La Liberazione di Ruggiero dall'isola d'Alcina - Francesca Caccini

La Liberazione di Ruggiero dall'isola d'Alcina - Francesca Caccini ©
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Une Liberazione contrastée

Fille du compositeur Giulio Caccini, qui composa les premiers opéras baroques (en particulier l'Euridice, dès 1600) pour la cour de Florence, la chanteuse et compositrice Francesca Caccini débuta très tôt dans la carrière musicale au service du Grand Duc de Toscane. La visite du prince héritier de Pologne, Wladyslaw, en février 1625, est le prétexte à de grandes festivités , d'autant qu'il pourrait s'avérer un parti pour la fille du défunt Côme de Médicis (1590-1621). Sa veuve la Grande Duchesse Maria Maddalena d'Autriche commande un opéra à Francesca Caccini. Le livret, rédigé par Ferdinando Saracinelli, surintendant de la cour des Médicis, est inspiré librement de l'Orlando furioso de l'Arioste (1474-1533). Cette inspiration mérite d'être notée, car elle alimentera nombre d'opéras au cours de l'époque baroque, en particulier l'opéra éponyme de Vivaldi au XVIIIème siècle.
La partition est riche d'airs dans le style madrigalesque de l'époque, mais aussi de chœurs, de sinfonias et intermèdes instrumentaux. Elle est structurée autour d'un prologue et de quatre scènes. Conformément à la tradition de l'opéra de cour qui sera poursuivie par Lully, le prologue constitue un hommage aux souverains, en l’occurrence le prince Wladyslaw et les Médicis ; les quatre scènes suivantes narrent l'intrigue proprement dite. Dans cette dernière les références à l'actualité politique internationale sous-tendent le choix de l'action : la malveillante Alcina symbolise les Turcs, battus par l'armée des Polonais catholiques ; Mélissa, qui vient libérer Ruggiero retenu prisonnier sur l'île enchantée, n'incarne rien moins que la Grande Duchesse elle-même...
Comme beaucoup d'opéras du XVIIème siècle (à l'exception de ceux de Monteverdi), La Liberazzione di Ruggiero est rarement proposée par les scènes lyriques. Nous ne pouvions donc manquer la production réalisée par l'Ensemble Huelgas (spécialisé dans le répertoire médiéval et de la Renaissance) pour le Salon d'Hercule à Versailles. S'agissant d'une version de concert l'oeil n'était pas déçu, grâce à la présence sur scènes de copies d'instruments d'époque : violone, lyre, et surtout l'impressionnante basse de cromorne, à la hauteur démesurée. Le continuo, habituellement confié à plusieurs instruments, s'appuie toutefois sur le seul virginal tenu par Dimos Debeun. S'il donne une incontestable note de fraîcheur à la partition, il n'apporte toutefois pas la richesse et la vigueur que l'on aurait pu attendre dans un continuo formé de plusieurs instruments. De même les riches sonorités des autres instruments ne semblent pas suffisamment assemblées par la direction de Paul Van Nevel, trop métrique et pas assez impérieuse. En particulier les surprenantes interventions des percussions semblent totalement déconnectées de la ligne musicale d'ensemble, et tombent de ce fait un peu « à plat ». Il en ressort une ligne musicale plutôt agréable quant à ses sonorités, mais qui manque décidément d'unité et d'inspiration... On peut avancer qu'un travail plus approfondi en amont aurait certainement abouti à une plus grande « maturité » d'ensemble.
Du côté des solistes les voix sont globalement au rendez-vous. On retiendra en particulier le timbre cuivré et la belle expressivité de Sabine Lutzenberger (Melissa), qui distille à l'envie une diction soignée dès ses premières interventions (Cosi perfida Alcina). Dans le rôle de Ruggiero Achim Schulz affiche sa belle voix de ténor, aux jolies nuances et à la projection assurée sur un large registre. Son air O quanto e dolce, appuyé par les longs sons filés du cromorne, est un vrai régal. On retiendra aussi son élégiaque Deh qual nelle belle onde, bien servi par le virginal. En revanche, malgré une réelle expressivité et un agréable timbre perlé, l'Alcina de Michaela Riener a peiné à nous convaincre : sa ligne de chant ne semble pas adaptée à ce répertoire, ce qui se traduit notamment par des ornements trop mécaniques.
Les seconds rôles sont plutôt bien servis. Lors du prologue le timbre de baryton de Mattew Vine fait merveille dans le rôle de Neptune (Non perche), avec de belles nuances rehaussant son phrasé madrigalesque. La projection est assurée, elle emplit sans peine le Salon d'Hercule. Les graves énergiques du Fleuve Vistule (Bernd Oliver Fröhlich) lui répondent sans peine. Du côté des femmes on retiendra tout particulièrement la Nunzia d'Axel Bernage, avec son air étourdissant Non so qual sia maggiore, au son rythmé des cordes pincées de la viole et de la lyre : un grand moment !
Les chœurs affichaient un bel ensemble, avec des attaques bien franches et des parties bien différenciées. Mentionnons tout particulièrement l'élégiaque Biondo Dio au phrasé impeccable, à la fin du prologue, le suave chœur féminin des Plantes enchantées à la scène II, et les tonnantes attaques du chœur des Monstres à la scène III, de même que le brillant chœur des Chevaliers enchantés au final.
Au total, même si cette production n'est pas totalement convaincante sur le plan orchestral, il convient de saluer l'initiative de la programmation de cette œuvre rarement jouée, et qui mérite assurément d'être davantage connue.

Publié le 07 févr. 2016 par Bruno MAURY