Lucio Silla - Mozart

Lucio Silla - Mozart ©DR - Olga Pudova
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La clémence du dictateur…

Créé au Teatro Regio Ducal de Milan le 26 décembre 1772, Lucio Silla est encore marqué par le style baroque auquel il emprunte le genre de sujet, la succession de récitatifs et d’airs et une écriture laissant une grande place aux exploits vocaux des interprètes. Néanmoins, l’évolution vers le classicisme est patente, avec la présence importante du chœur, les récitatifs accompagnés, les duos et les ensembles.

L’argument, historique et moral, est assez court : le dictateur romain Silla est épris de Giunia dont il a tué le père (Marius) et exilé l’amant (Cecilio). Au terme des complots inaboutis de Cinna et des tourments amoureux de Celia, Silla pardonnera à tous et acceptera l’union de Cecilio et de Giunia.

Ecrit par un Mozart de seize ans, la tradition veut que ses propres tourments d'adolescent aient marqués l’écriture de cette histoire d’amour sur fond politique. Et c’est là qu’apparaît la première faiblesse de cette représentation. La direction de Laurence Equilbey, dont la battue est, de façon surprenante, quasiment absente et toujours un peu molle, privilégie une lecture qui penche vers le Mozart de la maturité et une interprétation classique, négligeant et l’âge du compositeur et la transition stylistique que représente cet ouvrage. Comme si la baguette traduisait plus des intentions qu’une véritable direction, j’ai trouvé les différents pupitres un peu trop « fondus », pas assez différenciés à l’écoute et un manque de relief et de nuances qui tenait peut être à un problème d’adaptation à la superbe acoustique de l’Opéra royal après le passage par la Philarmonie ; en effet, ces derniers défauts s’estompaient sensiblement en seconde partie.

Sur le plateau, aussi, il y a des déceptions qui tiennent probablement à la fatigue accumulée des interprètes. Et en premier lieu, il faut reconnaître que le Cecilio de Franco Fagioli est en dessous de ce que nous livre habituellement le contre-ténor argentin. Certes les aigus sont rayonnants et les graves charnus mais le souffle n’a pas cette sidérante longueur qui le caractérise habituellement. Il y a un peu trop d’imprécisions dans la ligne de chant et dans les vocalises pour que cette belle interprétation puisse être considérée comme un moment d’exception, du niveau de certaines autres prestations de Fagioli. La raideur typique de l’artiste est d’ailleurs accrue, marquant bien l’effort de concentration et la tension qui lui sont nécessaires pour affronter ce rôle redoutable ce soir-là. Déception aussi que le Cinna de Chiara Skerath dont l’aigu est affecté de stridences de fatigue et qui pêche, elle aussi, par une tendance à « savonner ».

En Celia, la soprano belge Ilse Eerens est une belle découverte, qui se remarque dès son premier air et ses vocalises staccato superbement exécutées (Se lusinghiera speme). Première impression qui ne sera pas démentie par la suite, Ilse Eerens démontrant une technique solide, un sens affirmé du théâtre et un beau timbre acidulé.

Remplaçant Paolo Fanale initialement prévu, Alessandro Libertore incarne un dictateur en proie au doute, qu’il personnifie avec prestance et élégance. La voix est belle, parfaitement projetée et puissante, avec un volume d’émission que j’ai trouvé insuffisamment maitrisé pour l’Opéra de Versailles.

Mais c’est à Olga Pudova que l’on doit les plus beaux moments de cette soirée. Interprète habituée de la Reine de la Nuit, elle s’accommode avec aisance de la lourdeur du rôle de Giunia que l’on pourrait penser dangereux vu son jeune âge. Mais la ligne de chant est impeccable, les vocalises, pourtant impressionnantes, sont d’une netteté irréprochable tout comme la technique associée du crescendo et du mezza di voce. L’interprète est aussi marquante par son incarnation de Giunia, stéréotype de la matrone romaine, toute de devoir, de dignité et de loyauté.

Le Jeune chœur de Paris délivre une très belle prestation. C’est un ensemble précis, toujours compréhensible et très bien équilibré qui suit parfaitement les intentions de Laurence Equilbey. Il faut aussi saluer le superbe continuo emmené par Benoit Hartoin et le travail de mise en espace efficace de Rita Cosentino, qui joue sur des accessoires symboliques et des paravents-tableaux noirs- tableaux d’affichage, et qui, avec des éclairages soignés, concourt très largement à la mise en valeur de cet opéra.

Au final, une soirée de très bon niveau, avec de belles découvertes et de superbes moments mais qui n’atteint pas aux promesses de son affiche.

Publié le 07 mai 2016 par Jean-Luc IZARD