Orfeo - C. Monteverdi

Orfeo - C. Monteverdi ©
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Un Orfeo enchanteur

Il n'est pas simple de s'attaquer à cette composition-phare de Monteverdi, à cet Orfeo qui constitue l'une des œuvres fondatrices de l'opéra baroque (même si nous savons que les compositions éponymes de Peri et Caccini l'ont précédée) et un chef d’œuvre du genre lyrique tout court. Le lieu initial de la représentation, un salon du palais ducal de Mantoue, appelle un format particulièrement réduit et inhabituel, dans lequel chanteurs et musiciens se côtoient. Une autre difficulté est de conserver à l'intrigue la fraîcheur et l'élan de sincérité qui anime le texte de Striggio, malgré ses innombrables adaptations ultérieures dans le répertoire lyrique (jusques et y compris la parodie d'Offenbach dans la seconde moitié du XIXème siècle).

Pour cette production dont il semble tenir tous les fils, de la mise en scène à la direction orchestrale, et jusqu'à une apparition finale en Apollon, Paul Agnew réussit sans conteste son pari. La scène s’ordonne autour de quelques rochers dressés, évocation des cultes celtiques (et du soleil ?), qui créent un demi-cercle intime dans lequel vont évoluer les chanteurs. Un fond de scène rougeoyant suggère opportunément les scènes des Enfers. Les costumes amples signés d'Alain Blanchot, qui laissent apparaître les pieds nus des chanteurs évoquent avec insistance l'univers des bergers de Nicolas Poussin, peintre français actif à Rome dans la première moitié du XVIIème. Un étroit tapis bleu s'insinue entre les rochers dressés pour figurer le Styx... Avec ces moyens simples et réduits le maestro nous projette sans peine dans l'univers bucolique et champêtre d'Orfeo. Du côté des instruments les cornets à bouquin et les trombones font régulièrement irruption aux côtés des chanteurs, créant à chaque fois un effet de surprise réussi, et les instruments de la basse continue prennent place de part et d'autres de la scène. Le prologue, où Thomas Dunford joue du théorbe aux pieds de la Musique est un pur moment de grâce visuelle et musicale.

L'orchestration retenue reste très proche de celle qui avait été notée par le compositeur pour la création, elle est parfaitement équilibrée avec le plateau des chanteurs. Le continuo offre de beaux moments, notamment avec la harpe délicate et expressive de Nanja Breedijk. Globalement les Arts Florissants fournissent une prestation tout à fait à la hauteur de l'exigence musicale qui a fait leur réputation, avec des cordes onctueuses, des vents agiles et bien sonnants. Ils rendent pleinement justice à la partition du maître de Crémone, tant dans des parties expressives que dans des tutti enlevés (notamment pour les chœurs).

Côté chanteurs on ne pourra que louer le parti d'afficher de jeunes talents, parfaitement à l'aise dans ce registre qui ne sollicite guère la virtuosité mais d'une grande exigence, notamment quant à la précision de la diction et la cohésion des ensembles. Commençons par une mention particulière pour le trio des bergers. Les duos des deux ténors, Zachary Wilder et Sean Clayton, sont de vrais moments de bonheur (en particulier le Chi ne consola au final du second acte, affrontement d'une touchante complicité). Pour sa part le jeune contre-ténor Carlo Vistoli affiche dans chacune de ses interventions un timbre d'un grand naturel, bien stable, y compris dans des aigus lancés sans peine.

Côté féminin on notera les excellentes interventions de Léa Desandre, tour à tour Messagère émouvante rapportant le sort malheureux d'Eurydice (In un fiorito prato) puis Espérance guidant Orphée jusqu'au bord du Styx. Sa voix très expressive, sa diction précise produisent un effet assuré dans ces épisodes décisifs. Hannah Morrison incarne de sa voix nacrée la Musique au prologue, puis le court rôle d'Eurydice au quatrième acte. Ses ornements sont empreints d'une grande délicatesse. La Proserpine de Miriam Allan affiche une belle détermination pour faire fléchir Pluton ; la voix est bien posée avec une touche d'enjouement.

Face à elle le Pluton d'Antonio Abete montre une belle rondeur dans les graves, relayée par une vaillante projection. Cyril Costanzo prête son timbre sombre à Charon, lors de l'épisode du passage du Styx. On retiendra encore la belle projection de Paul Agnew dans son intervention en Apollon au cinquième acte. Mais la palme de la distribution revient sans conteste à Cyril Auvity, Orfeo solaire à la belle prestance, dont la voix illumine la partition. Son chant rayonne de la même maîtrise qui nous enchante dans le répertoire français de haute-contre, avec des notes posées sans effort apparent dans des entrelacs aériens enchanteurs. L'expressivité est délicate mais bien présente, tant dans la voix que dans les gestes, et les hésitations inquiètes lors du passage du Styx et dans le dialogue avec Charon sont bien rendues. Les deux airs du dernier acte, relayés par une vaillante projection, sont de purs moments de grâce qui mènent avec brio cette représentation à son terme, avant l'intervention d'Apollon. Le public ne s'y est pas trompé, qui a longuement ovationné cette production enchanteresse.



Publié le 14 mars 2017 par Bruno Maury