Love Songs - Vedado

Love Songs - Vedado ©Eric Lambert
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Un hymne à l’amour

« Ombre de mon amant, ombre toujours plaintive,
Hélas ! Que voulez-vous ? Je meurs.
Soyez un moment attentive
Au funeste récit de mes vives douleurs.
C’est sur cette fatale rive
Que j’ai vu votre sang couler avec mes pleurs.
Rien ne peut arrêter mon âme fugitive,
Je cède à mes cruels malheurs.
Ombre de mon amant, ombre toujours plaintive,
Hélas ! Que voulez-vous ? Je meurs »

Michel Lambert

« Plongez au cœur des plus belles histoires d’amour de la musique baroque ! » : tel était le fil directeur du concert intitulé Love Songs donné dans le cadre du Festival de Musique Baroque de Sablé sur Sarthe par l’ensemble Vedado ce vendredi 26 août 2022. Vedado, c’est le nom du quartier de la Havane dans lequel a grandi le gambiste Ronald Martin Alonso, une colline inhabitée au XIXème siècle devenue peu à peu le centre ville de la capitale cubaine : « C’est une manière de garder un lien affectif avec le lieu où j’ai grandi et où je suis devenu musicien » explique-t’il. Quatre musiciens d’origine latino-américaine composent cet ensemble qui proposait cet après-midi un programme de musiques françaises et anglaises. Aux côtés de Ronald Martin Alonso, Reynier Guerrero au violon baroque, cubain d’origine également, Daniel de Morais au théorbe et la soprano Luanda Siqueira, tous deux d’origine brésilienne. Après un Prélude pour la viole seule de Sainte Colombe joué par Ronald Marin Alonso, le public entre dans le vif du sujet avec deux airs célébrissimes de Michel Lambert, Ombre de mon amant et Vos mépris chaque jour mettant d’emblée en avant la voix chaude et envoûtante de Luanda Siqueira (qui aborde durant ce concert des airs plutôt destinés à une mezzo soprano). Un beau sens de la nuance, de belles ornementations, une belle diction, sans oublier bien sûr de mentionner un accompagnement irréprochable par le continuo.

Deux airs non moins célèbres de Sébastien Le Camus (Laissez durer la nuit et Amour, cruel amour) étaient également proposés par l’ensemble Vedado. Violoniste et théorbiste, compositeur contemporain de Michel Lambert, Sébastien Le Camus fut surintendant de la musique de la reine Marie-Thérèse, épouse de Louis XIV, et membre de La Petite Bande de Jean-Baptiste Lully. Dans son Traité de la viole publié en 1687, Jean Rousseau écrit à son sujet : « Le seul souvenir de la beauté et de la tendresse de son exécution efface tout ce que l'on a entendu jusqu'à présent sur cet instrument ». Avec son contemporain Michel Lambert, Sébastien Le Camus compte parmi les maîtres incontestés de l'air de cour. Ces airs, composés dans le plus pur style galant, témoignent d'une écriture soignée et surtout d’un mariage réussi entre un texte poétique et son accompagnement musical. Michel Lambert fut quant à lui le beau-père de Jean-Baptiste Lully. Maître de musique de la chambre du roi, alors que son gendre est le surintendant de la musique, il bénéficia d’une belle notoriété en son époque. L’écoute de ces airs de cour d’une grande beauté demeure toujours un moment privilégié, d’autant plus qu’ils sont hélas assez trop peu enregistrés, ce qui est bien dommage !

Le concert se poursuivait avec deux célébrissimes airs de John Dowland qui comptent parmi les trésors de la musique anglaise. Comment résister en effet à la beauté sombre de Go cristal tears et surtout de cette merveille qu’est Flow my tears, ces deux airs combinant à merveille poésie et émotion musicale !

On notera tout particulièrement dans le programme de ce concert la présence de deux pièces de Tobias Hume : Life et Death. Un fort belle surprise que de pouvoir entendre ces deux pièces écrites pour une viole seule, interprétées par Ronald Martin Alonso sur un instrument signé François Danger (sur ce luthier, écouter ici). Militaire avant tout, mercenaire aussi parfois, le capitaine Tobias Hume dont la vie et les frasques militaires défrayèrent la chronique en son temps était également un gambiste de talent qui a révolutionné l’histoire de la viole de gambe. Il a en effet composé pour la basse de viole des œuvres qui comptent parmi les plus belles dédiées à cet instrument, il semble d’ailleurs que Tobias Hume fut le premier en son temps à écrire des pièces pour la viole seule, sans aucun accompagnement, offrant ainsi à son instrument favori ses premières lettres de noblesse (pour en savoir plus sur Tobias Hume, écouter ici). Et c’est à Jordi Savall que revint le mérite d’avoir sorti les partitions de Tobias Hume d’un injuste oubli. Dans la préface de Musicall Humors, son premier livre, Tobias Hume s’exprimait ainsi : « Je ne cultive guère l'éloquence ni ne fais profession de Musique, bien que j'aime grandement l'esprit et chérisse l'harmonie. Ma carrière ayant été vouée aux Armes, comme le fut mon éducation, c'est vers la Musique que s'est tournée la seule part féminine de moi-même, toute générosité car jamais mercenaire ». Par ailleurs, A travers une interprétation irréprochable, Ronald Martin Alonso a su mettre en avant la richesse harmonique de ces deux pièces, Death, d’une grande intensité dramatique, presque majestueuse par instants, et Life, plus enjouée, répondant en quelque sorte à la première, dans laquelle le compositeur développe de beaux accords en triples et quadruples cordes.

Le programme s’achevait en beauté avec Henry Purcell avec deux pièces bien connues des mélomanes, Music for a while en premier lieu, suivi du mémorable Lamento de Didon de Purcell extrait de son opéra Didon et Enée. Deux airs dont il est bien difficile de se lasser, interprétés avec grand talent par Luanda Siqueira qui a su restituer l’intense émotion contenue dans ces deux airs : « La musique un moment/ Trompera tous vos tourments » (Music for a while) ... En réponse aux applaudissements du public, l’Ensemble Vedado a offert un bis pour le moins totalement inattendu … avec La Javanaise de Serge Gainsbourg accompagnée probablement pour la première fois par un continuo baroque ! Une chanson universellement connue, mythique presque, dans laquelle Luanda Siqueira a retrouvé sa tessiture naturelle de soprano et a montré qu’elle pouvait exceller dans des styles très différents.

Dans ce concert, comme précisé en commentaires dans le programme du Festival, « l’ensemble Vedado s’est attaché à peindre avec sensibilité les multiples facettes des émotions amoureuses » en proposant une sélection des plus belles pièces des musiques françaises et anglaises de l’époque baroque. Un programme cohérent, du plus grand intérêt, avec des œuvres d’accès moins difficile, mais que l’on réentend toutefois avec le plus grand plaisir ! Le concert en extérieur avait pour but assumé et totalement louable de permettre à un public plus large d’assister à un concert de musique baroque. Cependant, l’amplification des instruments et de la chanteuse ôtait quelque peu le caractère intimiste de cette musique que beaucoup auraient aimé entendre dans un lieu plus adapté… Enfin, et pour conclure, il convient de saluer le travail de ces quatre musiciens originaires d’Amérique Latine qui n’ont pas manqué de rappeler à travers ce concert l’universalité de la musique baroque.



Publié le 14 sept. 2022 par Eric Lambert