Mirrors - De Bique

Mirrors - De Bique ©
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Étincelante Jeanine De Bique

Dans le cadre de la 44ème édition du Festival de Musique Baroque de Sablé sur Sarthe, l’un si ce n’est le plus ancien festival du genre en France, se produisait ce vendredi 26 août 2022 la nouvelle étoile du chant baroque Jeanine de Bique. Originaire de Trinité et Tobago, une petite république caribéenne composée de deux îles à quelques encablures du Vénézuéla, cette jeune cantatrice n’a cessé depuis les débuts de sa jeune carrière musicale d’impressionner par ses prestations sur la scène internationale, avec pour point d’orgue la publication de son album intitulé Mirrors unanimement salué par la critique (voir la chronique dans ces colonnes). Et Mirrors est tout justement le titre donné à ce concert qui proposait de larges extraits de l’album en question. Avant toute choses, rappelons le concept original de cet enregistrement, consistant à présenter une série de diptyques mettant en miroir des airs de grandes héroïnes tragiques d’opéras de Georg Friedrich Haendel avec ceux de ses contemporains, de façon à d’établir une comparaison des différentes approches musicales d’un même personnage. Au programme, donc, des airs signés Haendel bien sûr, mais aussi Georg Philipp Telemann et Carl Heinrich Graun, et pour accompagner Jeanine De Bique, un ensemble comptant parmi les meilleurs actuellement, le prestigieux Concerto Köln dirigé ce soir par son premier violon, Evgeny Sviridov.

Originaire de Saint-Pétersbourg, lauréat de plusieurs concours internationaux dont le Concours de Musique Ancienne de Bruges à l’issue duquel il remporte un premier prix, ce jeune musicien occupe depuis 2016 les fonctions de premier violon du Concerto Köln, devenant ainsi l'un des plus jeunes musiciens à avoir dirigé cet ensemble (voir le site de cet ensemble).

Un orchestre somptueux

L’ouverture de Partenope de Haendel par laquelle débute le concert donne d’emblée le ton. La sonorité chaude de l’orchestre et la précision des attaques font littéralement merveille dans cette ouverture majestueuse ! Mais c’est avec Risolvere non oso extrait de la Rodelinda de Carl Heinrich Graun qu’arrive le moment tant attendu par le public ! Dans une splendide robe fourreau de couleur rose, Jeanine De Bique apparaît, rayonnante, et déroule ses premières vocalises… l’auditoire retient son souffle. Le timbre de sa voix, les intonations, les crescendos, les mezza voce, tout est parfait ! Cet air inédit est le seul du programme à ne pas figurer dans son album Mirrors, il préfigure ce qui va suivre… Les modulations de la voix de Jeanine De Bique dans Mi restano le lagrime tiré d’Alcina de Haendel sont sans égal, les aigus sont fulgurants, les sons filés renversants, et loin d’être statique, Jeanine De Bique vit littéralement les personnages qu’elle incarne à travers sa gestuelle, ses intonations et ses expressions de visage. Dans L'empio rigor del fato tiré de la Rodelinda de Georg Friedrich Haendel, les redoutables vocalises sont étourdissantes, totalement et impeccablement maîtrisées, et il convient de souligner le soutien de l’orchestre qui impulse la dynamique avec bonheur dans une cohésion irréprochable !

Seconde partie du concert, Jeanine de Bique apparaît cette fois dans une superbe robe de couleur jaune, ajoutant ainsi une touche de théâtralité à ce concert. Dans Alma mia fra le tempeste tiré d’Agrippina de Haendel, le dialogue avec le hautbois est du plus bel effet, et les quelques mesures a capella sur la fin sont époustouflantes. Dans Rimembranza crudel extrait de Germanicus, un opéra de Telemann considéré comme perdu avant qu’une quarante d’airs ne soient récemment retrouvés dans les archives de la ville de Francfort, Jeanine De Bique sait trouver le ton grave et les intonations totalement à propos en livrant une interprétation toute en retenue et en délicatesse, de même, les quelques mesures a capella sur la fin permettent à de prendre encore la mesure de l’immense talent de cette jeune diva ! Chose rarissime dans l’histoire de la musique, c’est à une femme que l’on doit le livret, Christine Dorothea Lachs. Che sento ? Se pietà di me non senti, un lamento d’une grande puissance émotionnelle extrait de Jules Cesar en Egypte de Haendel, contraste avec l’air précédent par sa profonde expressivité et sa force dramatique.

Un sens des nuances exceptionnel

A travers un chant tout en subtilité, Jeanine De Bique fait preuve d’un sens des nuances exceptionnel! Bien que moins virtuose d’apparence, moins brillant et techniquement d’aspect moins difficile, cet air constituait incontestablement le point culminant du programme. Le concert s’achevait en beauté sur le Tra le procelle assorto de Carl Heinrich Graun, un air de virtuosité pure nécessitant une technique parfaite, dans lequel Jeanine De Bique démontre avec une aisance presque déconcertante ses capacités vocales hors normes. Une fin en beauté avec un véritable feu d’artifice vocal, et en écoutant un tel air, on peut légitimement s’interroger : les compositeurs avaient il vraiment conscience de la difficulté extrême d’exécution que présentaient certaines de leurs œuvres nécessitant de véritables prouesses vocales ? Pour l’anecdote, Carl Heinrich Graun, contemporain de Haendel et premier musicien à entrer au service du prince héritier Frédéric, futur Frédéric II Le Grand, sera missionné pour recruter chanteurs et chanteuses en Italie pour l'opéra que le souverain souhaitait faire construire à Berlin, lequel sera inauguré en 1742 avec son Cesare e Cleopatra d’où est justement tiré ce dernier air. A travers une maîtrise technique sans failles, un art de l’interprétation et un timbre unique, force est de constater que Jeanine de Bique est un véritable phénomène vocal !

Il convient enfin de mentionner tout particulièrement le violoniste Evgeny Sviridov, à la fois premier violon et chef d’orchestre, qui est l’autre artisan de la réussite de cette soirée, menant l’orchestre d’une main de maître avec aisance, précision et musicalité. Seule petite ombre au tableau, mais il s’agit vraiment d’un détail, la réverbération un peu excessive de l’église, mais pas de quoi gâcher le plaisir d’entendre cette artiste exceptionnelle que l’on retrouvera dans le rôle de Susanna dans Les Noces de Figaro à l’Opéra de Paris du 23 novembre au 28 décembre prochains. Quoiqu’il en soit, ce concert de prestige demeurera pour beaucoup un moment inoubliable ! Pour ceux qui n’ont pas pu saisir la chance de pouvoir l’entendre à Sablé, le même concert sera donné à nouveau à Bayreuth dans le cadre du Festival de Musique Baroque le jeudi 8 septembre 2022.



Publié le 12 sept. 2022 par Eric Lambert