonieux mélange de style savant, galant et populaire. Au style savant correspondent : les fugatos dont celui de l'ouverture et ceux des chœurs de la scène 2 de l'acte I ; la passacaille et ses cinquante neuf variations sur une basse obstinée (un tétracorde descendant), inspirées peut-être de l'Armide de Lully (1686). Au style galant appartiennent les suites de danses ainsi que l'inévitable bergerie baroque. Le style populaire est abondamment représenté par les nombreux airs issus du folklore anglais, voire celte selon Vincent Borel, auteur de la notice. On remarque tout particulièrement le chant du berger à l'acte II, How blest are shepherds, repris par le chœur et les instruments, mélodie populaire et hymne tout à la fois qui s'inscrit instantanément dans la mémoire, invocation joyeuse et grave à la nature puis lors de la deuxième strophe, invitation à goûter sans tarder aux plaisirs de l'amour pendant la jeunesse. A noter que le Hornpipe qui clôt l'acte II étonne par ses audaces rythmiques (mélange de rythmes binaires et ternaires) préfigurant le Jazz ! Encore plus débridé était l'air de Comus, Your hay, it is mow'd, auquel répondait le chœur des paysans, Old England, old England, morceau chanté encore de nos jours dans les pubs anglais comme le rappelait Comus, divinité des réjouissances, en s'adressant au public.

La Scène du froid, tout à fait inclassable, est un des tubes de l'opéra. C'est un duel comique voire burlesque entre Cupidon et le Génie du froid. Les bégaiements et les onomatopées de ce dernier sont scandés par les accords audacieux et souvent dissonants des cordes. Il est indéniable que cette scène ressemble beaucoup à celle des Trembleurs dans l'Isis de Lully (1677). Ce duo se termine par une mélodie populaire chantée par Cupidon, 'Tis Love, 'tis Love, 'tis Love that has warm'd us, et reprise par le chœur, avec un élan et une énergie exaltants.

Une particularité de ce semi-opéra est qu'il n'y a pas vraiment de rôles clairement individualisés et maintenus tout au long de l'action mais une foule de personnages soit allégoriques, soit anonymes et dans ce dernier cas, désignés uniquement par leur nature ou leur métier: un berger, une bergère, Cupidon, le Génie du froid, sirènes, nymphes, She and He....Ces personnages interviennent le temps d'une scène, puis s'en vont et ne reviennent pas. Cela rend forcément la tache ardue pour les chanteurs qui doivent s'adapter à des profils dramatiques très différents.

Les deux sopranos Mhairi Lawson et Anna Denis (une sirène, une bergère, une nymphe, Philidel, Vénus, She) avaient des tessitures semblables mais des timbres de voix différents. La superbe voix de Mhairi Lawson m'a paru plus corpulente et celle non moins brillante d'Anna Denis, plus légère. Ces deux remarquables chanteuses intervenaient souvent en duo et leurs voix s'accordaient idéalement notamment dans le magnifique duetto des deux bergères à la fin de l'acte II et surtout celui des deux sirènes (acte IV, scène 2), simplement accompagné d'un luth. A noter les séduisants solos de Anna Denis dans le rôle de Philidel à l'acte II, Hither, this way, et de Mhairi Lawson dans celui de Vénus à l'acte V. A noter que l'admirable Fairest isle, est repris par un délicat quatuor à cordes.

Lauren Lodge Campbell m'avait impressionné quelques mois auparavant à Karlsruhe dans Hercules de Georg Friedrich Haendel (1685-1759). Elle y tenait magistralement le rôle d'Iole, la sainte nitouche qui sème la zizanie dans la maisonnée d'Hercule (voir ma chronique dans ces colonnes). Dans l'acte III de King Arthur, elle joue le rôle de Cupidon, au côté du Génie du froid (Ashley Riches) et tous les deux forment un duo inénarrable. Les claquements de dents du dernier nommé alternent avec les moqueries du dieu d'amour. A la fin de l'acte, Lauren Lodge Campbell chante avec la même basse un admirable duetto, Sound a parley, ye fair, un des sommets de l’œuvre.

Les hommes soutiennent la comparaison avec les femmes grâce aux magnifiques basses que sont Ashley Riches et Marcus Farnsworth (déjà présents tous deux dans la production donnée à Beaune en 2019 : voir la chronique de mon confrère). Si la voix du premier nommé est la plus puissante, celle du second est plus chaleureuse. Tandis qu'Ashley Riches a brillé tout particulièrement dans le rôle du Génie du froid, Marcus Farnworth n'était pas en reste dans celui de l'esprit terrestre maléfique Grimbald. Les ténors Matthew Long (émouvant How blest are shepherds), Jeremy Budd, Christopher Fitzgerald Lombard et Tom Castle m'ont enchanté par leur voix d'une belle harmonie dans les soli et les ensembles. Leur plus belle intervention se trouve peut-être à l'acte V, scène 2 et notamment dans le sublime trio masculin, For folded flocks and fruitful plains, où leurs voix d'or chantent la louange de la belle nature, de la terre de Bretagne et de ceux qui la cultivent.

Il fallait un orchestre d'exception pour accompagner des solistes de ce calibre. Pas de problèmes avec l'orchestre magnifique des Gabrieli Consort and Players, ses violons au son d'une douceur incroyable, ses deux basses de violon puissantes et chaleureuses sans oublier les deux superbes altos dont la grande taille m'a surpris. Les magnifiques trompettes naturelles ont apporté à certains endroits de l’œuvre leur éclat et leur esprit guerrier. Les deux hautbois et le basson doublaient les cordes mais avaient aussi quelques très beaux passages à découvert. Quant aux deux théorbes, ils avaient un rôle soliste dans certains airs ce qui permettait d'apprécier la virtuosité et la musicalité des deux interprètes.

Pour animer solistes, chœurs et instruments, un magicien était aux manettes, en l'occurrence Paul McCreesh. Grâce à son geste épuré, une communication fervente avait lieu entre lui et les musiciens. C'est le propre des artistes des ensembles les plus prestigieux de se comprendre à demi-mots et de fonctionner comme une entité organique, un corps dont les artistes sont les membres.

Une mise en espace brillante, une musique splendide, du théâtre vivant, un opéra populaire haut en couleurs, tous les ingrédients d'un spectacle enthousiasmant étaient réunis.



Publié le 18 juil. 2022 par Pierre Benveniste